Économie

L'austérité sarkozienne: info ou intox?

Le problème de l'Etat français, c'est qu'il est d'abord un «Etat social». Couper dans le budget pour cesser enfin de vivre au-dessus de ses moyens signifie réduire les dépenses sociales..

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A gauche comme à droite, le mot «rigueur» est tabou. A gauche depuis 1983 et le «tournant de la rigueur», conduit par le couple Mauroy-Delors, qui a marqué un large abandon des promesses de 1981. A droite, depuis 1997, quand Alain Juppé a expliqué qu'il fallait couper dans les dépenses publiques pour que la France puisse  se qualifier à l'euro. Jacques Chirac avait dissous l'Assemblée nationale et organisé des élections anticipées... qui furent perdues.

Dans les deux camps, les «orthodoxes» qui pensent, comme les Allemands, qu'un Etat ne peut vivre en constant déficit et doit équilibrer ses comptes, sont très minoritaires. Les gouvernements, presque sans exception, ont tous été «dépensiers» depuis 35 ans. Les budgets ont tous été en déficit et la nécessité de se serrer la ceinture est niée par la majorité politique. Les candidats aux élections évoquent le besoin de faire des économies à chaque campagne électorale mais, le scrutin passé, les faits ne suivent jamais. Les promesses sont systématiquement oubliées sous tous les prétextes: le gouvernement invente de nouvelles dépenses, cède devant les manifestations, avance qu'il faut maintenir des avantages sociaux pour les plus démunis ou qu'il faut «soutenir la croissance», etc... Les déficits restent et la dette n'a cessé continûment de croître. Depuis 1978, son encours a été multiplié par 18, elle représentait  21% du PIB en 1978 et a atteint 67% en 2007, avant la crise, pour qu'ensuite la récession la conduise à dépasser aujourd'hui 80% du PIB.

Le tabou doit maintenant être levé. Le gouvernement évite encore le mot de «rigueur» et évoque hypocritement «des comptes rigoureux»,  le risque de glisser «comme la Grèce» ou encore le besoin de respecter «nos engagements européens». Mais la vérité est bien celle-là, celle d'ailleurs de nombreux pays développés: il est l'heure de régler les additions accumulées. Les marchés financiers ne considèrent pas la France comme un pays des PIGS (Portugal, Irlande, Grèce, Espagne) mais elle n'en est pas moins très «suspecte» et sujette à des «tests» éventuels. L'écart des taux d'intérêt entre les emprunts français et leurs équivalents allemands s'est creusé. En clair: Nicolas Sarkozy est mis sous surveillance. Il est poussé par les marchés, sans autre issue, à infliger une purge d'austérité au pays. Lui qui d'instinct fait partie des dépensiers, lui qui croit que la réhabilitation de la politique passe par la distribution fiscale, lui qui été élu en promettant la hausse du pouvoir d'achat, lui Nicolas Sarkozy, va devoir être le président de l'austérité.

La France peut-elle  -après 35 ans-  épouser la rigueur?  La réponse est: oui et non. Oui, car en reculant et en rechignant, en se battant pour en faire le minimum, en usant des anciens prétextes et en en inventant de nouveaux, les dépenses publiques vont être tout de même réduites dans le budget 2011 en préparation. Les marchés l'exigent.  Mais non, ni la France, ni son président, n'épouse véritablement la rigueur dans le sens où celle-ci apparaît toujours comme une contrainte subie de l'extérieur, mal assumée, provisoire, en tous cas non choisie pour ses vertus. La France reste keynésienne, son ADN reste celui d'un pays où l'Etat joue un rôle prépondérant et où l'Etat, comme Louis XIV, distribue des rentes et des rangs pour asseoir son pouvoir. La France est étatiste: pour la classe politique, pour l'opinion, pour les médias, cela signifie un Etat dépensier.

Le premier hic pour Nicolas Sarkozy est qu'il lui faut aller dans une direction qu'il déteste. Il hésite encore d'ailleurs et Christine Lagarde a évoqué la "rilance", mélange de rigueur et de maintien des dépenses qui préservent la croissance. Il est un second hic encore plus pénible pour le pouvoir: il tient dans un chiffre, schématiquement,  sur les 1000 milliards de dépenses publiques (tout compris), 250 relèvent des salaires des fonctionnaires, 50 des charges d'emprunt, 50 des investissements, 100 d'achats publics, 50 divers et, l'essentiel, 500 milliards relèvent de redistributions «sociales». Autrement dit, l'Etat français est un d'abord un «Etat social». Couper dans le budget signifie d'abord réduire «le social». Il n'y a aucune autre marge de manoeuvre véritable.

On saisit pourquoi Nicolas Sarkozy renâcle: à moins de 2 ans d'une nouvelle élection présidentielle, il lui faut infliger la purge alors que  sa cote de popularité est très faible (seulement 26% de Français se disent «satisfaits» de son action) et qu'il fait face à un parti socialiste qui, comme ignorant de la situation financière du pays, promet encore de nouveaux avantages et de nouveaux droits.

Or, la note est salée. Les rapports se multiplient qui disent tous que les efforts nécessaires sont très importants. Si rien n'est fait, si les dépenses continuent de croître sur leur lancée d'avant crise, la dette continuera de grossir inexorablement: elle atteindra 110% du PIB en 2020 avec une croissance moyenne annuelle de 2,5%, 125% avec une croissance de 2% l'an et plus de 140% du PIB avec une croissance faible de 1,5% l'an. La France est en train de perdre la maîtrise de ses comptes, il faut corriger cette trajectoire.

Pour parvenir à stabiliser la dette à l'horizon de 2020, il faudra couper les dépenses pour 1 point de PIB  par an, soit 19 milliards d'euros (si la croissance est de 1,5%), et 0,3 point soit 6,5 milliards d'euros (si la croissance est de 2,5%). A titre de comparaison, les efforts dans le passé n'ont jamais permis de réduire de plus que de 2 milliards d'euros par an les dépenses. Un gel net des dépenses rapporterait 7 milliards par an. C'est dire que la France doit s'engager dans un territoire budgétaire inconnu d'elle.  A plus court terme, c'est pire. Si la France veut tenir ses engagements vis-à-vis de Bruxelles et revenir à un déficit de 8% cette année à 3% en 2013, il faut trouver entre 60 milliards (scénario d'une croissance de 2,5%) et 100 milliards d'économies (croissance à 1,5%).

Couper autant dans les dépenses en trois ans est-ce possible en période électorale? Nicolas Sarkozy doit peu à peu s'y résoudre: le budget 2011 fera montre d'austérité. Mais qu'en sera-t-il dès la fin 2011 et en 2012 quand les échéances s'approcheront? Le doute sur la fermeté  du chef de l'Etat est permis. L'opinion publique peut-elle «accepter» la rigueur  ?, voilà son argument. Comment éviter que l'élection de 2012 soit la répétition de celles de 1997?, voilà sa crainte.

La difficulté est immense pour Nicolas Sarkozy de couper dans le «social» lui qui est déjà accusé d'être le président des riches. Avec la crise, le débat politique s'est focalisé sur les avantages dont jouissent les puissants: les bonus des banquiers, les gros salaires des PDG, les frais des ministres... Dans le climat populiste qui domine les esprits, les réformes sont vues comme destinées à épargner les nantis et la rigueur est regardée comme une nouvelle façon de faire payer les Français pour les dégâts causés par les banques.  Comment le chef de l'Etat peut-il sortir de cette impasse? Peut-il rétablir sa crédibilité?

Les restrictions incontournables qui s'annoncent devraient être l'occasion de regarder l'avenir et de refondre complètement l'«Etat social français», devenu trop coûteux avec des résultats de plus en plus médiocres. Chômage élevé, précarité, mauvais traitement des jeunes, échec de l'école, la France qui se prétend «sociale» devrait mesurer ses failles et réformer pour faire mieux avec moins.

Existe-t-il une austérité "socialement juste" ?Nicolas Sarkozy peut-il en être le président ? Les Français en doutent. Les marchés financiers ont de bonnes raisons de «tester» la capacité du chef de l'Etat, sa légitimité et sa détermination.

Eric Le Boucher

LIRE EGALEMENT SUR LA RIGUEUR: La France n'obéit pas aux marchés mais fait ce qu'ils demandent, Derrière la rigueur, la réinvention de l'Etat social et Laissez tomber Keynes, passez à Schumpeter.

Image de Une: Enseignants de retour d'une manifestation à Nice Eric Gaillard / Reuters

 


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