Monde

Les diamants du sang de Robert Mugabe

La famille du dictateur a amassé une fortune en faisant travailler des centaines d'esclaves après la découverte de mines de diamants au sud du pays.

Temps de lecture: 3 minutes

Les diamants sont décidément des pierres bien sales. Charles Taylor avait amassé une immense fortune en recevant des gemmes pour fournir des armes aux rebelles de Sierra Leone durant l'épouvantable guerre civile qui a fait 120.000 morts de 1991 à 2001. Jugé depuis 2007 devant une Cour internationale à La Haye, le président déchu du Liberia a toujours nié avoir possédé de telles pierres précieuses. Le témoignage de Naomi Campbell, le 9 août, a mis cette défense au tapis. Le top model a en effet avoué à contrecœur que des sbires de l'ancien dictateur lui avaient donné quelques diamants bruts un soir de 1997. Ce trafic a été rendu célèbre par le film «blood diamond» dans lequel Léonardo Di Caprio jouait le rôle d'un trafiquant rhodésien. La Rhodésie, qui s'appelle le Zimbabwe depuis son indépendance en 1980, est aujourd'hui au centre d'une nouvelle polémique concernant des gemmes aux origines pour le moins douteuses.

Le conte pour enfant vire au cauchemar

Et dire que cette triste histoire aurait pu se terminer par un «happy ending» digne des plus jolis contes pour enfants... Lorsque des paysans zimbabwéens habitant près de la frontière mozambicaine ont compris en septembre 2006 que les petits cailloux qu'ils foulaient depuis des décennies n'étaient autres que des diamants, la nouvelle s'est répandue comme une trainée de poudre déclenchant une «ruée» digne des temps du Far West. Trois mois après la découverte du plus important filon détecté en Afrique depuis près d'un siècle, 10.000 personnes creusaient déjà –souvent à mains nues- la terre pour trouver de précieux carats. La région est devenue du jour au lendemain le lieu de tous les trafics. Des pierres valant plusieurs millions de dollars étaient exportées chaque semaine en toute illégalité. Les mineurs cachaient leurs découvertes dans leur bouche pour franchir la frontière du Mozambique et revendre leurs biens à vil prix à des trafiquants de tous bords. Cette situation anarchique devait prendre fin au plus vite. Le Zimbabwe, qui était au bord du gouffre -un doux euphémisme pour un pays dont l'inflation annuelle a atteint 231 pour cent en juillet 2008-, disposait en effet là d'un gisement alluvionnaire qui lui permettait de rembourser ses dettes et de relancer son économie. Mais comme c'est si souvent le cas avec Robert Mugabe, la «reprise en main» des mines de Marange s'est terminée par une gabegie sans nom.

Pour chasser les mineurs, le dictateur a envoyé ses troupes. Des tirs à balles réelles et une véritable chasse à l'homme organisée avec des hélicoptères ont causé la mort de près de 200 personnes en quelques heures. Contrôlé par l'armée, le gisement a ensuite été exploité par des centaines de paysans et d'enfants âgés parfois de dix ans qui travaillaient onze heures par jour sans la moindre rémunération. L'existence de ces esclaves a vite inquiété les associations de défense des droits de l'homme comme Human Rights Watch  qui ont tiré la sonnette d'alarme. Ces signaux de détresse ont finalement été entendus par le processus de Kimberley. Ce système de certification, qui réunit, depuis 2003, 75 pays producteurs et tailleurs, des représentants de l'industrie diamantaire et des ONG, a pour but d'éviter l'utilisation des gemmes par des mouvements rebelles pour financer leurs activités militaires. Considérant que les militaires basés à Marange forçaient par la violence les creuseurs et que des gangs pouvaient facilement profiter de cet état de non droit pour faire passer pour zimbabwéens des pierres de contrebande, les inspecteurs du processus de Kimberley ont interdit en novembre la vente de diamants zimbabwéens pour une durée minimale de six mois, le temps pour les autorités de mettre fin à leurs viles pratiques.

Trafic et enrichissement illicite

Visiblement satisfaite des améliorations des«conditions de travail» sur le gisement, l'organisation internationale a levé en juillet son embargo. Harare n'a pas été long à saisir cette opportunité. Le 11 août, l'état a vendu aux enchères sur l'aéroport de la capitale 900.000 carats pour la modique somme de 72 millions de dollars. La plupart des acheteurs venus des Etats-Unis, d'Israël, de Russie, de Liban et d'Inde sont repartis à bord de leur jet privé avec leur précieuse cargaison quelques minutes seulement après la conclusion des adjudications. Mais ils seront tous de retour le mois prochain pour la prochaine vente. Le gouvernement doit en effet écouler au plusvite son stock de 4,5 millions de carats, représentant une valeur proche de 1,7 milliard de dollars, soit plus de la moitié du budget national. Ce trésor pourrait sortir d'affaire ce pays encore très fragile. Mais rares sont ceux qui croient à une telle éventualité.

Le réseau de courtage de diamants de Rapaport a ainsi prévenu ses 10.000 membres que ceux «qui auraient consciemment offert à la vente des diamants de Marange sur RapNet seront exclus et leurs noms rendus publics». Le groupe, qui n'avait jamais envoyé une telle menace, s'est justifié en expliquant qu'il refusait«l'utilisation de son réseau pour la distribution de diamants ayant un rapport avec des violations des droits de l'Homme». Tout est dit... Des journalistes anglo-saxons présents sur le terrain ont également détaillé la manière dont les caciques proches de Robert Mugabe amassaient toujours des fortunes considérables en vendant illégalement des gemmes. La famille du président continuerait aussi de s'enrichir grâce à ce trafic. La Chine, qui a signé d'immenses contrats d'approvisionnement avec le Zimbabwe, aurait, elle, été payée en partie avec des droits miniers. Quelqu'un a-t-il eu l'idée de vérifier si Naomi Campbell n'avait pas rencontré Robert Mugabe ces trois dernières années ?

Photo: Robert Mugabe, REUTERS/Philimon Bulawayo 

Frédéric Therin 

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