France

Dépendance: une brèche dans la Sécu

Pour financer la dépendance sans revenir sur l’obligation de réaliser des économies, un rapport parlementaire préconise une assurance obligatoire à partir de 50 ans. La CSG sur les retraites serait aussi relevée.

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La rentrée se fera sous le signe des économies. Après une réunion le 20 août avec le Premier ministre François Fillon et ses ministres de l’Economie Christine Lagarde et du Budget François Baroin, Nicolas Sarkozy a donné le ton: les niches fiscales et sociales devront être rabotées de 10 milliards d’euros dès l’automne.

A contrario, pas question d’envisager de nouvelles dépenses, même pour faire aboutir une promesse de campagne de l’actuel président sur le financement de la dépendance – notamment pour les personnes âgées atteinte de maladies de la dégénérescence. Pourtant, le projet n’est pas enterré. «Ce défi [de la dépendance], nous devons le relever ensemble», réaffirmait Nicolas Sarkozy en janvier dernier. Dans l’agenda du gouvernement, il arrive juste après le dossier des retraites dont l’Assemblée se saisira à l’automne. Mais il n’est plus tout à fait celui du candidat Sarkozy.

Il y a quatre ans, on évoquait à l’UMP une 5ème branche de la Sécurité sociale «qui serait chargée de financer et de mettre en œuvre une politique globale axée sur le maintien à domicile, la remise à niveau des établissements d'hébergement et l'appui aux familles». Mais la crise est passée par là: à cause de moindres rentrées de cotisations sociales, le déficit de la Sécurité sociale a atteint 20,3 milliards d’euros en 2009, et devrait approcher les 27 milliards d’euros en 2010 (sur un total de dépenses de 377 milliards d’euros). Il n’est plus question à la tête de l’Etat créer une nouvelle branche qui risquerait de creuser encore plus le trou de la Sécu. Sauf à relever les cotisations sociales, mais le sujet est tabou. Changement de cap: alors que le projet de 2006 comptait mettre en oeuvre le principe de solidarité nationale, le projet de 2010 sera fondé sur un système d’assurance. C’est le sens du rapport de la mission parlementaire présidée par Valérie Rosso-Debord, députée UMP de Meurthe et Moselle, qui trace un cadre en 17 points pour mener la réforme.

Assurance obligatoire à 50 ans

Les préconisations de la mission Rosso-Debord font table rase de l’existant en instaurant un dispositif alimenté par une assurance obligatoire «perte d’autonomie» à contracter dès l’âge de 50 ans auprès des professionnels de l’assurance. En lieu et place de la Sécu, les mutuelles, les sociétés de prévoyance et compagnies d’assurance seraient parties prenantes du dispositif. Toutes sont dans les starting-blocks. Une contrainte: elles devront s’engager à prendre en charge toute personne frappée de perte d’autonomie quelle qu’ait été la durée de cotisation. Une sorte de mutualisation facilement réalisable: il suffit pour cela de créer un fonds alimenté par un prélèvement sur les cotisations. Et le tout constitue une forme de privatisation de la protection sociale.

Le dispositif public qui existe aujourd’hui pour la compensation de la perte d’autonomie des personnes âgées, serait voué à l’extinction. Il représente environ 22 milliards d’euros, dont 13,5 milliards d’euros proviennent des organismes de sécurité sociale, indique le rapport Rosso-Debord. Viennent s’ajouter les sommes versées par les départements dans le cadre de l’Allocation personnalisée d’autonomie (APA) créée en 2001 par le gouvernement Jospin, et une contribution de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) créée par le gouvernement Raffarin après la canicule de 2003. Un gros potentiel d’économies, notamment pour la Sécu!

 Hausse de la CSG sur les retraites 

Les retraités contribueraient également au financement de la perte d’autonomie par un relèvement de la CSG sur leurs indemnités. Le gouvernement avait donné le ton en déclarant que si la réforme des retraites ne sollicitait pas les retraités pour le financement du système, ceux-ci seraient mis à contribution pour la dépendance. Le taux pourrait être porté à 7,5% indique le rapport de la mission parlementaire, alors que la ponction va actuellement de l’exonération totale jusqu’à 6,6%. Les retraités seront donc sollicités pour financer la dépendance, la question posée étant non seulement celle du plafond de  la ponction, mais aussi celle de la progressivité.

Autre question: la CSG entre dans le bouclier fiscal dont Nicolas Sarkozy veut être le garant. L’augmentation liée à la contribution dépendance profitera-t-elle du même statut, introduisant une inégalité des retraités face à cette disposition fiscale? La mesure est symbolique alors que Valérie Rosso-Debord place les préconisations de son rapport sous le signe de l’équité et de la solidarité.

D’autres dispositions sont prévues. Par exemple, dans le cas de personnes souhaitant bénéficier d’une allocation personnalisée d’autonomie et disposant d’un patrimoine d’au moins 100.000 euros, un prélèvement de 20.000 euros maximum pourrait être effectué sur la succession. Ce qui revient à réclamer une plus forte contribution aux personnes disposant de certaines ressources.

 Un début de privatisation dans le financement de la protection sociale

Le gouvernement est obligé d’agir. L’Institut national d’études démographiques résume le constat que font tous les pays: «Le risque de dépendance physique et psychique progresse avec l’âge». Selon le bilan démographique de l’Insee, le nombre de personnes de 75 ans et plus en France (environ 5,7 millions en 2010) a presque triplé en 50 ans. Et le nombre de personnes de 85 ans et plus (environ 1,5 million) a été multiplié par 5! Cette évolution se poursuit: «En 2050, près d’un Français sur trois aura plus de 60 ans, contre près d’un sur cinq en 2010», précise la mission Rosso-Debord. 

L’Europe, qui a lancé un programme de recherche joliment intitulé Felicie sur la perte d’autonomie, considère que «si l’état de santé reste identique, d’ici à 2030, la population des Européens dépendants âgés de 75 ans ou plus pourrait augmenter de 72%», avec des taux de progression s’échelonnant de 50% au Portugal à 80% en France». Avec une amélioration de l’état global de santé, les taux de progression seraient abaissés, mais atteindraient tout de même 52% en France. D’où une nécessaire prise en compte politique du phénomène, un cadre pour le traiter et des moyens pour faire face.

Mais si le dispositif échafaudé par la mission Rosso-Debord voit le jour, il ouvrira une brèche dans le principe du financement de la protection sociale en France, avec un recul de la solidarité nationale au bénéfice des mutuelles et compagnies d’assurances privées. Autres grands débats en perspective.

Gilles Bridier

Photo: REUTERS/Suzanne Plunkett

 

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