France

Woerth-Bettencourt: au-dessous du volcan

L'affaire est-elle le reflet d'une France malade ou la sanction de moeurs politiques contestables?

Temps de lecture: 4 minutes

Eric Woerth tiendra-t-il? Pourra-t-il se maintenir? A l'évidence, cela devient de plus en plus difficile. La presse vit au rythme de ces questions, en forme de pressions, auxquelles un pouvoir quelque peu désemparé tente de résister. Exit, en effet, l'affaire Bettencourt, ce vrai roman noir familial, que Balzac n'aurait pas désavoué, et qui est aussi un sujet en or pour les psychanalystes, comme l'a rappelé, sur France Culture, Caroline Eliacheff, spécialiste de la relation mère-fille. Arrive donc l'affaire Woerth, en avant-garde dit-on, d'une affaire d'Etat, le tout fondé sur un soupçon de «conflit d'intérêts». Nous voici plongés dans un climat politique qui, à l'image de la météo, est de plus en plus irrespirable. Est-ce le reflet d'une France malade? Ou la sanction logique de moeurs politiques contestables et de plus en plus violentes? A chacun de juger.

La tentation de l'amalgame

Pour ce qui me concerne, autant le dire tout de suite, par conviction autant que par expérience, je n'aime pas hurler avec les loups. Il me semble toujours important de se dissocier du «banc de poissons» (l'image est de Luc Ferry) lorsque celui-ci se met en mouvement. L'expérience est évidemment celle de la chasse au DSK qui avait été enclenchée, sur la base d'un dossier apparemment bien ficelé, transmis à la presse et qui avait conduit notamment Le Monde à titrer «La faute de DSK» pour s'apercevoir, 6 mois plus tard, que la ficelle était un peu grosse. DSK fut donc blanchi. Mais, entre-temps, sous l'empire de la jurisprudence Balladur-Jospin, il avait quitté le gouvernement. Le plus brillant de nos ministres des Finances fut ainsi sacrifié, première défaite du front socialiste avant la déroute d'avril 2002. En ces matières, où pour être repu, il faut pouvoir brandir une tête au bout d'une pique, je plaiderai donc pour la prudence, simple variante de la présomption d'innocence. Au moins devrait-on attendre les conclusions de l'enquête de l'Inspection des Finances.

Si bien que je me suis senti pour la première fois (!) plus proche de Jean-Pierre Raffarin que de Ségolène Royal. Cette dernière, qui cherche à reprendre pied –elle est durablement distancée par DSK et Martine Aubry dans la course à la candidature– mais dont l'intuition est légendaire (elle capte parfaitement la réaction du plus grand nombre), Ségolène Royal donc a poussé le bouchon trop loin. «Système corrompu», a-t-elle dit. Expression que tout un chacun peut traduire par le célèbre «tous pourris», cœur de doctrine de l'extrême droite, mais en poussant l'amalgame à un niveau que devrait s'interdire celle qui a porté les espoirs de 17 millions d'entre nous. L'amalgame le voici: rendez-vous compte, a-t-elle dit en substance, Mme Bettencourt possède des milliards d'euros et Nicolas Sarkozy ne trouve pas 10 millions d'euros pour Heuliez...

Je préfère donc à ces escalades verbales opposer la sobriété d'un François Hollande, qui pose à Eric Woerth et au gouvernement des questions précises, ou celle de Jean-Pierre Raffarin qui exhorte les politiques à ne pas «ajouter la violence à la violence». Et qui propose de mettre sur pied une commission bipartite qui pourrait être conduite par des anciens premiers ministres, dont Lionel Jospin, a-t-il précisé, et qui serait chargée d'édicter un code des bonnes pratiques pour toute personne entrant au gouvernement.

En attendant, le feuilleton continue et va continuer. Car il y a fort à parier que, dès lors que la pression de la presse paraitra s'essouffler, d'autres citations des enregistrements clandestins de l'ancien maître d'hôtel de Liliane Bettencourt seront distillées. Nous vivons une sorte de remake moderne du fameux roman de René Victor Pilhes, L'imprécateur qui vient d'ailleurs d'être réédité. Dans ce roman, une seule personne, agissant dans les sous-sols, finissait par provoquer l'effondrement de l'entreprise. Elle agissait à coup de lettres anonymes.

La gauche croit pouvoir pousser son avantage. Elle pilonne donc sans égard pour son propre passé et les leçons qu'elle aurait pu en tirer, apportant sa pierre à la prochaine étape du film: celle dans laquelle une majorité de Français sera convaincue qu'elle est la victime d'une oligarchie malfaisante.

L'imprudence, le cumul et la possible affaire d'Etat

On dira à juste titre: oui, mais, il fallait à ce moment-là ne pas alimenter le soupçon. Dans l'affaire Woerth, on peut donc distinguer trois niveaux: celui de l'imprudence d'abord. Il était en effet imprudent que l'épouse du ministre du Budget travaille chez un gestionnaire de fortunes, qui avait affaire au moins à un des plus gros contribuables français. Le problème vient de ce que celui-ci, en l'occurrence Madame Bettencourt, fraudait le fisc. La limite est ici difficile à définir. On a en effet dit à Eric Woerth: il ne fallait pas qu'elle travaille pour une entité susceptible d'être contrôlée par le fisc. Mais autant alors lui interdire de travailler, car tout le monde est susceptible d'avoir des contrôles fiscaux. Poser ce genre de limites, c'est renvoyer les conjointes de ministres à perpétuer la tradition d'Yvonne de Gaulle qui est, soit de faire du tricot, soit la charité. Mais alors il ne faut plus édicter de loi sur la parité. Et à l'heure où les organisations féministes réclament la fin de la double signature sur les déclarations d'impôt afin que l'homme signe la sienne et la femme la sienne propre, il faudra quand même s'accoutumer à l'idée que cette liberté-là vaut aussi lorsque l'un des deux entre au gouvernement.

Le deuxième niveau est plus préoccupant: il s'agit du cumul de la fonction de ministre du Budget, que fut Eric Woerth, avec celle de trésorier de l'UMP et collecteur de fonds du Cercle des riches donateurs au bénéfice de l'action de Nicolas Sarkozy. C'est Alain Juppé qui avait choisi Eric Woerth comme trésorier de l'UMP. Et c'est le même Alain Juppé qui concède aujourd'hui qu'il devrait y avoir incompatibilité entre l'appartenance au gouvernement et le rôle de trésorier du parti. Surtout lorsque ces mêmes partis politiques tirent le plus gros de leurs revenus du fond public. Cette question, après l'affaire Woerth, ne devrait plus être discutée.

Enfin, troisième niveau, peut-être le plus inquiétant en même temps que le plus dangereux politiquement: à partir des enregistrements de ce fameux maître d'hôtel, il est suggéré que des pressions pouvaient être envisagées, ou plutôt des recommandations, qui, toutes, peuvent laisser penser que le conseiller pour la justice du président de la République –qui ne l'est plus aujourd'hui– Patrice Ouart, pouvait influencer les magistrats. Si les soupçons se confirmaient, ce serait en effet une affaire d'Etat.

On verra d'ailleurs sans doute que ce fil-là sera tiré au maximum, car qui dit conseiller à l'Elysée, dit Elysée; qui dit Elysée, dit Sarkozy. CQFD. Inutile de rappeler que tout ceci se déroule dans un contexte de crise internationale, qui appellera chaque jour davantage des décisions plus difficiles. Contexte anxiogène s'il en est dans une société où la violence affleure à chaque instant. Nos politiques ont donc choisi d'interpréter pour nous Au-dessous du volcan.

Jean-Marie Colombani

À LIRE ÉGALEMENT SUR L'AFFAIRE WOERTH-BETTENCOURT: Affaire Bettencourt: rancoeurs en haute sphère, L'affaire Bettencourt pour les nuls, Qu'est-ce qu'un gestionnaire de fortunes ; La tradition de la collusion et L'affaire Woerth et la déontologie

Photo: Le volcan Tungurahua en éruption. Guillermo Granja / Reuters

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