Monde / Économie

Starbucks, briseur du rêve syndicaliste américain

Le 12 juillet, le géant du café a annoncé son intention de fermer seize salons aux États-Unis, pour des raisons de sécurité. Une fausse excuse selon les baristas, qui y voient une manœuvre visant à empêcher la création d'un syndicat.

Entre la direction de Starbucks et les employés souhaitant la création d'un syndicat, la guerre est déclarée. | Eastman Childs <a href="https://unsplash.com/photos/BL_f4gQ0TXI">via Unsplash</a>
Entre la direction de Starbucks et les employés souhaitant la création d'un syndicat, la guerre est déclarée. | Eastman Childs via Unsplash

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Dans un communiqué publié le 12 juillet, le géant du café Starbucks a expliqué avoir pris la décision de fermer seize de ses salons: six à Seattle, la ville où la chaîne a ouvert sa première boutique en 1971, six à Los Angeles, deux à Portland, un à Washington D.C et un autre à Philadelphie. L'entreprise justifie ces fermetures par des incidents «liés à l'usage de drogues et autres perturbations» signalés dans ces cafés plus tôt dans l'année.

Les baristas des salons concernés par la fermeture ne sont néanmoins pas convaincus par cette explication. Pour beaucoup, il n'y a pas de doute: cette décision n'est qu'une tentative de plus pour ralentir l'avancée rapide de la syndicalisation des employés de Starbucks.

«Si vous regardez les statistiques, les salons syndiqués ou en procédure de syndicalisation ne représentent que 3% de l'ensemble des boutiques. Pourtant, 30% des salons qui vont fermer sont soit syndiqués soit en procédure de syndicalisation. C'est quand même un grand écart, fait remarquer Mari Cosgrove, qui travaille au 505 Union Street, un des cafés de Seattle destinés à fermer le 31 juillet. Au sein des syndicats, on s'accorde à dire que c'est en fait une tentative d'intimidation de la part de Starbucks

Propagande et visites de managers

Le premier salon Starbucks à avoir voté pour former un syndicat a été celui de Buffalo, dans l'État de New York, en décembre 2021. Depuis, plus de 200 salons, dans 32 États, l'ont rejoint. Une avancée rapide qui inquiète l'entreprise, peu incline à accorder plus de pouvoir de négociation à ses baristas. 

«On savait en se lançant dans la campagne de syndicalisation que ça allait être dur», confie Mari Cosgrove. Aux États-Unis, la création d'un syndicat doit être votée et approuvée par la majorité des employés avant de pouvoir être officialisée et que commencent les négociations avec l'employeur. Dès que leur salon a déposé une demande de création de syndicat en mars dernier, Mari et ses collègues ont donc vu un «tas de managers et même des gens plus haut placés» défiler pour les convaincre de la nocivité des syndicats.

Depuis que les premières boutiques ont voté pour la création d'un syndicat, Starbucks a multiplié les actions dites d'«union busting» («casseuses de syndicats»), très courantes aux États-Unis où les syndicats sont associés au communisme et jugés anti-américains.

Mari se souvient notamment d'une fois où «on [leur] a fait regarder une vidéo du PDG de Starbucks, Howard Schultz qui abordait le sujet. Il y utilisait un langage très négatif tel que “les syndicats nous attaquent”, des éléments de propagande antisyndicale standards aux États-Unis. Tous les employés du pays ont dû la regarder.» Malgré cela, les employés du 505 Union Street ont voté en majorité pour la création d'un syndicat le 27 mai 2022. 

«Starbucks préfère mentir»

Celle qui travaille à temps plein dans le café de Seattle ne pense par ailleurs pas que les problèmes de sécurité soient assez graves pour justifier sa fermeture définitive. Elle affirme même que «[s]on salon est un endroit sûr». «On a eu des problèmes au début de la pandémie de Covid et il arrive que des personnes sans domicile et qui, souvent, ont des problèmes mentaux, viennent. Mais le pire qu'elles aient fait, c'était de voler quelque chose. Elles n'ont jamais été un danger pour qui que ce soit.»

Et face à ces soucis, les solutions apportées par les baristas n'auraient pas été écoutées par l'entreprise: selon Mari, la direction aurait ainsi refusé «la venue [au café de Seattle] d'une personne spécialisée dans la prise en charge des personnes sans domicile, qui pourrait les aiguiller vers des soupes populaires ou des centres d'accueil».

«Starbucks préfère mentir et dire qu'ils nous ont fourni de l'aide, mais que cela ne suffit pas et qu'il faut donc fermer, plutôt que de reconnaître notre droit de nous syndiquer et se mettre à la table des négociations», s'agace la barista. Si la direction a reconnu fermer certains cafés qui ont voté pour la formation d'un syndicat, l'entreprise s'est cependant défendue d'avoir pris en compte cet élément lors de la prise de décision. 

Howard Schultz, l'homme qui n'aimait pas les syndicats

Dans une vidéo d'une réunion entre cadres qui a fuité sur Twitter le 13 juillet, Howard Schultz, président directeur général de l'entreprise de 1986 et 2000, puis de 2008 et 2017 et actuel PDG par intérim depuis la démission de Kevin Johnson en mars 2022, a prévenu que cette vague de fermetures n'était que la première et que «beaucoup plus de salons allaient fermer».

S'il n'a pas indiqué les raisons exactes le poussant à fermer certaines enseignes, le fait que plusieurs salons qui vont fermer le 31 juillet soient rentables laisse penser que le chiffre d'affaires ne sera pas un critère. Celui qui se présentait comme démocrate jusqu'en 2019, avant de finalement se déclarer «indépendant», a rejeté la faute sur les élus démocrates des villes dans lesquelles les Starbucks vont fermer. Selon lui, ces derniers n'en feraient pas assez pour régler les problèmes liés aux sans-abri, aux personnes atteintes de troubles mentaux et à la présence de drogues rendant les villes moins sûres.

Le scepticisme des baristas s'explique d'autant plus que Howard Schultz n'en est pas à son coup d'essai s'agissant d'empêcher ses employés de se syndiquer. Certains salons avaient déjà créé des syndicats vers la fin des années 1980, au moment où Howard Schultz accédait pour la première fois à la présidence de la marque à la sirène.

Mais aucun d'entre eux ne lui a survécu: le PDG a mené une campagne antisyndicale et licencié les employés qui militaient pour la formation d'un syndicat. Une action pourtant bannie par le National Labor Relations Act (NLRA) de 1935, qui interdit «menaces, intimidations ou actes de vengeance dans le but de faire peur aux employés qui voudraient former un syndicat». En 2008, il avait également mené une grande campagne de lobbying contre l'Employment Free Choice Act, qui avait pour but de faciliter les démarches de création de syndicats. La loi n'a finalement jamais été adoptée.

Et bientôt, tout recommencer?

Dès l'annonce de la fermeture du salon du 505 Union Street, Mari Cosgrove et ses collègues ont porté plainte auprès du National Labor Rights Board, l'agence du gouvernement fédéral qui s'assure de l'application du NLRA. Ils ne se font néanmoins pas d'illusions. 

«Cela peut prendre un moment, donc en attendant que le système judiciaire s'en occupe, on se concentre sur l'idée d'informer la population. On essaie de montrer aux clients ce que Starbucks fait contre ses propres employés. Beaucoup n'apprécient pas. Je sais que certains actionnaires ont vendu leurs parts parce qu'ils n'ont plus confiance en l'avenir de l'entreprise. Malheureusement, c'est l'un des seuls moyens pour que Starbucks nous écoute.»

L'entreprise a promis aux employés des salons fermés qu'elle n'allait pas les renvoyer, mais les affecter dans d'autres cafés. Les baristas ne conserveront néanmoins pas le syndicat qu'ils avaient formé et devront donc recommencer leur campagne dans d'autres salons, face à une direction toujours plus hostile.

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