Santé

La prosopagnosie, le syndrome des gens qui ne parviennent pas à se souvenir des visages

Ce trouble neurologique toucherait près d'une personne sur cinquante dans le monde. Derrière son aspect insolite, il peut être un important handicap social.

Dans les cas extrêmes, les prosopagnosiques peuvent ne pas réussir à reconnaître leur propre visage.<em> </em>| Jesús Rocha <a href="https://unsplash.com/photos/ZNOtwtFUvhk">via Unsplash</a>
Dans les cas extrêmes, les prosopagnosiques peuvent ne pas réussir à reconnaître leur propre visage. | Jesús Rocha via Unsplash

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L'information a fait le tour des médias people après la publication fin juin d'un portrait dans GQ Magazine: Brad Pitt pourrait être atteint de prosopagnosie. «Il craint que cela ne véhicule une certaine image de lui, celle d'un homme distant, inaccessible et autocentré», écrit l'autrice du portrait Ottessa Moshfegh. «En vérité, il aimerait pouvoir se rappeler ces nouvelles rencontres et il a honte de ne pas en être capable.»

Avez-vous des difficultés à reconnaître des gens que vous avez déjà croisés dans votre vie, même à plusieurs reprises? Êtes-vous toujours à la ramasse quand il s'agit de reconnaître des célébrités dans des films ou des magazines? Avez-vous l'impression que votre esprit est incapable d'enregistrer de nouveaux visages? Si oui, alors peut-être que comme le soupçonne Brad Pitt (et avant lui Thierry Lhermitte, avant de finalement démentir), vous êtes atteint de prosopagnosie. Ce trouble neurologique toucherait environ une personne sur 50 dans le monde, selon des chercheurs du Darmouth College. Il faut savoir cependant que sous son apparence insolite, voire cocasse, ce syndrome peut s'avérer très handicapant pour les personnes qui en sont atteintes.

«Beaucoup vivent avec sans se poser de questions, jusqu'à ce qu'un événement dans leur vie fasse tilt.»
Pr Olivier Martinaud, neurologue

Nous avons tous déjà connu ce moment gênant dans notre vie, lors d'un événement social par exemple, où nous avons été incapables de resituer une personne que nous avions croisée il y a fort longtemps. Mais comme le précisent les chercheurs du Darmouth College qui se sont spécialisés dans ce trouble neurologique, la prosopagnosie est beaucoup plus sévère que le simple fait de n'avoir aucun talent de physionomiste.

Les prosopagnosiques ont du mal à savoir s'ils ont déjà vu un visage, même s'ils l'ont rencontré à de très nombreuses reprises. Dans les cas extrêmes, ils ont du mal à reconnaître des personnes qu'ils voient pourtant quotidiennement et avec qui ils ont des liens affectifs puissants, comme leur conjoint et leurs enfants. Ils peuvent aussi ne pas réussir à reconnaître leur propre visage. Les chercheurs insistent également sur le fait que la prosopagnosie n'a rien à voir avec une difficulté à se souvenir des noms, mais bien une incapacité à reconnaître et à décoder le visage d'une personne, aussi connue et proche soit-elle.

Atteint sans le savoir

Il existe trois types de prosopagnosie avec des causes différentes. La première est développementale ou congénitale, présente dès la naissance; la deuxième est acquise et survient brutalement, il s'agit d'une lésion cérébrale causée par un AVC ou une tumeur par exemple; la troisième est progressive et liée à une maladie neurodégénérative, comme la maladie d'Alzheimer. Dans ce dernier cas, la prosopagnosie s'intègre souvent dans un syndrome plus général d'agnosie, c'est-à-dire que la personne peut aussi ne plus reconnaître certains sons, certains objets ou certaines odeurs.

Poser un diagnostic n'est pas l'étape la plus difficile. Un bilan ophtalmologique pour écarter tout type de trouble visuel, puis neurologique ou neuropsychologique pour confirmer l'origine neurologique, suffisent. Une IRM peut également être prescrite pour déterminer si le trouble est dû à une lésion cérébrale. Le plus compliqué, c'est de se rendre compte qu'on est atteint de ce trouble.

«La très grande majorité des prosopagnosiques ne consultent jamais, en grande partie parce qu'ils s'ignorent prosopagnosiques», explique le professeur Olivier Martinaud, responsable du CMRR (Centre mémoire de ressource et de recherche) du CHU de Caen. «Surtout dans le cas de la prosopagnosie développementale, c'est-à-dire de ceux qui sont nés avec le trouble, beaucoup vivent avec sans se poser de questions, jusqu'à ce qu'un événement dans leur vie fasse tilt.»

Le chef du service de neurologie raconte l'anecdote d'un homme au cinéma avec ses amis. Alors qu'ils discutent du film après la séance, l'homme s'étonne du fait que ses amis aient réussi à distinguer chacun des visages des personnages. «Lui a toujours été incapable de le faire, mais il pensait que c'était la norme!»

«C'est humiliant»

Pour compenser le fait qu'elles ne parviennent pas à décoder les visages, les personnes prosopagnosiques adoptent des stratégies, parfois de manière inconsciente. Elles vont alors utiliser d'autres repères, tels que la voix, la coupe de cheveux ou la démarche d'une personne pour réussir à la reconnaître. «Si les personnes ignorent l'existence de ce trouble et qu'elles ne sont pas confrontées à des situations particulières où elles perdent leurs repères, elles peuvent vivre sans trop de difficultés», assure Olivier Martinaud. Ainsi, une personne prosopagnosique peut réussir à reconnaître ses proches avec qui elle vit au quotidien, grâce à d'autres éléments que leur visage.

Les choses se compliquent dans certaines situations sociales, comme les soirées où tout le monde est habillé quasiment de la même manière (exemple avec les soirées mondaines de Brad Pitt), ou encore au travail lorsqu'on croise des collègues avec qui on a rarement eu l'occasion de travailler. Le chroniqueur de télé et de radio Philippe Vandel, qui est atteint de prosopagnosie, déclarait ainsi au Monde: «Chaque jour à l'accueil de France Info, il y a entre quatre et six personnes, je ne sais pas qui sont ces gens… Alors je fonce, je marche tête baissée. Et si quelqu'un vient me parler, tant mieux.»

C'est l'un des principaux problèmes de la prosopagnosie: à cause de leur syndrome, les prosopagnosiques peuvent passer auprès des autres pour des personnes snobs, indifférentes, voire impolies. La spécialiste des primates Jane Goodall a appris être atteinte d'une forme sévère de prosopagnosie l'empêchant de distinguer certains animaux, dont les singes. Mais même après avoir pris connaissance de son trouble, elle continuait à souffrir du handicap social qu'il pouvait entraîner:

«Même si je sais maintenant que je n'ai pas besoin de me sentir coupable, il est toujours difficile de savoir comment faire face. C'est humiliant parce que la plupart des gens pensent que j'ai élaboré une excuse pour justifier mon incapacité à les reconnaître et que, évidemment, je ne me soucie pas du tout d'eux. Évidemment, ils sont blessés. Je dois donc faire du mieux que je peux, et généralement, je fais semblant de reconnaître tout le monde! Et bien que cela puisse aussi avoir ses moments gênants, ce n'est pas aussi grave que l'inverse», écrit-elle dans ses mémoires.

«En l'absence de traitement, il n'y a pas forcément d'intérêt majeur à consulter si on n'est pas confronté à des situations sociales compliquées.»
Pr Olivier Martinaud

Pour s'éviter des critiques ou des remarques, d'autres vont préférer éviter tout bonnement certaines situations sociales. Avant le portrait dans GQ, Brad Pitt avait expliqué en 2003 au magazine Esquire qu'il avait tenté pendant un an de s'adapter, et de demander aux personnes qu'il croisait et qu'il ne parvenait pas à reconnaître de donner des détails sur leur rencontre. «Mais cela n'a fait qu'empirer les choses, les gens étaient encore plus offensés. De temps en temps, quelqu'un va me reparler du contexte et je vais dire: “Merci de m'avoir aidé”. Sauf qu'en retour, on me dit que je suis égoïste et prétentieux», a-t-il expliqué. «Du coup, je préfère rester chez moi.»

À ce jour, il n'existe toujours pas de traitement pour soigner la prosopagnosie, seulement des alternatives compensatoires pour aider la personne à reconnaître les gens (comme celles citées plus haut) et diminuer le handicap social dont elle peut souffrir. «En l'absence de traitement, il n'y a pas forcément d'intérêt majeur à consulter si on n'est pas confronté à des situations sociales compliquées et que le trouble ne nous empêche pas de vivre correctement», explique Olivier Martinaud. ​​

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