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Six raisons pour interdire à l'Iran l'arme atomique

La question de l'arme nucléaire iranienne va bien au-delà de celle de la sécurité d'Israël. Elle pose un problème majeur de crédibilité aux pays occidentaux.

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Si l’on ajoute la politique toujours complaisante de la Russie, consistant à aider l’Iran à accélérer son accession à l’arme atomique, aux progrès millimétriques des sanctions à l’égard du régime d’Ahmadinejad et à l’état de plus en plus désespéré des négociations avec les Palestiniens, la possibilité d’une «frappe préventive» d’Israël à l’égard des installations nucléaire militaires iraniennes va en se précisant. Je ne compte plus les colonnes et autres articles publiés sur ce seul sujet au cours du mois venant de s’écouler. La contribution la plus détaillée et la plus frappante est celle de mon ami et collègue Jeffrey Goldberg dans son reportage pour Atlantic. Une lecture attentive de cet article ne laisse aucun doute sur au moins un point: le gouvernement de Benjamin Netanyahu ne cache pas qu’en cas d’absence d’attaque américaine, Israël est en mesure de monter une telle attaque et la montera dans un futur très proche. L’existence même d’Israël est considérée par l’écrasante majorité des décideurs politiques et militaires israéliens comme étant en jeu. À leurs yeux, une bombe iranienne est incompatible avec la survie à long terme d’Israël et même du peuple juif.

Il serait pourtant regrettable que les réflexions ne soient menées qu’à partir de ces considérations plutôt étroites. Une phrase tirée du reportage de Goldberg illustre mon propos: Israël, me dit Netanyahou, est préoccupé par un ensemble de problèmes qui ne se limitent pas à l’éventualité que l’Iran ou que l’un de ses alliés détruise Tel-Aviv.

Pourquoi Tel-Aviv? La ville est assurément la plus juive de toutes les villes d’Israël et a été construite au cours du siècle dernier. Elle est également la ville la plus séculaire, la plus moderne et la plus libre d’Israël, ce qui la désignerait naturellement comme cible de la colère apocalyptique des mollahs. Mais de nombreux Arabes et musulmans y vivent, comme dans les villes côtières qui la bordent. Et, comme je ne me lasserai jamais de le rappeler, aucune arme de destruction massive n’est actuellement en mesure de faire la moindre discrimination sur des bases religieuses ou ethniques.

Pourquoi Netanyahu ne mentionne-t-il pas Jérusalem, considérée par lui et les membres de son parti comme la véritable capitale d’Israël? Sans doute parce que cela reviendrait à poser la question de savoir si la théocratie iranienne peut sérieusement envisager d’immoler le Dôme du Rocher et d’autres lieux saints musulmans afin d’en finir avec la venimeuse «entité sioniste»? Sans parler du grand nombre de Palestiniens qui périraient dans une telle attaque. Il y a quelque chose de sectaire, presque de raciste, dans la façon dont cet aspect des choses est toujours ignoré.

J’ai tenté de soulever la même question lorsque Menachem Begin ordonna le bombardement du réacteur irakien Osirak en 1981. En cette occasion, tout ce qu’il avait trouvé à reprocher aux ambitions génocidaires de Saddam Hussein était qu’elles constituaient également une menace à l’encontre du peuple juif. Pourtant, toute personne un tant soit peu informée sait que si Saddam Hussein s’était trouvé en possession d’une telle arme, il l’aurait en premier utilisée contre ceux que sa propagande désignait sous le vocable de «racistes persans». (Voilà d’ailleurs pourquoi les forces aériennes iraniennes avaient tenté vainement de détruire ce réacteur peu de temps auparavant.) Dans son discours le plus agressif à l’encontre de l’ennemi sioniste, Saddam Hussein promettait qu’à l’aide de ses armes conventionnelles et chimiques, il «anéantirait la moitié d’Israël». Feu le dictateur mégalomane n’était pas particulièrement connu pour faire dans la demi-mesure. Il est possible que, quelque part au tréfonds de son cerveau reptilien, Saddam Hussein se soit souvenu que la Palestine n’est pas uniquement peuplée par des Juifs.

L’accent aujourd’hui placé sur le discours israélien et la possibilité d’une frappe israélienne est une tentative nauséabonde d’esquiver les responsabilités internationales. Si la dictature iranienne parvient à faire son entrée dans le club des puissances nucléaires, voilà ce qui arrivera:

1-Les lois internationales et la crédibilité des Nation Unies seront réduites en miettes. Les Mollahs auront rompu tous les serments solennellement prêtés: au Commissariat International à l’Energie Atomique; à l’Union Européenne, leur principal interlocuteur jusqu’ici; et aux Nations Unies. (Téhéran réfute l’autorité du Conseil de Sécurité de l’ONU en la matière). Les thuriféraires patentés des Nations Unies et des inspecteurs nucléaires internationaux devront officiellement en prendre acte.

2-Les Gardiens de la Révolution seront victorieux. Ils se sont hissés l’an dernier, par les armes et la violence, jusqu’à un pouvoir quasi-absolu en Iran. Ils sont également les gardiens du programme clandestin d’armement. Ce programme complété renforcerait considérablement la faction la plus agressive de la dictature en place.

3-Les Gardes disposeront également de moyens bien plus importants pour porter le fer en dehors des frontières de l’Iran. Les tentatives de déstabilisation du Liban par le Hezbollah et ses tirs de rockets vers Israël, les collusions iraniennes avec les talibans ou les forces nihilistes en action en Irak s’en trouveront plus difficiles à contrer, car ils impliqueront une confrontation avec une puissance détentrice de l’arme atomique.

4-Le même problème massif se trouvera également posé au cas où l’Iran entreprendrait un mouvement quelconque à l’encontre de tout Etat sunnite du Golfe, comme Bahreïn. Les journaux les plus extrémistes de la théocratie iranienne jubilent par avance à cette idée, ce qui explique que de nombreux régimes arabes espèrent –parfois publiquement– que cette menace «existentielle» à laquelle ils seraient eux aussi soumis soit écartée.

5-Aucun règlement du conflit israélo-palestinien ne sera plus possible, car les partisans palestiniens du rejet se rapprocheront encore d’un régime appelant à la destruction d’Israël et les opposants israéliens à toute solution négociée se verront renforcés dans leur croyance que les concessions ne sont qu’une perte de temps, dans le meilleur des cas.

6-Le concept de non-prolifération, si cher aux bien-pensants, rejoindra les livres d’histoires au côté de la Société des Nations.

Voilà quel serait le prix à payer pour ne pas désarmer l’Iran. Comment ne pas voir que les intérêts de toutes les nations à affronter la question frontalement, en considérant la question comme «existentielle» pour la civilisation, devraient prendre le pas sur les calculs ayant aujourd’hui cours dans le bureau de Netanyahou?

Christopher Hitchens

Traduit par Antoine Bourguilleau

Photo: Le réacteur de la centrale nucléaire iranienne de Bushehr Reuters

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