Économie

La République des efforts exige de nouveaux héros

La réforme des retraites est une bonne occasion de montrer qu'une autre politique est possible.

Temps de lecture: 4 minutes

La vie est difficile pour les Français. Beaucoup ont vu leur pouvoir d'achat baisser, voire s'effondrer avec la crise. Plus de 500.000 salariés ont perdu leur emploi depuis un an et ont vu leurs revenus chuter de 40%. Ceux qui basculent du chômage à la fin de droits perdent entre 50 et 100% de leurs revenus.

On dit maintenant aux Français qu'il va falloir faire des efforts supplémentaires. L'Etat est surendetté, il doit s'engager dans une limitation drastique de ses dépenses, mener une politique de rigueur. Les stabilisateurs sociaux, qui maintiennent en survie artificielle le pouvoir d'achat des Français, vont être revus à la baisse.

Les efforts supplémentaires n'ont pas tardé: la réforme des retraites. Terra Nova a fait un bilan de cette réforme, publié sur Slate: les efforts ne sont pas équitablement répartis. La mesure phare, tout le monde la connaît, c'est le report de l'âge légal de 60 ans à 62 ans: elle est efficace au plan financier, elle rapportera 20 Md€ dès 2020. Mais qui va payer ces 20 milliards? Ceux qui aujourd'hui pourraient partir à 60 ans et qui, du fait de la réforme, devront patienter jusqu'à 62 ans. C'est-à-dire ceux qui ont commencé à travailler à 19-20 ans et qui obtiennent tous leurs trimestres de cotisation (40.5 annuités) à 60 ans: en gros, les Français qui se sont arrêtés au bac et n'ont pas poursuivi d'études supérieures, les employés, les ouvriers, bref les salariés modestes.

En revanche, si vous êtes diplômé d'HEC, vous avez commencé à travailler à 23 ou 24 ans, vous obtenez aujourd'hui la totalité de vos trimestres de cotisation autour de 63-64 ans: vous n'êtes donc pas concerné par le report de l'âge légal, vous n'en payez pas un euro.

La réforme est injuste et, en plus, elle est insuffisante: le compte n'y est pas, à peine la moitié du besoin de financement est couvert. Et beaucoup relève d'ailleurs d'un jeu de bonneteau: en l'absence de toute réforme du marché du travail, singulièrement du travail des seniors, on transforme un «jeune» retraité en «vieux» chômeur et on transfère le déficit des caisses de retraite aux caisses de l'Unedic, sans rien régler. Bref, il va falloir revenir rapidement, dès la prochaine mandature, sur la réforme des retraites.

Pourtant, une autre réforme était possible, juste et intégrale. De nombreuses propositions ont été faites: celles du PS, des syndicats, de Terra Nova. Au-delà des nuances, elles convergent dans leurs grandes lignes:

1- A court terme, des financements nouveaux

Du fait de la crise, il faut trouver 20 milliards d'euros tout de suite, dès 2010. Aucune mesure d'âge ne peut fonctionner à court terme. Les financements nouveaux ne doivent pas non plus porter sur les revenus salariaux, touchés par la crise, et déjà passablement «pressurés». Ils doivent donc principalement porter sur les revenus du capital. Terra Nova y a ajouté une mesure: faire contribuer les retraités aisés en alignant leur fiscalité sur celle des actifs. Elle a fait polémique, car notre représentation collective continue de considérer que les pauvres dans notre société, ce sont les retraités: c'était vrai dans les années 1960, ce n'est plus le cas aujourd'hui, les retraités ont un pouvoir d'achat en moyenne légèrement supérieur aux actifs. Dans ces conditions, est-il normal qu'Antoine Zacharias, ex-PDG de Vinci et titulaire d'une retraite chapeau de 2.5 millions d'euros par an, paie un taux de CSG de 6.6%, inférieur à celui que paie un salarié au smic (7.5%)? Le seul alignement des retraités aisés sur la fiscalité de tous les autres Français (sans toucher, bien sûr, aux retraites des classes moyennes et populaires) rapporterait 5 milliards par an.

2- A moyen terme, des mesures d'âge

Elles sont inévitables: les déséquilibres des régimes de retraite sont avant tout démographiques, les solutions sont donc démographiques. On ne peut continuer à recycler l'intégralité de nos gains d'espérance de vie en temps supplémentaire de retraite. Mais ces mesures doivent être justes. L'âge légal est un levier injuste pour assurer le recul de l'âge effectif de départ en retraite. L'autre levier, c'est la durée de cotisation. Il est juste: l'augmentation de la durée de cotisation touche de la même manière le bachelier et le diplômé d'HEC, appelé à travailler plus longtemps dans les mêmes proportions. L'effort est partagé.

Pour rendre possibles ces mesures d'âge, il y a un préalable impératif: l'amélioration du marché du travail. Il est anormalement dégradé en France, notamment chez les seniors et les jeunes. Le taux d'emploi est de 38% chez les 55-65 ans, contre 70% en Suède. 32% chez les moins de 30 ans, contre 69% aux Pays-Bas. Repousser l'âge de départ en retraite dans ces conditions, c'est créer des hordes de nouveaux chômeurs. 70% des Français qui liquident leur retraite aujourd'hui ne sont pas en emploi. La solution au problème des retraites se trouve en grande partie hors des retraites : sur le marché de l'emploi.

3 - Au-delà de la réforme financière, il y a une réforme oubliée: la réforme de l'architecture du système des retraites, la réforme «systémique»

C'est, en réalité, la plus fondamentale pour les Français. Car les régimes de retraite ont accumulé des défaillances sérieuses, jamais corrigées.

L'illisibilité: peut-on encore accepter que le système soit à ce point incapable de dire aux assurés quels sont leurs droits à retraite?

Les inégalités entre les retraites: le système est gangréné par des situations de grande injustice.

Inégalités sanitaires: il y a 7 ans de différence d'espérance de vie à la naissance entre un cadre et un ouvrier; si le système en tenait compte, l'ouvrier aurait une retraite majorée de 25%, et le cadre minorée de 7%.

Inégalités sociales: le système, fondé sur l'assurance, reproduit les inégalités de marché - il sert de hautes retraites très élevées, jusqu'à 20.000 euros par mois pour les seuls régimes obligatoires!

Inégalités techniques: le système génère des redistributions à l'envers, des smicards vers les CSP+ ; il pénalise aussi les Français qui changent de métiers («polypensionnés»).

Inégalités horizontales: il y a 38 régimes de retraite différents en France, et autant de droits.

Enfin, au-delà des inégalités, il y a le fait que nous héritons d'un système inventé à l'ère industrielle, standardisé, les mêmes paramètres pour tous: il ne fait pas droit aux demandes de choix individuel des Français. La retraite à la carte: telle est la grande réforme de société que les progressistes doivent promouvoir.

C'est dans ce contexte d'efforts demandés aux Français que la longue litanie des indélicatesses gouvernementales prend un tour si critique. Joyandet, Blanc, Estrosi, Woerth, Amara: rien d'illégal dans ce qui été révélé. Mais des facilités, notamment avec l'argent.

Le héros antique était exemplaire: il se sacrifiait pour préserver le bien du peuple. Dans ces temps de crise, la politique a besoin de nouveaux héros.

Olivier Ferrand

Photo: Superman / Caitlinator via Flickr License CC by

cover
-
/
cover

Liste de lecture