Économie

En Bourse, le vice rapporte autant que la vertu

L'investissement socialement responsable est à la mode et rapporte tout comme son opposé, le vice fund lancé aux Etats-Unis en 2002.

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Le crime ne paie pas? Peut-être mais le vice, lui, rapporte. La vertu est aussi une valeur sûre… en Bourse. La grande mode depuis quelques années est d’investir dans des fonds éthiques. Les «investissements socialement responsables» ou ISR (c’est leur nom officiel) se multiplient comme des petits pains. Le tout premier indice boursier chrétien en Europe a été lancé le 26 avril dernier par Stoxx, la société émettrice d'indices boursiers basée à Zurich.

Le «Stoxx Europe Christian Index» comprend 533 entreprises basées sur le Vieux continent. Les sociétés «élues» ne doivent pas tirer profit de la pornographie, de la vente d'armes, du tabac et des jeux d'argent. Pour vérifier le sérieux des candidats à l’absolution boursière, un comité indépendant de «sages» se réunit régulièrement. Présidée par Christian Brothers Investment Services (CBIS), un organisme qui détient 3,6 milliards de dollars d’actifs sous gestion pour le compte d’un millier d’institutions catholiques à travers le monde, cette commission comprend également des représentants du Vatican, des membres de la Missionary International Service News Agency (MISNA) ainsi que des universitaires et des professionnels de l'investissement.

La liste des sociétés présentes sur cet «indice béni» ressemble à un Who’s Who du capitalisme européen. Nestlé, Vodafone, GDF Suez, Telefonica, HSBC, Santander ou BNP Paribas ont ainsi été accueillis à bras ouvert. Polluer ne serait pas non plus un péché. La présence des groupes pétroliers Shell et… BP sur le «Christian Index» l’atteste. Les pélicans du Golfe du Mexique apprécieront. Mais le groupe pharmaceutique GSK a, lui, été exclu car ses usines fabriquent des contraceptifs.

Cet indice chrétien n’est pas le premier du genre. Les américains ont lancé en 1998 le FTSE KLD Catholic Values 400. Les fonds islamiques, conformes aux principes de la Charia, connaissent également un succès grandissant. Les spéculateurs agnostiques ne sont pas pour autant oubliés. Les «investissements socialement responsables» peuvent en effet répondre aux attentes des tous les actionnaires débordant de bonnes intentions. Certains fonds achètent exclusivement des actions d’entreprises qui aident les populations du tiers monde. D’autres se concentrent sur les compagnies spécialisées dans la protection de l'environnement ou le développement durable. Le succès des ISR ne s’est pas démenti pendant la crise financière. L’an dernier, les encours de ces produits en France s’élevaient à  50,7 milliards d’euros, un chiffre en hausse de 70% en un an, si l’on en croît l’enquête que Novethic effectue chaque année auprès des acteurs de ce secteur. Ces fonds veulent être à la finance ce que la culture bio est à l’agriculture. Et les bonnes intentions, une fois n’est pas coutume, peuvent être payantes. Le Stoxx Europe Christian a en effet augmenté de 1,3% depuis le début de l’année, une performance supérieure à celle du DJ Stoxx 600 qui a fait du surplace en 2010 (+0,1%). Mais si Dieu semble être un bon conseiller boursier, Satan n’est pas non plus un mauvais investisseur.

Aux Etats-Unis, des financiers ont eu l’idée de créer en 2002 le «vice fund». Ce «fonds du vice» est le chantre du politiquement incorrect. Tout ce qui tue, rend malade ou dilapide vos économies sur le tapis vert est accueilli à bras ouvert sur le Vicex. Le fonds investit ainsi sans scrupule plus de 20% de ses actifs dans le producteur de tabac Philip Morris et dans sa maison-mère Lorillard. Près de 15% des liquidités ont, elles, été utilisées pour acheter des actions de groupes de défense tels que Lockheed Martin, Northrop Grumman et Raytheon. Le groupe de spiritueux Diageo plus connu pour ses marques J & B, Johnnie Walker, Smirnoff ou Guiness et les brasseurs Carlsberg, ABInBev et SABMiller figurent aussi sur cet indice.

Regrouper tous ses «mauvais garçons» dans un seul et même fonds peut sembler étrange mais cette idée n’est pas forcément mauvaise d’un point de vue purement spéculatif. «Les actions du péché offrent des retours sur investissement plus importants que les autres titres car ils sont souvent négligés par les investisseurs», soulignaient dans une étude Marcin Kacperczyk et Harrison Hong, deux professeurs aux universités de New York et Princeton. Les faits semblent confirmer cette analyse. Le «vice fund» a en effet pris plus de 2% depuis le début de l’année alors que l’indice S&P 500 a reculé de 1,8% dans le même temps. Dix mille dollars investis sur le Vicex lors de son lancement le 1er septembre 2002 serait valorisé aujourd’hui plus de 15.400 dollars contre à peine 13.140 dollars sur le S&P 500. A Wall Street comme sur les places du Vieux Continent, le crime se révèle également payant.

Frédéric Therin

Photo: Adam et Eve avec le serpent BLAKE William Temptation of Eve 1808 Flickr Carulmare sous licence Creative Commons

 

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