Life

Paon (queue de)

Jean-Yves Nau, médecin et viticulteur, explore le monde des mots qui font vivre le vin.

Temps de lecture: 3 minutes

Confidence pour non-initiés: placer des mots sur les vins impose le respect de deux ou trois règles non écrites. La première d’entre elles: faire une croix sur la litote, sur l’euphémisme, voire sur l’understatement.  Dans ce monde seule la métaphore triomphe. Plusieurs centaines d’illustrations en sont données dans un très riche, très savant et très précieux dictionnaire; un ouvrage encore trop méconnu (aucun conflit d’intérêt à déclarer ici). La linguiste Marine Coutier (CNRS) y  établit un classement de ces métaphores que l’on peut, ici, filer  à l’infini; exercice que l’on se plaît généralement à tancer dans les meilleures des écoles francophones de journalisme.

La curieuse «arête»

Les vins et les hommes étant ce qu’ils sont, ce sont les métaphores anthropomorphiques qui l’emportent haut la main. Et ce qu’il s’agisse du corps, des âges de la vie («jeunesse», «maturité», «vieilli» et le délicieux «chapeau sur l’oreille»…) de la psyché, du genre, du verbe, de la sexualité, de l’habillement ou du statut social («aristocratique», «cossu», «race», «racé», «opulent», «rustique»…).  Viennent ensuite les métaphores inter-sensorielles, celles du textile (nous dirons peut-être bientôt ici les joies rabelaisiennes du «taffetas»), de l’architecture, des propriétés de la matière ou de l’espace spatio-temporel (de «fugace» à «patiné»).

Dans ce gentil labyrinthe pour humanoïdes éclairés, une seule catégorie est absente; ou presque: celle des métaphores zoomorphiques. Crète ou pas, le monde du Minotaure n’est pas celui des vins qui ne nourrissent que les hommes. Les hommes, ou presque;  ainsi certains beaux dimanches d’été dans un village au nom de fontaine –après la messe et aux marches du Perche– cette guêpe enivrée un instant de la chair d’un Bourgueil millésimé 2009.

L’animalité métaphorique de nos vins? Deux occurrences; et deux occurrences seulement, si l’on en croit Marine Coutier. Passons vite sur la première, d’essence éminemment antinomique car aquatique («arête») qui renvoie fort heureusement à «colonne vertébrale»; une «colonne» à la fois proche et lointaine des «couillu», «cuisse» et «corsage» que nous évoquions ici même il y a peu  mais qui, nous le savons tous, s’articulent autour d’elle. «Colonne vertébrale» ou –plus douloureusement– «épine dorsale». Nous sommes ici dans des registres structurants: ceux de la charpente du vin, de son ossature, de sa structure et de sa trame. On peut le dire autrement. Comme l’homme, le vin doit savoir se «tenir»: debout et en «tenue». Sinon: aux oubliettes, et fissa.

Pas besoin d’être très futé pour voir l’impasse où nous mène Marine Coutier en établissant un parallèle entre la métaphore de l’«arête» et celles de la colonne vertébrale et de l’épine dorsale. Les vertébrés atmosphériques (dont Sapiens sapiens) ravalés au rang des poissons d’eaux plus ou moins douces? Assez dur, si l’on ose écrire, à avaler. Reste que ce rapprochement illumine un autre mystère quasi-métaphorique signé d’un célèbre dialoguiste s’étonnant en noir et blanc de l’appétence des hommes de mer à élaborer des vocables structurés.

Avec «arête» comment ne pas faire court? Comme le faisait il y a une décennie déjà (dans les colonnes du Figaro Madame) Chantal Lecouty  à propos d’un Picpoul de Pinet:

«(…) des arômes de fruit mûr sur fond de notes minérales, une attaque ronde suivie de l’arête bien typique du cépage et du terroir, une jolie finale citronnée.»

Picpoul de Pinet dont une étrange formule publicitaire  clame: «Son terroir? C’est la mer!». Boisson pour poissons? On aimerait connaître l’auteur (et le prix demandé aux vignerons du Languedoc…)  pour en arriver à ce pauvre second degré alcoolique.  Et une anonyme Pénélope de filer en 2005 (dans les colonnes de Terre de vins) la métaphore à propos du Picpoul de Pinet «domaine Reine Juliette» de 2004:

«Un vin bien équilibré par son arête acide. Un vin de plaisir à boire sur des huîtres ou des poissons grillés.»

«A boire sur»? Comme ces vins qui sont «sur le fruit». Pourquoi cette contagion du «sur»?

Si votre plumage...

Avec la seconde occurrence, on sort de l’eau; on passe à l’air, aux plumes: celles des queues du paon, faute de celles des paonnes. Plus précisément à la queue non pas «du» volatile mais «de» ce dernier. Acception générique. La «queue de paon», donc. Aux antipodes de la «pelure d’oignon».

On ne parle ici de rien d’autre que d’un allongement. Celui, circonférentiel, de la queue irisée  du mâle oiseau. Autant dire de l’extase, sinon de la béatitude. «Queue de paon» donc. Equivalences entre le «déploiement» de la susnommée et celui de l’éventail des perceptions humaines (organoleptiques et rétro-olfactives; arômes, fragrances, saveurs et tutti quanti-frutti); éventail inconnu des non-initiés. 

Comment mieux le  dire. Peut-être en citant  le bon Dr P. Maisonneuve auteur du désormais rarissime L’Anjou, ses vignes et ses vins:

«[Le vin d’Anjou], il fait “la queue de paon” [on appréciera les guillemets, signant la création  de la métaphore] et les trois sens qui président à la dégustation en sont tour à tour charmés et délicieusement éblouis. En même temps que l’œil se réjouit des reflets de la liqueur d’or, que l’odorat s’emplit de ses effluves parfumées, elle remplit la bouche, s’y étale en flattant de son contact exquis les milles papilles gustatives qui la tapissent et produit des sensations non pas fugaces, mais qui vont se prolongeant et s’affinant. C’est comme l’épanouissement d’une fleur ou la queue de paon qui fait la roue.»

C’était il y a près d’un siècle: un médecin angevin (imaginons-le cossu) pouvait-il écrire de la sorte sur ses sens et ses vins, métaphoriser sur un Quart-de-Chaume ou un Bonnezeaux via les fleurs et les paons de son parc. Et puis, pourquoi pas, mettre tout ceci en résonance épanouissante avec quelques angéliques poitrines angevines. 

Jean-Yves Nau

Photo: Un paon de New Dehli. REUTERS/Adnan Abidi

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