France

La démocratie et le pari de Pascal

Ce qui frappe dans la vie politique française, c'est la constance dans le grotesque et le chaos. Mais ça marche tout de même à long terme, alors tentons l'optimisme.

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Difficile de dire ce qui est le plus affligeant: les crapuleries ordinaires de nos élites, ou les réactions malsaines mais tout aussi ordinaires qu'elles suscitent; les conflits d'intérêt à la Woerth, ou les glapissements outragés de Montebourg et de Mélenchon; les cigares de Christian Blanc, ou les appels à la confiscation révolutionnaire du magot de Liliane Bettencourt...

Ok, tout n'est pas égal à tout. Côté crapuleries, entre les petits arrangements logistico-tabagiques entre amis du gouvernement et l'évasion fiscale pure et simple (si elle est avérée), il y a évidemment une différence d'amplitude. Et sans doute l'indignation de l'opposition, même hypocrite et surjouée, est-elle ultimement plus légitime que les turpitudes révélées chaque matin par une «presse d'investigation» alimentée en scoops par les dénonciateurs comme par les dénoncés et en fonction d'agendas tenus, eux, secrets.

Un peu comme une routine

Un regard panoramique sur le petit théâtre de la politique «à la française» donne pourtant plus envie d'aller voir ailleurs si l'herbe est plus verte que de crier «Halte au feu!» dans le désert, fût-ce avec Michel Rocard et Simone Veil. Car enfin, la générosité d'une shampouineuse milliardaire au profit d'un ministre du Budget/trésorier de parti est troublante, mais celle d'un magnat de la haute-couture à l'égard de deux éléphants socialistes (et concurrents) ne l'est pas moins. Pour ne rien dire de ces histoires de logements de fonction détournés de leur usage, de limousines avec chauffeur, de jets loués à prix d'or, d'enveloppes en papier kraft bourrées de billets de banque, de cumuls de mandats ou d'amitiés douteuses qui méritent à peu près autant d'être qualifiées de «classiques» que le Tour de France ou le Paris-Roubaix.

Quiconque a un peu de bouteille dans l'observation de la vie politique française –et a lu quelques romans classiques et autant de livres d'histoire– est en effet surtout frappé par la permanence de ces comportements prétendument «déviants». D'accord, on ne parle pas encore de déplacements de ministres en Falcon 900 dans Bel-Ami mais c'est davantage parce que les avionneurs ne s'intéressaient par encore à la presse, du temps de Maupassant, que parce qu'ils ne les avaient pas encore inventés.

En France, d'un régime l'autre, d'un gouvernement l'autre, la majorité profite, l'opposition s'indigne, leurs clientèles respectives font l'un et l'autre alternativement et l'atmosphère générale de décadence terminale est la norme –autant que les discours populistes et proto-insurrectionnels. On y fait même la révolution à intervalles plus ou moins réguliers, mais c'est pour tout réinstaller comme avant, des têtes nouvelles remplaçant les têtes tranchées littéralement ou figurativement.

L'aberration sur pattes

Ça peut être un peu angoissant, comme ça, lorsqu'on le vit au quotidien. Mais cette constance a aussi quelque chose de rassurant: la France est une espèce d'aberration sur pattes, dont la réussite indéniable à long terme (elle reste la cinquième puissance économique mondiale avec tout ce que ce raccourci implique de niveau de développement humain) est théoriquement incompatible avec le chaos qui lui tient lieu de système. Peut-être est-elle, quelque part, suffisamment bénie des dieux, pour rester sur la bonne trajectoire quoi qu'il arrive. Ou peut-être pas... Peut-être que ce coup-ci, c'est vraiment la fin des haricots.

Moi, maintenant que les jeux de hasard en ligne sont autorisés et que le soleil brille, je me la joue Pascal. Je fais le pari de la première hypothèse, celle de la marche inexorable, bien qu'insensée, vers le «mieux». Absurde? Bah, si je me plante, tout comme lui, je n'ai pas grand-chose à perdre: tout ça durera bien encore deux ou trois générations, non?

Et puis, «à l'aise Blaise», comme on dit chez nous. Chez nous, au pays du chaos.

Hugues Serraf

Photo: Les députés socialistes quittant l'Assemblée nationale, le 6 juillet 2010. REUTERS/Gonzalo Fuentes

 

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