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Piloter à Spa comme les champions… ou presque

Les écoles de pilotage connaissent un succès grandissant. Il est lié à la compétition acharnée entre constructeurs de voitures sportives et à l'impossibilité d'utiliser réellement ces bolides sur les routes.

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Difficile de trouver un loisir plus politiquement incorrect. Tourner en rond sur des circuits construits en pleine nature en consommant une quantité indécente d’énergie fossile tout en recrachant un volume scandaleux de dioxyde de carbone n’est déjà pas glorieux en soi. Mais conduire une voiture qu’un Smicard mettrait plus de onze ans à se payer pour deux malheureuses journées qui sont facturées près du double du salaire minimum garanti… voilà qui peut légitimement choquer le commun des mortels.

Les amateurs de grosses cylindrées et de moteurs turbocompressés n’ont jamais écouté ce genre de critiques. Les personnes montrant du doigt les bolides polluant ne sont, pour eux, rien d’autres que des écolos baba-cool et ceux osant parler de gros sous, des gauchistes populistes. L’argent avec ces gens-là est un sujet tabou. On ne parle pas de ce qu’on a… Mais votre serviteur qui écrit ces quelques lignes ne peut pas vraiment être accusé d’être un malade des belles mécaniques. Son permis de conduire, il ne l’a pas passé avant de devenir trentenaire et sa première voiture était une minuscule citadine coréenne dont les portes tremblaient quand le moteur parvenait avec le plus grand mal à atteindre 130km/h. Il n’a certes pas refusé l’offre qui lui a été faite de piloter un monstre à quatre roues survitaminé sur un des plus beaux circuits de Formule 1 au monde. Il ne faut pas non plus exagérer… Mais ces deux jours à Spa ne semblaient pas non plus être une expérience extraordinaire. Et pourtant…

Attendre. Encore un peu. Juste une seconde ou deux… Sur ma droite, le long mur blanc des stands défile à toute vitesse. Un rapide coup d’œil sur le compteur. Oups, il faut arrêter de presser cette pédale d’accélérateur qui excite les 571 chevaux cachés sous le capot. L’écurie sauvage ne demande qu’à galoper mais il faut tenir les rênes… Le bout de la ligne droite est proche. L’air conditionné est supposé me souffler dans le visage un air frais mais il fait drôlement chaud sous ce casque et cette cagoule. Pas le temps de penser à ça…

«En bas de la montée, tu vas avoir l’impression que la voiture s’affaisse légèrement, c’est seulement à ce moment-là que tu dois donner un coup de frein.» La phrase de Roland Rehfeld tourne en boucle dans ma tête. Ce pilote professionnel me devance dans un véhicule bien moins puissant que le mien mais j’ai du mal à le suivre. Au volant, il regarde sans cesse dans son rétroviseur pour nous épier et nous conseiller. Ma Mercedes SLS continue de coller à la route sans vouloir s’affaisser. Soudain une pression vers le bas. Je freine enfin. Un peu, pas trop. Un rapide passage sur les vibreurs sur la gauche et il est temps de mettre le pied au plancher. Le raidillon porte bien son nom. Cette violente montée se termine par un virage à gauche à l’aveugle. Je connais le circuit. La veille, nous l’avons appris par cœur en répétant maintes et maintes fois les trajectoires sur chaque portion de cette boucle de 7 kilomètres de longueur. Sans peur et j’espère sans reproche, je lâche la bête. 180, 200, 220, 230, 235km/h… Le panneau indique que le bout de la ligne droite des Combes est à moins de 200 mètres. J’écrase les freins. La boîte automatique change de rapport. 7ème, 6ème, 5ème, 4ème, 3ème… La ceinture de sécurité me permet de rester coller au siège. Un violent virage à droite suivi immédiatement d’un tournant à gauche. Ne pas oublier de toujours regarder au loin, ne pas manquer les points de corde afin de ne pas perdre le contrôle de la voiture…

Pendant ces deux jours de juillet où la température n’est jamais descendue au-dessous de 30°C, les 26 clients d’AMG ont vécu de purs moments de plaisir goudronnés au volant de bolides surpuissants sur le circuit mythique de Spa Francorchamps où se tient ce weekend le Grand Prix de Formule 1.

SLS AMG, SLK 55 AMG PP, C 63 AMG PP, E 63 AMG PP, SL 63 AMG PP… Piloter dans des conditions de course cinq modèles de ce type est un luxe rare mais couteux. Comptez 2500 euros les deux jours… Le forfait comprend toutefois deux nuitées dans un hôtel de luxe, des repas copieux, des caméras embarquées à bord des voitures et un encadrement pléthorique. Entre les instructeurs qui sont tous des pilotes professionnels, les mécaniciens et les accompagnateurs, pas moins de 18 personnes prennent soin d’un groupe à peine plus nombreux. Un vrai luxe qui se termine par l’envoi d’une clé USB où l’amateur peut comparer sa conduite à celle de son instructeur grâce à une série impressionnante de relevés pris par des capteurs sur la voiture.

Changement de décor… et de température. Février 2010. Arjeplog, à une cinquantaine de kilomètres du cercle polaire. Sur le compteur de la BMW M3, le thermomètre affiche un glacial -26°C. Je remercie en silence le chauffage de l’habitacle qui me permet de ne pas m’habiller comme Paul Emile Victor. Une épaisse doudoune et des moufles doublées m’empêcheraient de conduire rapidement. C’est sur les lacs gelés de ce village perdu en plein cœur de la Laponie que 200 conducteurs aux poches bien pleines viennent s’amuser chaque année au volant de BMW de 420 chevaux.

«C’est un docteur allemand qui a commencé il y a deux décennies à amener tous les ans ses collègues pour faire des tours de piste ici, se souvient Illona Fjelsström qui travaille au journal local Arjeplog Times. Mais ce business a vraiment explosé il y a cinq ans. Les constructeurs ont commencé par former leurs salariés de passage ici à la conduite sur glace pour éviter des accidents sur les routes. Et puis, l’idée leur est venue de proposer des formations au grand public.» BMW, AMG, Audi, Porsche permettent ainsi aux particuliers de piloter sur de véritables patinoires. Les glissades sont impressionnantes, le plaisir immense.

«En faisant venir nos clients ici, nous les fidélisons autour de notre marque», reconnaît Wilhelm Cordes, le directeur du centre de test de BMW. «C’est un bon moyen pour les constructeurs de promouvoir leur nom, renchérit Lars Holmgren, le directeur du centre d’essai ATM utilisé par Bosch. Ce business est appelé à se développer.»

Les écoles de pilotage connaissent déjà un boom impressionnant depuis quelques années. «Nous avons commencé à emmener des clients d’AMG pour piloter sur le Nürburgring en 2002 mais il a fallu attendre cinq ans pour voir la naissance de l’AMG Driving Academy, explique Reinhold Renger, le responsable de cette initiative. Nous proposons aujourd’hui un programme complet de formation qui va de la ballade en berline pour se rendre à des soirées culturelles, en passant par le perfectionnement de la conduite sur route, au pilotage de course sur des circuits de Formule 1 ou sur la glace.»

En 2007, mille personnes ont assisté à ces cours. L’année suivante, il était 2 130. Ce succès a encouragé l’académie à ouvrir l’an dernier un centre de formation aux Etats-Unis et un projet en Chine est déjà dans les cartons. «Ces écoles font de la publicité à la marque et elles permettent à nos clients de découvrir le potentiel de nos modèles», assure Roland Rehfeld. «Cela devient un gros business, conclut M. Renger. En 2002, nous proposions deux séances de formation par an. Nous en offrons désormais 20 en hiver et 15 en été. Cette progression en dit long sur le potentiel de cette activité.»

Frédéric Therin à Spa et Arjeplog

Photo: Le fameux raidillon du circuit de Spa Francorchamps Thierry Roge / Reuters

 

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