France

Procès Kerviel: au tour des chefs d'être cuisinés

PROCÈS KERVIEL - La dernière semaine du procès du trader s'ouvre avec la venue à la barre de ceux qui dirigeaient Jérôme Kerviel.

Temps de lecture: 3 minutes

Deux ou trois questions restent en suspens, en «pending» pour reprendre le vocabulaire des traders, alors que le procès de Jérôme Kerviel, devant la 11e chambre du tribunal correctionnel de Paris, entre dans sa troisième et dernière semaine. Une semaine décisive puisque Eric Cordelle, Martial Rouyère et Philippe Baboulin –les trois responsables directs de l'ancien trader de la Société Générale, respectivement N+1, N+2 et N+3 dans la traduction DRH– doivent apporter leur témoignage ce lundi 21 juin et que Daniel Bouton, l'ancien PDG de la Société Générale, se présentera le lendemain.

Daniel Bouton et Eric Cordelle seront évidemment les plus attendus. Le tribunal essaiera de comprendre à quel endroit s'est produit le court-circuit qui a empêché une banque de 130.000 salariés à l'époque d'arrêter les agissements d'un «trader zombie», pour reprendre l'expression d'un professeur de finance entendu au cours de la deuxième semaine du procès. Si le premier a monté sa propre structure de conseil haut de gamme, dans la sphère de Rothschild et Cie, le second se serait reconverti dans la menuiserie ou dans l'ébénisterie, les sources divergent, dans le Perche. D'un côté, l'énarque sexagénaire, plus jeune inspecteur des Finances à 24 ans, directeur du Trésor à 38 ans. De l'autre, le quadra diplômé de l'Ecole Polytechnique et de l'Ecole nationale de statistique et de l'administration économique (Ensae).

Pars donc en week-end tranquille

Pour ce qui est des questions, elles relèvent à la fois de l'essentiel et du détail. La question essentielle restée sans réponse demeure: qui est ce trader indélicat, «criminel», a un jour dit Daniel Bouton? Reste des questions simples. Elles portent sur l'information dont disposait la hiérarchie directe et indirecte, proche ou éloignée de Jérôme Kerviel. Pour démonter les opérations douteuses du trader indélicat, l'informatique aurait mobilisé l'équivalent de 800 jours/hommes à partir du 18 janvier. Cela représente trois mois de travail pour une équipe de 40 personnes. Soit, il fallait tout mettre à plat, rentrer dans les détails, faire le tri du vrai du faux, du réel et du fictif. Mais, le 18 janvier 2008 à 17h29, Martial Rouyère recevait un mail de la part de la comptabilité dans lequel on peut lire que les positions prises par Jérôme Kerviel étaient négatives de 2,126 milliards au 31 juin 2007 et positives au 31 décembre de 1,554 milliard d'euros. Moins de deux heures plus tard, Martial Rouyère laissait partir Jérôme Kerviel en week-end. Jean-Pierre Mustier, le patron de la Banque de financement et d'investissement -et destiné à devenir le patron du groupe Société Générale- sonnait le tocsin. Entre le N+2 et le N+++ il y a dû y avoir une différence d'appréciation, voire une divergence de vue.

L'autre question de détail porte sur les appels de marge. Deux doigts de technique garantie sans noyade. Un spécialiste des marchés financiers explique:

Quand un trader prend une position (momentanément) perdante sur un marché, la chambre de compensation qui s'assure que les transactions (les ventes et les achats) se font correctement impose le paiement d'un appel de marge.

L'idée est de se garantir contre une défaillance de l'opérateur. Le trader doit alors prélever une somme d'argent sur sa trésorerie pour faire un virement à la chambre de compensation. A moins qu'il ne préfère enregistrer sa perte en débouclant sa position. Cette argent circule et vite, car il n'est pas question de rester 48 heures sans verser l'appel de marge ou sans enregistrer sa perte. Or, Jérôme Kerviel avait pris l'habitude de tenir ses positions perdantes pendant plusieurs semaines. A la mi-2007, les appels de marge versés par Jérôme Kerviel ou pour son compte auraient atteint 2 milliards d'euros, selon notre témoin soucieux de rester dans l'anonymat. Des sommes considérables et qui ne peuvent être masquées.

Et si on en faisait un modèle?

Et l'on en revient à la fascination de ces managers qui, en fin d'année 2007, réfléchissent à transformer les méthodes Kerviel en un business autonome... La difficulté dans le trading est d'inventer sans cesse des produits financiers nouveaux pour retrouver des marges qui fondent avec la concurrence. Exactement comme l'industrie automobile, la banque doit renouveler ses modèles pour espérer distancer ses rivales. On aurait pu assister en 2008 à l'industrialisation de la voiture maquillée, du trading masqué. A l'évidence, quelque chose leur avait échappé.

Philippe Douroux

Photo: Jérôme Kerviel et son avocat Olivier Metzner, le 9 juin 2010. REUTERS/Gonzalo Fuentes

À LIRE ÉGALEMENT SUR L'AFFAIRE KERVIEL: Procès Kerviel, procès inhumain ; Salariés de la Société Générale, jurez-vous de dire la vérité? ; Kerviel coupable, la Société Générale responsable ; Mat, l'ami imaginaire ; Trader masqué et cécité générale ; L'abracadabrant et l'absurde ; Le témoin bienvenu ; Monsieur K. ; Kerviel, incontrôlé ; Le trader noir et la banquière blanche ; Kerviel, le procès d'un homme ; Une bourde, un très mauvais timing et l'affaire Kerviel démarrait ; Kerviel, critique de la spéculation dure

LES POINTS DE REPÈRES: L'affaire Kerviel en 5 histoires incroyables ; L'affaire Kerviel en 5 chiffres ; L'affaire Kerviel en 5 dates ; L'affaire Kerviel en 5 acteurs ; L'ordonnance de renvoi du juge Van Ruymbeke Les procès verbaux d'audition de Jérôme Kerviel à la brigade financière

SUR LA JUSTICE: Défilé de ténors ; Comment réussir sa plaidoirie

cover
-
/
cover

Liste de lecture