Culture

Trente ans après ses débuts, Damon Albarn émerveille toujours

Pas question d'être d'un fanatisme nauséeux ou de manquer d'objectivité. Reste que Damon Albarn, leader de Gorillaz et de Blur, a tout pour rester dans l'histoire –autant qu'il s'en est inspiré. Et ça s'est prouvé une nouvelle fois au festival We Love Green.

Le chanteur britannique Damon Albarn, lors d'un concert avec Gorillaz, au théâtre antique de Vienne, le 15 juin 2022. | Olivier Chassignole / AFP
Le chanteur britannique Damon Albarn, lors d'un concert avec Gorillaz, au théâtre antique de Vienne, le 15 juin 2022. | Olivier Chassignole / AFP

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Trente albums en trente ans, belle perf'. Damon Albarn, avec son air désabusé de gendre idéal rockeur, c'est ce mec qui traverse l'histoire, ses tourments et qui, à 54 ans, réunit encore vieux comme ados avec Gorillaz, au festival We Love Green. Veste rose flashy, sourire moqueur... Ce concert, c'était vingt ans de tubes, cinq choristes, des hurlements puissants dans le micro, des câlins aux chanceux du premier rang. En tout, treize musiciens. Parce que Damon Albarn, c'est ça: quelqu'un qui ne fait rien à moitié.

Il est certain qu'en tant d'années de carrière, le musicien s'est déjà raconté mille fois. Il y a eu la folie Blur, celle plus douce de The Good, The Bad and The Queen, l'amour viscéral –presque épidermique– qu'il porte à la musique, les collaborations, les joies, les départs, les retours. «J'écris beaucoup trop de musique pour tout mettre dans un groupe», admettait-il dans une interview. Il est certain qu'en trente ans, Damon Albarn a marqué l'histoire de la musique, a écrit la sienne, mais a aussi traversé les époques.

Pourquoi plus qu'un autre? Car à travers lui, c'est toute une frise chronologique de l'histoire britannique qui s'est mue devant nous. Et c'est l'angle qu'a choisi le réalisateur Adrien Pavillard pour raconter le musicien dans un documentaire diffusé sur Arte: Damon Albarn, une histoire anglaise. Un film qui prouve une nouvelle fois combien le musicien, au génie créatif, s'inspire des moindres détails du monde, de sa grandeur comme de ses anomalies.

Le technicien de la musique

Très jeune, le musicien a commencé à apprendre, à décrypter et à analyser la musique, en prenant des cours de piano et de violon. En 1991, en plein succès de Blur, il confiait aux Inrocks: «Je suis très discipliné. Je me lève tôt, puis je fais du yoga, puis je bosse jusqu'à 17h, puis je fais la cuisine, puis j'écoute des musiques qu'on m'a recommandées, puis je me couche…» Damon Albarn, le bon élève. Mais jamais trop: il a la technique, mais ne s'enferme certainement pas dedans.

«Ce qui fait la force de Damon Albarn, c'est sa curiosité. Il pioche dans les détails, dans tous les styles», insiste Marjorie Hache, journaliste musique franco-écossaise. «Sa musique se développe avec celle qu'il écoute. Ses parents écoutaient de la musique africaine, turque… Lui était très fan de groupes des années 1960. Sa passion pour la musique n'est pas factice», souligne-t-elle.

Même au sein de Blur, Damon Albarn n'a cessé d'évoluer: «Sa curiosité l'a nourri et c'est ce qui a fait qu'il est encore capable de faire de nouvelles choses aujourd'hui.» Comme sortir, en 2021, un album solo bougrement expérimental et méditatif, The Nearer The Fountain, More Pure The Stream Flows. Ou présenter au Théâtre du Châtelet le spectacle Le Vol du Boli, «un chant d'amour envers le continent africain et son histoire», imaginé après ses multiples voyages en Afrique, rappelant Africa Express. Ou simplement s'entourer de musiciens aussi brillants pour en faire un collectif de machines à tubes: Gorillaz.

La violence et la beauté du monde

L'image collante du musicien de Blur, beau gosse rockeur qui ne penserait qu'à séduire les filles, c'en était trop après quelques années sur le podium des rois de la britpop. «Moi je me souviens, j'étais super excitée quand j'étais ado et que Gorillaz est arrivé», raconte Marjorie Hache.

«C'est un doublé visuel, musical. Ce n'est pas que du rock, mais aussi du dub, du hip-hop… C'est ce qui explique que ça attire autant et encore un large public.» Adrien Pavillard va même plus loin: «Gorillaz a été sa réponse au succès de Blur qui l'a dépassé et à l'image qu'on lui avait collé. C'est grâce à ça qu'il est devenu une superstar.»

 

Surtout, Damon Albarn a su s'imprégner du monde –de sa violence comme de sa beauté– pour le dessiner. Que ce soit lorsqu'il raconte son 11-Septembre avec Gorillaz dans la chanson «911», ou le repli sur soi dans le disque Merrie Land avec The Good, The Bad and The Queen.

C'est de ce constat qu'est parti Adrien Pavillard pour réaliser son documentaire: «En regardant de plus près sa carrière, on constate que lui a vécu une mondialisation heureuse. Il s'est ouvert à des horizons comme celui du Mali. Avec le Brexit, par exemple, il a eu l'air perdu. C'est la partie de la population anglaise [qui a voté pour le Brexit] qui a mal vécu la mondialisation. Après cet événement, Damon Albarn se sentait à la rue.»

Car il est clair que le Brexit va à l'encontre de tout ce qu'il fait depuis des siècles: s'ouvrir au monde, l'absorber et le rapporter. «Pour lui, c'était une injustice énorme. Des gens décidaient pour d'autres et surtout, une population âgée, riche, décidait de l'avenir des jeunes», souligne Adrien Pavillard.

Empreinte de la mélancolie

La gestion de la pandémie de Covid-19, aussi, l'a profondément marqué: «On doit permettre à la musique de continuer. Elle peut agir comme prescription contre le stress provoqué par le Covid-19», proposait-il à Skynews. «D'une certaine manière, notre idée de la musique se meurt», confiait alors le chanteur, anéanti par le fait que l'art semble si peu important aux yeux des autorités durant les crises.

«C'est drôle, parce que quelqu'un m'a dit à la projection du documentaire qu'il le trouvait très mélancolique. Et la mélancolie est un mot qui est beaucoup revenu lorsque je l'ai écrit», se remémore Adrien Pavillard. Damon Albarn, c'est celui qui regarde le monde avec justesse et tristesse. Et comment être le plus présent au monde si ce n'est comme ça?

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