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Les impôts des Américains financent les colonies juives de Cisjordanie

Pourquoi le Trésor américain finance-t-il des groupes extrémistes dont les objectifs sont contraires à ceux de la Maison Blanche?

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Le président américain a-t-il déjà semblé plus incapable que la semaine du 6 au 9 juillet? Assis à côté du Premier ministre israélien, Obama n’a presque rien dit alors que Benyamin Nétanyahou (qui doit en être sa 10ème visite à Washington depuis le début de l’année) a sermonné tout le monde, insistant sur l’importance de ne pas s’en prendre à Israël et de ne pas le critiquer!

Pendant que la conférence de presse s’éternisait, et que l’expression «processus de paix» sonnait d’autant plus creux au vu des circonstances actuelles, les bulldozers et les colons poursuivaient leurs activités sur le terrain –sans interruption, apparemment. Leur objectif: rendre indisponible l’espace géographique sur lequel même un vestige d’Etat palestinien pourrait être créé.

 La Maison Blanche reste passive

L’opinion crûment exprimée du ministre des Affaires étrangères de Nétanyahou, Avigdor Lieberman, a été peu médiatisée. Véritable brute, cet homme politique est si hostile à la diplomatie qu’il effectue rarement des visites à l’étranger. Il a fait savoir qu’on ne pouvait en aucun cas espérer qu’un Etat palestinien soit créé dans le cadre des négociations actuelles. Lhumiliation du vice-président américain Joe Biden semble déjà oubliée. Sa visite à Jérusalem au mois de mars lui avait pourtant valu bien des railleries. En effet, le ministre israélien du logement (actuellement sous l’autorité du parti religieux [orthodoxe]Shass) avait alors annoncé la construction imminente de 1.600 nouveaux logements pour les colons juifs à Jérusalem-Est.

Je ne suis pas de ceux qui estiment que la création d’un Etat palestinien mettrait fin au ressentiment que nourrissent les musulmans envers les Etats-Unis. Obama, lui, en aurait la conviction. Si c’est vraiment ce qu’il croit, sa léthargie et son impuissance face au double jeu permanent de Nétanyahou sont d’autant plus condamnables. Les intégristes musulmans ont leurs propres objectifs et, dans le cas du Hamas et de ses soutiens iraniens, ils ont déjà montré que rien ne pourrait les satisfaire, hormis éventuellement la destruction d’Israël et la suppression de l’influence américaine dans la région. Pour autant, la recherche de justice et d’une patrie pour les Palestiniens est une cause nécessaire et légitime. Les Etats-Unis ont également une responsabilité particulière, à la fois juridique et morale: ils ont fait savoir à plusieurs reprises qu’ils visaient une solution à deux Etats.

Ce n’est pas sérieux de croire qu’une telle issue mettra un terme définitif à l’annexion permanente de territoires et de propriétés palestiniennes. Ces annexions ont souvent été condamnées y compris par des tribunaux israéliens. Au moment de l’arrivée de Nétanyahou, qui va tenter pour la dernière fois de jouer la montre, un long article publié par le New York Times risque de faire grand bruit.

Des fonds qui soutiennent les colonies de Cisjordanie exonérés d’impôts

Son titre, «Des fonds qui soutiennent les colonies de Cisjordanie exonérés d’impôts», est presque éclipsé par un sous-titre très direct:«Le gouvernement américain accorde des allégements fiscaux pour des dons en faveur d’initiatives auxquels il est opposé». Et ce serait presque un euphémisme. Sur les dix dernières années, l’article fait état d’au moins 40 organismes américains ayant perçu «plus de 200 millions de dollars [160 millions d’euros] de cadeaux déductibles des impôts à destination de colonies juives de Cisjordanie et de Jérusalem-Est» 

La documentation impressionnante compilée par le New York Times révèle des aspects à la fois connus et ignobles. Parmi les forces basées aux Etats-Unis qui soutiennent les colonies juives, beaucoup sont liées à des groupes d’activistes israéliens connus pour leurs actes de violence (dont les héritiers de feu le rabbin Meir Kahane), aux chaires les plus extrémistes du christianisme, comme celle qu’occupe l’hystérique révérend John Hagee , ou à des entreprises spécialisées dans l’escroquerie, comme celle gérée jusqu’à encore récemment par l’ex-lobbyiste tombé en disgrâce Jack Abramoff. Ce n’est pas une surprise qu’une partie du matériel fourni par ces organisations «caritatives» soit des équipements de sniper, des lunettes de vision nocturne, des véhicules blindés et des chiens de garde!

Voici concrètement ce qui se passe: le Trésor américain (ministère américain des Finances) ne fait pas obstacle à des allégements fiscaux accordés à des groupes d’extrémistes violents dont les activités, si elles étaient menées par des Israéliens, seraient interdites au regard du droit israélien! Il y a plus d’une décennie qu’Israël a interdit la défiscalisation des groupes qui se consacrent à la création d’«antennes» non reconnues en Cisjordanie. Ceci constitue, de fait, une subvention officielle octroyée par les Etats-Unis à des groupes de fanatiques hors-la-loi qui ont vocation à saper toute possibilité d’atteindre l’objectif déclaré des Etats-Unis s’agissant de sa politique au Proche-Orient.

Des dons justifiés par l’apocalypse!

Vous n’avez pas encore entendu la partie la plus choquante de cette sordide histoire. Jetez un œil au discours des groupes qui se moquent du droit national et international. Selon une organisation caritative du Tennessee, HaYovel, qui cherche à unir les efforts des fondamentalistes chrétiens (évangéliques) et juifs pour parvenir à un règlement concernant la région disputée de Samarie, le but de ces dons exonérés d’impôts est de se préparer pour «le retour imminent de Yeshua [Jésus], le Messie.» Je ne sais pas vous, mais moi je préférerais qu’ils utilisent leur propre argent, pas le mien, s’ils tiennent à se tenir prêts pour l’apocalypse sur la propriété d’autrui. Vous préférez un extrait du discours apocalyptique du révérend Hagee? «Israël existe grâce à un pacte conclu entre Dieu et Abraham, Isaac et Jacob il y a 3.500 ans. Et ce pacte tient toujours.».

Hagee et les siens sont libres de croire ce qu’ils veulent même si, ce faisant, ils nient le caractère essentiellement laïc de la Constitution de l’Etat hébreu. Et même s’ils exaspèrent les responsables israéliens lesquels se retrouvent à devoir gérer des colons extrémistes qui appellent à une résistance armée contre Tsahal (l’armée d’Israël).

En tout cas, le Trésor américain n’est pas libre d’utiliser les impôts des citoyens américains pour soutenir des initiatives absurdes, objet de dispute qui plus est. La Constitution américaine est sans équivoque sur ce point: le gouvernement américain n’a pas le droit d’«instaurer une religion». Or l’implantation continue de colons juifs sur les territoires palestiniens occupés vise assez clairement à répandre une foi sectaire de la forme la plus littérale et fondamentaliste qui soit.

Les Etats-Unis ont trouvé le moyen de saboter leurs propres initiatives diplomatiques au Proche-Orient. Ils s’aliènent jusqu’aux Palestiniens les plus conciliants et patients; frustrent les Israéliens de principe les plus ouverts au compromis; donnent des moyens financiers et matériels à certaines organisations américaines et israéliennes aux activités pernicieuses et bafouent leurs propres documents fondateurs!

Le Trésor américain, le Congrès et la Cour suprême prendront-ils conscience de cette violation flagrante, conçue pour que la guerre sainte soit plus imminente encore?

Christopher Hitchens

Traduit par Micha Cziffra

Photo: Reuters, Gil Cohen Magen; Colon juif priant en Cisjordanie, Juillet 2009

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