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McChrystal: Obama le stratège

La nomination de Petraeus à sa place est un coup de génie d’Obama.

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Le président Barack Obama a accompli ce que beaucoup auraient considéré comme impossible à peine quelques heures auparavant. Il a limogé le général Stanley McChrystal, son commandant en chef des forces alliées en Afghanistan, de telle manière que non seulement il ne manquera à personne, mais qu'en outre son nom tombera probablement très vite dans l'oubli le plus total.

La décision d'Obama de remplacer McChrystal par le général David Petraeus est un trait de génie, une manœuvre imparable, autant politiquement que stratégiquement.

D'un point de vue politique, McChrystal a de nombreux partisans au Congrès et dans l'armée, mais Petraeus en a bien plus encore. Personne ne peut accuser Obama de compromettre l'effort de guerre, sachant que Petraeus va intervenir.

D'un point de vue stratégique, si McChrystal a mis en place la police militaire américaine en Afghanistan, Petraeus en est l'architecte originel. Petraeus écrivait littéralement le manuel de stratégie de la contre-insurrection quand McChrystal n'en était qu'à gérer les hunter-killers clandestins des opérations spéciales.

Petraeus a également été chef de l'US Central Command au cours des dix-huit derniers mois, et a supervisé les opérations militaires de tout le golfe Persique et d'Asie centrale, y compris l'Afghanistan. McChrystal a construit des relations avec des chefs militaires et politiques en Afghanistan et au Pakistan. Petraeus a tissé les mêmes relations, et bien d'autres encore.

Ceux qui s'attendaient à ce que les États-Unis relâchent la pression en Afghanistan seront déçus, à juste titre. Dans son discours du Rose Garden du 23 juin, Obama a été clair

C'est un changement de personnel, mais ce n'est pas un changement de politique.

Parmi ceux qui seront peut-être déçus par cette remarque — et par la nomination de Petraeus pour remplacer McChrystal-figure Michael Hastings, l'auteur de l'article du Rolling Stone qui a déclenché toute la chaîne des événements.

Obama savait dans quoi il mettait dans l'Afghanistan

La dernière partie de son article, intitulé «Le général fugitif», qui a aussi été la moins remarquée, ne se contente pas de critiquer l'idée même de contre-insurrection mais suggère également que le président Obama s'est laissé berner par ce concept, piégé par le rusé général McChrystal, sans saisir toute la porté de ses implications.

Hastings a ouvertement défendu ce point de vue dans une interview diffusée le mardi 22 juin dans une émission matinale de Public Radio International, The Takeaway. «Le président Obama a perdu le contrôle de la politique de guerre en Afghanistan, et je crois qu'il en a perdu le contrôle il y a presque un an». Obama, a poursuivi Hastings, «ne savait pas dans quoi il mettait les pieds quand il a annoncé l'engagement de McChrystal et puis l'envoi de 21.000 soldats, car quelques mois plus tard, on lui a demandé d'en envoyer 40.000 de plus. (...) Et ça, de toute évidence, ça a choqué le président Obama parce que l'année dernière (...), vous savez, il y a eu cette période de mise au point de trois mois».

Certaines sources internes m'ont soufflé qu'Obama n'a pas accordé tant d'attention que cela à l'Afghanistan quand il a décidé, en mars 2009, d'envoyer 21.000 soldats supplémentaires. Hastings a également raison quand il affirme qu'Obama a été surpris au départ de se voir demander 40.000 hommes de plus. Cependant, au cours de la «période de mise au point de trois mois» qui s'est terminée par son feu vert pour l'envoi de 30.000 soldats supplémentaires et une nouvelle stratégie de contre-insurrection, Obama a eu l'occasion d'appréhender pleinement dans quoi il mettait les pieds, de peser les risques et ses opportunités. Il est absurde de suggérer que McChrystal ou quiconque l'ait manipulé pour qu'il emprunte la voie sur laquelle il a fini par s'engager.

Pour le meilleur et pour le pire, cette guerre est la guerre d'Obama. Ses différends avec McChrystal n'avaient rien à voir avec ses politiques.

Petraeus rétrogradé

De toute évidence, la guerre et la stratégie de contre-insurrection sont plutôt mal engagées. Il est pourtant extrêmement peu probable qu'Obama change de voie, en tout cas pas avant décembre, quand ses commandants devront conduire une évaluation complète de leurs progrès. Limoger McChrystal allait forcément pousser de nombreux importants personnages — les soldats américains et leurs officiers, les commandants alliés et les dirigeants d'Afghanistan et du Pakistan — à se poser des questions sur l'engagement d'Obama vis-à-vis de la stratégie. Remplacer McChrystal par Petraeus devrait apaiser ces inquiétudes, frustrer les critiques de la stratégie actuelle et peut-être même les talibans insurgés, aussi.

Petraeus, commandant de toute la région, est rétrogradé en prenant ce poste. On imagine facilement le discours qu'Obama a pu lui servir, lui prouvant qu'il était le seul Américain capable de prendre la suite de McChrystal sans qu'il y ait aucun besoin de remise à niveau et, par conséquent, sans provoquer de nouveaux retards dans les opérations militaires (déjà très ralenties). Petraeus aurait eu du mal à résister à ce genre d'appel, en partie à cause de son sens du devoir, et en partie parce que lui aussi a un intérêt personnel et professionnel dans le succès de la mission.

En prenant ce poste, Petraeus gagne une influence potentielle énorme. Il y a un an, Obama, à la demande insistante du secrétaire à la Défense Robert Gates, a déchargé le général David McKiernan du commandement en Afghanistan pour engager à sa place le général McChrystal, qui semblait plus approprié pour la nouvelle stratégie. Obama aurait les plus grandes difficultés à limoger Petraeus, qui est un nom bien plus familier, dans un an, même avec une bonne raison pour le faire.

La bonne nouvelle est que Petraeus et son entourage n'ont montré, au fil des années, rien du mépris envers l'autorité civile que l'article du Rolling Stone a révélé comme étant galopant dans le milieu de McChrystal (un responsable du Pentagone, qui connaît les deux généraux, a affirmé le 22 juin, bien avant qu'il apparaisse évident que McChrystal allait partir, et encore moins qui allait le remplacer: «Il est impossible d'imaginer Petraeus et ses hommes agir ainsi, même sans journalistes pour les entendre»). Petraeus est bien plus discipliné, bien plus politiquement à l'écoute, dans tous les sens du terme.

Qui suivra McChrystal

La question toujours en suspens est de savoir si McChrystal sera le seul à partir. Dans son discours du Rose Garden, Obama a insisté sur la nécessité d'une «unité de l'effort» à l'intérieur de l'équipe de la Sécurité nationale américaine et dans toute l'alliance internationale. Vu le langage fleuri de McChrystal envers les deux, Obama a déclaré qu'il ne parviendrait pas à réaliser cette unité, et que par conséquent il ne pourrait réussir en Afghanistan «sans procéder à ce changement».

Pourtant, virer McChrystal ne mettra pas un terme à la désunion dysfonctionnelle qui ronge l'effort de guerre depuis plusieurs mois. L'ambassadeur américain, le général Karl Eikenberry, a déclaré publiquement que le président afghan Hamid Karzaï était un partenaire peu recommandable pour une campagne de contre-insurrection. Il a peut-être raison — il a presque sûrement raison — mais étant donné que la contre-insurrection ne peut réussir sans un partenaire convenable dirigeant le gouvernement national, cela revient à dire qu'Eikenberry est en désaccord avec la politique menée actuellement. Ses relations avec McChrystal étaient exacerbées par le fait que les deux hommes sont des rivaux de longue date; et ces animosités personnelles ont assombri une tension professionnelle probablement intenable. Si la politique américaine ne change pas, alors Eikenberry aussi devrait partir.

Et il faudrait aussi renvoyer Richard Holbrooke. Il est l'envoyé américain en Afghanistan et au Pakistan, mais depuis qu'il a crié sur Karzaï lors d'une de leurs rencontres, il n'est plus le bienvenu au palais de Kaboul (il a fallu le déplacement du sénateur John Kerry et 300 tasses de thé pour calmer le président afghan). Holbrooke aurait été viré depuis longtemps si sa patronne directe et amie de longue date, la secrétaire d'État Hillary Clinton, n'avait pas plaidé en sa faveur. Mais, comme Obama l'a dit le 23 juin: «La guerre est plus grande que n'importe quel homme ou n'importe quelle femme, que ce soit un simple soldat, un général ou un président». Il devrait agrandir sa liste pour y inclure «un envoyé spécial».

Un dernier mot: la veille de son limogeage, j'ai parié qu'Obama garderait McChrystal, en partie parce que le mépris de l'autorité civile affiché par le général ne s'étendait pas à un désaccord sur les politiques à suivre, et en partie parce que perdre ce commandant pourrait être considéré comme une mise en danger de la mission. Il se trouve que le président a pris ses responsabilités constitutionnelles, et ses obligations de commandant en chef, plus sérieusement que je ne l'en pensais capable — et qu'il a trouvé un moyen de le faire sans compromettre le moins du monde la mission entreprise. Qui ne serait pas impressionné?

Fred Kaplan

Traduit par Bérengère Viennot

Base d'Andrews, le 18 juin 2010. Jim Young / Reuters

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