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Le meilleur cuisinier européen est danois

Le Bocuse d'Or Europe a été décerné.

Temps de lecture: 4 minutes

La finale du concours du Bocuse d'Or Europe vient de se dérouler à Genève dans l'enceinte de Palexpo, tout près de l'aéroport. Vingt cuisiniers professionnels représentant vingt pays ont eu à mitonner en cinq heures deux plats imposés, à partir d'un Sterling flétan blanc pour le poisson et du veau suisse pour la viande, les garnitures étant laissées au choix des candidats.

Cette impressionnante joute culinaire internationale s'est déroulée devant un public bruyant et chaleureux, chaque cuisinier et son commis officiant dans un box cuisine de 18 mètres carrés –l'ambiance tenait des Jeux olympiques de la bonne chère, chaque toqué follement encouragé par ses supporters. Pour le candidat suisse, on frôlait le délire...

Figures imposées

Chacun des vingt pays en lice avait un juge président triplement étoilé, Éric Fréchon pour la France, Peter Goossens pour la Belgique, Gérard Rabaey pour la Suisse, chargés de la sélection nationale des chefs. Jérôme Jaeglé, second de Christian Têtedoie, chef patron du restaurant éponyme de Lyon, représentait la France qui détient le record des chefs lauréats du Bocuse d'Or, Régis Marcon triple étoilé de Saint-Bonnet-le-Froid (Haute-Loire), Michel Roth du Ritz, Serge Vieira de Chaudes-Aigues dans le Cantal, François Adamski du Gabriel à Bordeaux (le concours mondial du Bocuse d'Or aura lieu du 23 au 25 janvier 2011 à Lyon dans le cadre du Sirha).

Parmi ces vingt chefs d'Europe en compétition à Lyon, seulement douze devaient être sélectionnés pour le Bocuse d'Or –la plus fameuse compétition culinaire du monde, vingt-quatre chefs en lice et 20.000 euros pour le gagnant en plus des trompettes de la renommée. Pour 2011, il y a pléthore de candidats!

Donc le règlement pour ce type de concours prévoit des figures imposées comme en chorégraphie. Les produits de base sont les mêmes pour tous les toqués et c'est à chacun de montrer sa créativité, ses talents, sa gestuelle, sa manière de cuire et de présenter le flétan nordique puis le veau helvète.

Paul Bocuse, créateur du Bocuse d'Or en 1980, confie:

En voyageant à travers le monde, j'avais remarqué que les cuisiniers locaux à New York, à Tokyo, à Las Vegas, à Rio de Janeiro travaillaient les huîtres, la viande de bœuf, le saumon, le canard, l'agneau à leur manière, il m'a paru intéressant de les rassembler à Lyon tous les deux ans afin de confronter leur façon de faire, leur interprétation de deux produits et de juger de leur style - et du bon goût des préparations. Ainsi, tous les chefs peuvent s'enrichir du savoir-faire des autres. La cuisine est un métier de transmission.

À Genève, en juin, ou à Lyon l'an dernier, le matériel, la technologie, les fours, les frigos sont les mêmes pour tous les candidats. Et un huissier suisse est là pour chronométrer le temps des épreuves. Le projet bocusien, dès son lancement, a recueilli tous les suffrages des plus grands chefs du monde, la quasi-totalité des trois étoiles -près de soixante-dix dans le globe- marchent derrière le légendaire maestro lyonnais: phénoménale, l'aura de Paulo des bords de Saône.

Qui allait offrir le meilleur flétan? Et la pièce de veau la plus savoureuse? Le jury genevois comprenait trois stars des casseroles, Fredy Girardet premier trois étoiles suisse à Crissier près de Lausanne, aujourd'hui à la retraite, son successeur et son disciple Philippe Rochat, trois étoiles près de Lausanne, et Daniel Boulud, le Lyonnais devenu à New York l'archétype du chef international. Il revenait à ces trois sorciers de la poêle les tâches d'apprécier et de noter les deux plats de chacun des vingt candidats.

Que jugeaient-ils? La présentation, l'esthétique du plat et son goût –l'œil et les papilles. Rien d'autre, pas d'interview ni de dialogue avec les toqués.

Rasmus Kofoed du restaurant Geranium à Copenhague représentant le Danemark est arrivé en tête, suivi du Norvégien Gunnar Hvarnes du restaurant Hos Ingrid à Stavanger, Jérôme Jaeglé, le Français, se plaçant à la troisième place –comme quoi la France ne gagne pas à tous les coups!

Philippe Rochat, le lendemain du concours:

Pour moi, le goût, les saveurs priment tout. Le flétan du chef danois était une merveille en bouche, très proche du plat norvégien qui m'a laissé pantois. Le chef français n'était pas loin, mais distancé par les deux Scandinaves, sans aucun doute. Le travail sur les garnitures, les textures et la sphérification des produits méritent d'être salués. Il y avait de la beauté dans les trois présentations.

En vingt ans, les pays scandinaves sont sortis de leur cocon neigeux pour affronter les meilleurs chefs du monde et décrocher des places sur le podium. À noter que le restaurant Noma dans la campagne danoise a été élu meilleur restaurant du monde par la revue anglaise Restaurant. Il faut savoir que les plus valeureux maîtres scandinaves ont déjà remporté le Bocuse d'Or alors qu'aucun chef italien ou espagnol ou allemand n'est parvenu à se hisser au sommet.

Pourquoi? Ce type de concours bien spécifique repose sur des exercices culinaires formatés, millimétrés, corsetés par des règles précises: tout doit être logique et il n'y a pas de place pour l'improvisation spontanée. Il s'agit de présenter des préparations symétriques, à l'opposé de la cuisine spontanée du moment et de recettes ancestrales comme le cassoulet, le confit d'oie, la bouillabaisse ou la bourride.

Du veau suisse bien dressé dans l'assiette, au cordeau, aucun cuisinier n'a songé à le transformer en escalopes de veau milanaise avec spaghetti, ou en vitello tonnato comme chez Laurent à Paris.

Des vocations

Figée, datée, exigeant des heures de dressage, la cuisine de concours n'a jamais pénétré le répertoire des chefs étoilés français –trois heures pour envoyer un cœur de flétan et ses parures, non.

Il reste que le Bocuse d'Or a suscité des vocations de cuisinier, et a conduit des chefs valeureux à se mesurer à des toqués venus d'ailleurs. «Le Bocuse d'Or a été pour moi une source d'enrichissements, de connaissances, un vivier culturel à nul autre semblable», disait Régis Marcon, ex-moniteur de ski, descendu des collines de Haute-Loire pour réaliser en 1995 le magistral carré de veau margaridou, la recette ancienne d'une mère cuisinière d'Auvergne. Un coup de génie pour ce chef humble, près de ses hommes, aux créations admirables, le meilleur mitonneur de champignons de France (cèpes à se damner) qui a décroché la troisième étoile en 2005. Il était juré et l'an dernier, président de l'Académie des Bocuse d'Or. Mérité.

Nicolas de Rabaudy

Photo: Spoon Mirror / Francis Bourgouin via FlickrCC

 

  • Régis et Jacques Marcon. 43290 Saint-Bonnet-le-Froid (Haute-Loire). Tél.: 04 71 59 93 72. Fermé lundi soir, mardi, mercredi. Menus à 110 et 175 euros. Carte de 160 à 210 euros. Dix chambres de 350 à 500 euros.
  • Philippe Rochat. Crissier, à 7 kilomètres de Lausanne 1023 Suisse. Tél.: 41 21 634 05 05. Menus à 175 FS au déjeuner, 295 et 340 FS au dîner. Carte de 190 à 280 FS. Fermé dimanche et lundi, et à partir du 26 juillet pour un mois. Pas de chambres.
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