Économie

Pauvres petits patrons

Le gouvernement accède à toutes les demandes des patrons d’entreprise. Et ils trouvent le moyen de se plaindre.

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Après huit ans d’absence, l’Agence de protection de l’environnement recommence à mettre en place des réglementations. Deux ans après une terrible débâcle financière, le Congrès décide enfin de réglementer Wall Street. Mais à entendre les chefs d’entreprise des Etats-Unis, c’est suffisant pour replonger l’Amérique dans la récession. «Il faut que nous nous redynamisions, mais ce n’est pas une chose à faire [réglementer] quand le gouvernement et les entreprises ne sont pas en phase.», a dénoncé le PDG de General Electric (GE), Jeff Immelt.

Un «sommet» des patrons…

Le 12 juillet, la Chambre de commerce des Etats-Unis, la Business Roundtable (qui regroupe les PDG des plus grandes sociétés américaines) et la Fédération nationale des entreprises indépendantes se sont réunies à l’occasion d’un sommet intitulé «Des emplois pour l’Amérique». Tandis que le président Obama s’entretenait avec des PDG à la Maison Blanche, les participants au sommet ont revendiqué une réduction des impôts sur les sociétés, un élargissement des réductions fiscales pour les riches et l’ouverture de zones fédérales pour l’exploration des ressources naturelles. Rien que ça!

La conférence sur l’emploi de ces patrons fait sourire. C’est un peu comme si BP organisait une conférence sur la sécurité du forage en haute mer. Entre 2001 et 2009, les grosses sociétés américaines ont façonné la sphère du business conformément à leurs besoins particuliers: des prêts facilement accordés par la réserve fédérale; des impôts réduits sur les plus-values, les dividendes et les revenus; une administration qui laisse carte blanche aux entreprises pour ce qui est des réglementations. Pourtant, c’est un véritable échec.

En janvier 2001, le secteur privé aux Etats-Unis comptait 111,6 millions d’emplois. En janvier 2009, quand Bush a quitté la Maison Blanche, il y en avait 110,9 millions. Les marchés financiers se situent peu ou prou aux mêmes niveaux qu’il y a dix ans. Et puis la «décennie perdue» s’est soldée par la plus profonde récession depuis la Grande dépression.

…avec toujours plus de revendications

Pourtant, les PDG affichent un mélange inconvenant de myopie et d’ingratitude. Cette administration – comme l’administration Bush juste avant elle – continue de se montrer plus que complaisante à l’égard des lobbies commerciaux américains. La Maison Blanche avait récemment demandé à la Business Roundtable «de [lui] transmettre une liste détaillée de ses préoccupations concernant les objectifs de l’administration [Obama] en matière de régulations». C’est que rapporte le Wall Street Journal. 

Prenons l’exemple de Jeff Immelt, le PDG de GE. L’immense branche financière de ce conglomérat, GE Capital, avait misé sur les emprunts à court terme sur les marchés du crédit pour l’essentiel de son financement – un business model qui l’a considérablement fragilisé à l’automne 2008. La réserve fédérale est venue à son secours en garantissant l’immense marché des billets de trésorerie, sur lequel GE Capital était un acteur de premier plan. Puis la Federal Deposit Insurance Corporation a fait savoir qu’elle garantirait les dettes émises par les institutions financières, un nouvel avantage que GE a accueilli à bras ouverts. Aujourd’hui, GE Capital a un encours de dette garantie de 59 milliards de dollars [45,5 milliards d’euros] (ce qui représente environ un cinquième de l’ensemble du programme total en date du 31 mai). Il est vrai que GE Capital ne fait que profiter d’un programme qui est ouvert à de nombreuses entreprises, de toutes tailles, et que le groupe a déboursé plus de 2 milliards de dollars de cotisations. Toujours est-il qu’il reçoit un généreux financement de la part des contribuables.

A l’instar de nombreux autres groupes commerciaux, GE dispose d’un portefeuille d’activités qui lui permet de bénéficier du plan de relance, des nouvelles réglementations et des impôts des particuliers. GE continue à appeler à de nouvelles initiatives de dépenses publiques qui pourraient soutenir son activité. Le 9 juillet, le groupe a demandé au Congrès d’investir dans un réseau d’électricité intelligent. Le 29 juin, GE Energy et l’Association américaine d’énergie éolienne ont apporté une éolienne de 40 mètres au Nationals Park [stade de baseball] à Washington à l’occasion du match de baseball du Congrès de 2010 (ils ont transporté cette éolienne dans toute l’Amérique). Leur message: les contribuables doivent aller plus loin pour soutenir le développement de l’énergie éolienne. (GE Financial Services a investi dans 58 parcs éoliens.) L’entreprise a également demandé au Congrès d’établir un «standard national pour les énergies renouvelables» qui favoriserait les projets d’énergie propre.

Administration généreuse

Immelt et ses petits camarades PDG ont peut-être mille raisons d’être frustrés – la Chine ne s’avère pas être le gros marché que GE avait espéré; Immelt a été nommé PDG de cette société à une date pour le moins difficile: le 7 septembre 2001, quatre jours avant les attentats contre les tours jumelles –, mais ils ne peuvent pas s’en prendre au gouvernement américain. Ces neuf dernières années, une période où l’indice S&P 500 n’a pas bougé, le titre GE a chuté de 60%. En dépit d’un contexte réglementaire et général plutôt favorable, les grosses entreprises n’ont pas réussi à assurer à leurs parties prenantes des rendements adéquats.

Alors que les dirigeants des plus gros groupes américains reçoivent des aides considérables de la part du gouvernement, ils continuent de réclamer plus. Ils râlent à cause des réglementations, mais en même temps, ils se démènent pour les adapter aux besoins spécifiques de leur activité. Qu’ils arrêtent un peu de maugréer!

Par Daniel Gross

Traduit par Micha Cziffra

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