Culture

Can you ninja?

Définitivement ringardisés, ou prêts à faire un grand come-back?

Temps de lecture: 5 minutes

Un citoyen américain déguisé en ninja vient d'être arrêté à la frontière afghane qu'il essayait de traverser pour retrouver Ben Laden. Equipé d'un pistolet, d'une épée, d'une dague et de lunettes pour la vision de nuit, Gary Brooks Faulkner, ouvrier du bâtiment âgé de 52 ans, a déclaré à la police qu'il avait décidé de partir seul tuer le chef d'al-Qaida. En 2007, Grady Hendrix avait fait le point sur le ninja et sa place dans la culture populaire, en faisant remonter ses origines jusqu'au Moyen-Orient.

Les ninja sont partout. Au cinéma, à la télé, partout. D'ailleurs, au moment où vous lisez ces lignes, il y a très probablement un ninja accroché sous votre bureau. Combattants mystérieux dont les origines remontent au Japon du XIVe siècle, les ninja étaient des assassins qui avaient atteint la maîtrise complète des arts de... Oh, et puis on s'en fout. Quel intérêt de savoir d'où ils viennent? Tout ce qui compte, c'est que les ninja peuvent vous trucider sans faire le moindre effort. D'ailleurs, les ninja sont tellement dangereux que s'ils font un effort, c'est justement pour ne pas vous tuer. Là, par exemple, si vous êtes encore vivant, c'est parce qu'un ninja essaie de toutes ses forces de ne pas vous envoyer une fléchette empoisonnée dans la nuque. Et les ninja sont bien sympa avec nous, malgré l'ingratitude dont nous faisons preuve depuis des décennies. Mais ne rêvons pas, si on les voit moins au cinéma depuis quelques années, c'est parce qu'ils sont en train de se préparer à prendre le contrôle de la planète. Et si vous avez plus de 30 ans, vous n'avez rien vu venir.

James Bond et super-rabbins

En 1964, avant que l'ironie ne transforme la terre entière en décharge de déchets toxiques, Ian Fleming écrivit son dernier James Bond, On ne vit que deux fois. A la fin de ce chef-d'oeuvre un peu déjanté, 007 renonce à sa vie d'homme blanc et embrasse définitivement la culture japonaise. Dans le film de 1967, le célébrissime acteur japonais Tetsuro Tamba interprète Tiger Tanaka, un agent secret japonais qui enseigne à Bond certaines techniques ninja. Mais ce que vous ne savez probablement pas, c'est que la série elle-même fut sauvée par les guerriers de l'ombre lorsque les producteurs annulèrent leur départ en avion au dernier moment pour aller voir une démonstration de ninja. Vingt-cinq minutes après le décollage, l'avion qu'ils auraient dû prendre s'écrasait, accident qui entraîna la mort de tous les passagers et de l'équipage. On peut penser que les ninja avaient sauvé la vie des producteurs pour les remercier, car On ne vit que deux fois allait marquer l'entrée des ninja dans la culture de masse occidentale.

La même année se produisit un évènement capital dans l'histoire des ninja: la Guerre des six jours. Ce conflit établit la souveraineté d'Israël et sans Israël, l'engouement du monde entier pour les ninja n'aurait certainement jamais vu le jour. En 1979, deux Israéliens, Yoram Globus et Menahem Golan, fondent Cannon Films, et, en 1981, Golan réalise Enter the Ninja (L'implacable ninja) dans lequel joue Shô Kusugi, un Japonais champion de karaté reconverti dans le métier de cascadeur puis d'acteur, qui allait devenir le plus célèbre ninja du cinéma des années 1980. Le succès du film permettra à Cannon de produire d'autres œuvres marquantes: Revenge of the Ninja (Ultime violence, 1983) et Ninja III: The Domination (Ninja III, 1984), deux films réalisés par un autre Israélien, Sam Firstenberg.

Aux sceptiques, on répondra que cette affinité entre Israéliens et ninja n'a rien de surprenant dès qu'on a compris que les ninja sont en fait des sortes de super-rabbins. Ainsi, ninja et rabbin sont les détenteurs de traditions ésotériques qui doivent rester pures sous peine de perdre leur puissance, tous deux sont habillés de noir et tous deux peuvent vaincre des adversaires bien plus nombreux qu'eux. A part les papillotes, la principale différence entre eux est que les Juifs orthodoxes consacrent beaucoup de temps à la prière, alors que les ninja consacrent beaucoup de temps au meurtre.

Les tortues

Le plus grand succès de Cannon sera American Ninja (American Warrior, 1985), dans lequel Michael Dudikoff interprète un ninja d'origine occidentale qui ne parviendra à vaincre ses ennemis que lorsqu'il aura redécouvert la tradition dont il est l'héritier. La bande annonce du film, conservée sur YouTube, vous laissera entrevoir les plaisirs exquis que ce film vous réserve.

Grâce à Cannon Films, les années 1980 voient les ninja s'infiltrer dans la chambre de tous les petits garçons américains. Snake Eyes, le célèbre personnage de GI Joe, était au départ un commando, mais Hasbro, le fabricant de jouets, le transforme en ninja lorsque le marketing comprend que son aura en sera décuplée de 40 %. Du jour au lendemain, on apprend que Batman doit ses talents à l'enseignement de maîtres ninja. Et n'oublions pas les Tortues ninja, qui ont rapporté un incroyable paquet de pognon pour des raisons que personne ne pourrait expliquer aujourd'hui.

Les années 1990 voient une véritable épidémie de films d'enfants-ninja, dont les plus connus forment la série des Trois ninja, qui connaîtront un énorme succès en vidéo. La plupart de ces films, dont 3 Ninjas Knuckle Up (les trois ninja aide des Indiens) et 3 Ninjas: High Noon at Mega Mountain (les trois ninja et Hulk Hogan contre Loni Anderson) sont produits et réalisés par Simon Sheen, de son vrai nom, Shin Sang-Ok. Grand réalisateur coréen des années 1950, Shin Sang-Ok est kidnappé par la Corée du Nord en 1978 et retenu prisonnier pendant huit ans avant de s'enfuir et de refaire surface à Hollywood, où il se lance dans le film d'enfants-ninja. Comparez ses films coréens, comme Flower in Hell (Jiokhwa, 1958), un drame émouvant sur la vie quotidienne des prostituées, avec la séquence de danse chez les Indiens dans 3 Ninjas Knuckle Up, et vous constaterez que la Corée du Nord est bien l'empire du mal.

Trentenaires attardés

Malgré leur popularité, Internet ne semble pas faire preuve de beaucoup de respect envers les ninja. Sur la toile, la plupart des gens qui prétendent aimer les ninja ne sont que des hypocrites, et, en fait, plus ils clament leur amour des ninja, plus ils se moquent d'eux. La série de vidéos «Ask a Ninja» est un des pires exemples de ce genre d'humour, qui plaît surtout aux gens dont la vie est si vide que toute référence distanciée à la culture populaire est pour eux source d'une hilarité sans borne. Regardez les vidéos de sites comme Ninja Spirit ou allez dans un restaurant à thème comme le Ninja à New York et vous pourrez mesurer la puissance de l'industrie du vide autoréflexif et ironique qui a probablement détruit le talent de ce pauvre Shin Sang-Ok. Comme l'ancien maître coréen, les ninja sont tombés dans les griffes des médiocres et ne sont plus qu'un objet de moquerie pour de tristes trentenaires attardés.

Mais ce sont les enfants qui feront l'avenir. Et heureusement. Après avoir administré un poison fatal à la série Harry Potter, qui se meurt lentement, les ninja ont soigneusement préparé le remplacement de cette dernière par Naruto, une série japonaise extrêmement populaire qui raconte les aventures d'un jeune apprenti ninja. Sur Cartoon Network, le dessin animé se classe parmi les plus regardés et la BD, qui en est déjà au volume 16, est en tête de liste de Bookscan à chaque nouveau numéro.

En juin 2007, le film Naruto the Movie: Ninja Clash in the Land of Snow a fait l'objet d'une ressortie en projection unique dans 166 cinémas aux Etats-Unis, dont la plupart avaient vendu toutes leurs places longtemps à l'avance. Si vous êtes adulte ou si vous ne pouvez apprécier la culture de masse que lorsqu'elle est placée entre guillemets, vous n'avez certainement jamais entendu parler de Naruto, mais sachez qu'il a fait pour les ninja ce qu'Harry Potter a fait pour les magiciens. Naruto est incompris, mais très fort, et il est placé sous la garde de mentors bienveillants qui lui transmettent un savoir très puissant. Comme d'autres avant lui, il incarne l'ultime fantasme de tous ces jeunes garçons qui se sentent sous-estimés par leurs parents et voudraient croire qu'il existe quelque chose de plus exaltant dans la vie que l'école et la famille, comme par exemple un lieu secret comme Hogwart ou une école pour ninja où ils seront enfin acceptés tels qu'ils sont. Ou tels qu'ils s'imaginent être. Vous l'avez compris, pendant que nous nous amusions des pitreries commises par des imposteurs, les vrais ninja ont lavé le cerveau des jeunes Américains pour les rallier à leur cause. Car telle est la voie du ninja.

Grady Hendrix

Traduit par Sylvestre Meininger

Photo: Ninja Town / glasgown finest via Flickr CC License by

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