France

En France, le péage urbain est politiquement incorrect

Efficace contre la pollution, le péage urbain pourrait délester les grands centres-villes, notamment celui de Paris. Mais les maires restent frileux, de peur de se mettre à dos leurs électeurs.

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L’idée du péage urbain est de retour depuis que, le 16 juin dernier, quatorze députés et sénateurs ont adopté une disposition permettant des expérimentations dans les villes de plus de 300.0000 habitants. L’idée, toutefois, n’est pas nouvelle. Mais en France, elle a bien du mal à franchir les barrières politiques, à gauche comme à droite. «Déjà lorsque Lionel Jospin était Premier ministre, des députés des deux camps avaient souhaité pousser un amendement dans la loi SRU (loi du 13 décembre 2000 sur la solidarité et renouvellement urbain, ndlr) en faveur d’expérimentations, mais Matignon avait stoppé le projet», se souvient Alain Bonnafous, professeur émérite à l’Université de Lyon 2 et chercheur au Laboratoire d’économie des transports.  

 Sensibilité électorale

De toute évidence, les enjeux électoraux font reculer les élus. Même dans une ville où les encombrements sont aussi manifestes qu’à Paris, le maire PS Bertrand Delanoë en a déjà repoussé le principe. «Socialement, le péage urbain est contre-productif», commente le socialiste Jean-Paul Huchon à la tête de la région Ile de France. «Ce qui explique que, en France, aucune formation politique ne se soit appropriée le sujet», constate Alain Bonnafous. Pas même les Verts. Ainsi, tant que les maires défendront leur pouvoir de police (et ils ne veulent rien en céder), il sera bien difficile en France d’engager des expérimentations, quels que soient les arguments prenant en considération le gain de temps face au coût financier pour l’usager (de l’ordre de 3 à 5 euros pour un péage de pénétration en centre ville).

Pourtant, des villes comme Londres, Milan, Singapour ou Stockholm ont déjà mis en œuvre le péage urbain et aucune n’a fait marche arrière. A Londres, le recul de la circulation aurait atteint 15%, réduisant d’autant la pollution, soulignent le sénateur Louis Nègre et l’association qu’il préside (Transport Développement Intermodalité Environnement TDIE).

C’est oublier que si l’introduction du péage urbain dans le centre londonien en 2003 a donné de bons résultats au niveau d'une population limitée, son extension en 2007 aux quartiers ouest et sud-ouest de la capitale a été moins bien acceptée et elle pourrait être révisée. «Le bilan londonien est légèrement positif, mais le dispositif a coûté très cher», nuance Alain Bonnafous.

C’est pourquoi aucune grande ville française ne semble prête à franchir le pas. A Lyon, lorsque le maire Gérard Colomb dresse l’oreille, c’est seulement dans l’hypothèse d’un projet de péage qui concernerait toute la communauté urbaine, afin d’alléger le fardeau de ses seuls administrés lyonnais. Des simulations sur long terme ont été réalisées sur Lyon-Villeurbanne. Ses résultats ne sont pas encore connus.

Un choix économique lourd

Pourtant, un péage urbain fournit une réponse à plusieurs problèmes. D’abord, c’est un moyen pour réduire les encombrements en ville, améliorer la fluidité de la circulation et réduire la pollution automobile. Ensuite, c’est une source de financement pour le développement des transports collectifs. Plusieurs solutions peuvent être développées: un péage de zone notamment en centre-ville, un péage cordon s’il s’applique au franchissement d’un boulevard périphérique, ou d’un péage au kilomètre qui implique la mise en œuvre d’une technologie adaptée.

Dans tous les cas, une stratégie de péage urbain doit s’accompagner de transports collectifs complémentaires, avec non seulement des bus ou métros pour prendre le relais de l’automobile, mais aussi des parkings assez importants pour y déposer les voitures. Le schéma est séduisant mais «passer aux actes n’est pas si simple. Car il faut geler des terrains dont la valeur est forcément considérable», constate Alain Bonnafous. Dans le cas d’un parking gratuit, le manque à gagner est lourd pour la collectivité locale possédant le terrain. Et si le parking de périphérie est payant, la dissuasion ne fonctionne plus.

Les livraisons dans le collimateur

D’autres systèmes peuvent être échafaudés. Ainsi, on pourrait imaginer un péage uniquement pour les poids lourds. Jean-Paul Huchon, cette fois, y serait plutôt favorable, dans le cadre de l’écotaxe prévue dans le Grenelle de l’environnement et dont la mise en application… a été repoussée sine die! Pourtant, la formule est tentante: «Les véhicules de transport de marchandises en ville contribuent à plus de la moitié de la congestion urbaine, et même 62 à 63% en hyper-centre selon des études que nous avons menées à Bordeaux, Dijon et Marseille», précise Alain Bonnafous.

Mais il pointe aussi des dangers: «Si le péage doit s’appliquer à tous les utilitaires,  des difficultés vont vite apparaître pour définir les véhicules concernés. Si on fixe un seuil à 3,5 tonnes pour ne concerner que les véhicules plus lourds, on risque de favoriser un transfert des acheminements sur des véhicules plus légers mais plus nombreux, ce qui aura un effet contraire à celui recherché. Et si on applique ce péage à tous les véhicules de transport de marchandises en centre ville, on risque de faire naître des effets secondaires de long terme sur l’urbanisation avec des centres commerciaux de périphérie.»

Or, ce type d’urbanisation est générateur de transport. D’après Danièle Patier, du même Laboratoire d’économie des transports de l’Université Lyon 2, un supermarché de centre ville génère trois fois moins de voitures particulières qu’un hypermarché de périphérie pour la même quantité d’achat.

Comme pour les autoroutes…

Le prix du stationnement est un autre moyen d’appliquer une forme de péage urbain. C’est le choix souvent retenu dans les agglomérations américaines, souvent ceinturées par des périphériques gratuits pour les automobilistes qui n’ont pas besoin de pénétrer en centre ville. Ceux qui s’y rendent ont pour objectif de s’y arrêter. Le prix du stationnement est, dans ce cas, assimilé à un péage.

En Suède, les péages installés sur les voies nouvelles comme à Trondheim sont acceptés par l’opinion publique dans la mesure où ils servent à financer la poursuite des travaux d’infrastructures. Telle était, en fait, la fonction originelle des péages autoroutiers en France. Mais c’est l’Etat qui en avait décidé ainsi, pas les municipalités qui se révèlent en l’occurrence moins volontaristes.

A Paris, la place de la Concorde est sujette à de nombreux ralentissements, comme ici, le 19 juin 2009 /REUTERS/Charles Platiau

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