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Les Wallons, ces vrais Belges qui feraient de bien mauvais Français

Certains parlent d'un éventuel rattachement de la Wallonie à la France si la Flandre décide (dans un futur plus ou moins proche) de prendre son indépendance.

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Et pour essayer d'en savoir plus sur le casse-tête belge, c'est par ici.

Il est désormais indéniable que la possibilité d'une scission de la Belgique n'a jamais été si proche. Le leader de la NVA (Nouvelle Alliance Flamande), Bart de Wever, aime répéter à qui veut bien l'entendre qu'à long terme, la Belgique «s'évaporera». Depuis les élections du dimanche 13 juin, son parti est devenu la première formation politique de Flandre avec 30% des votes. En rajoutant les scores du Vlaams Belang et de la Liste de Decker (aussi indépendantistes), ce sont 45% des Flamands qui se sont exprimés en faveur de la fin de leur propre pays.

Et même les francophones commencent à s'y mettre. A quelques jours du scrutin, le leader du Parti socialiste wallon, Elio Di Rupo, avait pris la peine d'expliquer qu'en cas de sécession de la moitié nord du pays, un plan existait déjà. Rassurant. Mais quel plan? Probablement pas un projet prévoyant un rattachement à la France du sud du pays. Si 66% des Français seraient favorables à tel mariage, selon un sondage France Soir - Ifop, est-ce vraiment une bonne idée ? Un Belge wallon est-il un Français? Fort peu.

Pas de grands centralistes

Il est indéniable que les Belges francophones sont abreuvés de culture française. Ils lisent les mêmes œuvres littéraires que les Français, regardent les mêmes chaînes de télévision (TF1, France2, M6 font partis des chaînes gratuites) et parlent abondamment de l'actualité hexagonale dans leurs journaux. Mais cela ne fait pas d'eux de parfaits citoyens de la République. La culture politique reste très différente, tout comme les mentalités. Dans un pays complètement décentralisé, où le pouvoir est surtout exercé localement, imaginez que demain soit imposé le centralisme jacobin à la française?

Comment expliquer à un Arlonais (ville proche de la frontière avec le Luxembourg), qu'il va devoir se conformer à des décisions prises à Paris et non plus chez lui (en matière d'enseignement par exemple)? La relation qui existe entre les Wallons et l'Etat est totalement différente que celle entretenue par les Français. Chez ces derniers, l'Etat est sacré, protecteur et se doit d'intervenir. Un Wallon (comme les Belges en général), au contraire, est toujours méfiant et préfère le voir garder un minimum de distance. Motif? Un millénaire d'occupations en tout genre (Espagnols, Français, Autrichiens, Néerlandais, Allemands pour ne citer que les principaux) durant lesquelles l'Etat n'était pas forcément de leur côté.

Cela explique pourquoi en Belgique, les particularismes, les patois et les traditions locales sont toujours très vives et préservées avec soin. Pas question d'uniformiser ou de laisser l'Etat faire disparaitre ces héritages du passé comme ce fut le cas en France au XIXe. Nous sommes bien loin du concept et de l'esprit de la «République Une et Indivisible». Si la Wallonie devenait française, il faudrait lui octroyer un statut avec une large autonomie. Sans quoi, c'est la France qui se retrouverait avec une région voulant faire sécession.

Pas de plébiscite

Le sondage de France-Soir fait aussi abstraction du cas de Bruxelles, ville peuplée à 80% des francophones, enclavée en Flandre. A chaque crise politique, il est intéressant de voir apparaître aux fenêtres des maisons et immeubles de nombreux drapeaux belges comme l'expression d'un attachement au pays et un appel au dépassement des guerres communautaires car eux, s'ils sont francophones, ne sont pas Wallons. Qu'adviendrait-il alors de leur ville en cas d'annexion? Française aussi? Faites l'expérience dans la rue en annonçant à un Bruxellois qu'il «est quand même un peu Français». Il va bondir.

Il n'y a qu'un seul parti qui défend les thèses «rattachistes»: le Rassemblement Wallonie France. Le 13 juin, il n'a recueilli que 0,3% des voix à Bruxelles et 1,7% en Wallonie. De tels résultats démentent les sondages régulièrement organisés lors des regains de tensions communautaires, donnant 49% des Wallons favorables à un rattachement à la France.  Pour eux, cela ne serait qu'une solution par défaut.

Ne se cache donc pas dans chaque francophone de Belgique, qu'il soit Wallon ou Bruxellois, une volonté farouche de rejoindre l'hexagone. Le «plébiscite de tous les jours» d'Ernest Renan censé définir la nation française n'est pas absolument pas acquis. C'est là la faiblesse du sondage: il faudrait d'abord demander leur avis aux intéressés. Les Belges sont réalistes: ils savent que leurs voisins ne comprennent pas grand-chose à ce qui se trame chez eux.

Et quel intérêt pour la classe politique wallonne d'accepter l'annexion? Les politiciens se retrouveraient alors noyés au milieu de leurs homologues français et leur influence serait réduite. De plus, ils perdraient certains de leurs pouvoirs et compétences puisque l'autonomie des régions est bien plus faible en France.

Quelle identité «Wallonno-francophone»?

Et en ces temps de Coupe du Monde, demandez à un Belge - qu'il soit Flamand, Wallon ou Bruxellois d'ailleurs - quelle équipe il va soutenir, sachant que la leur n'est pas qualifiée. La première réponse est toujours «en tout cas, pas la France». Il ne faut pas y avoir un rejet de la France, mais derrière l'amitié indéniable entre les deux peuples, les Français sont aussi vus comme les grands voisins arrogants et méprisants envers leur petit pays. Les blagues sarcastiques des Français sur leur prétendue stupidité sont connues et ils n'hésitent pas à contre-attaquer. «Vous savez pourquoi les Français font des blagues sur les Belges? Car ce sont les seules qu'ils peuvent comprendre».

Toutefois, dans ce contexte de crise politique, il est vrai qu'une chose fait défaut aux Wallons et francophones en général: la définition de leur  propre identité. Pour eux, ce fut longtemps une question sans intérêt, puisqu'ils se considéraient comme Belges et que cela leur convenait très bien. Mais avec la volonté de plus en plus farouche des Flamands de quitter le navire, la question identitaire commence à émerger. Pourraient-ils encore se définir comme Belges si la Flandre s'en allait? Sur quoi reposerait leur identité propre? La réponse n'a pas encore été trouvée mais les affrontements communautaires peuvent favoriser son émergence rapide.

Vieux rêve français ?

En 2007, à la même question d'un éventuel rattachement de la Wallonie, 54% des Français avaient répondu «oui». En 2008, c'était 60%. Un chiffre en constante augmentation, comme si la France croyait de moins en moins en l'avenir de son voisin et qu'elle se considérait elle-même comme une solution. Cette attitude laisse transparaitre comme un vieux rêve d'avaler la Belgique et de se rapprocher des prétendues «frontières naturelles de la France». A l'inverse, le Premier ministre luxembourgeois, Jean-Claude Juncker, avait déclaré en 2007, au sujet d'une possible union Wallonie-Luxembourg que « le Grand-Duché n'a pas vocation à dépanner une Belgique qui se cherche ». Une position autrement plus humble et consciente des réalités.

Jean-Sébastien Lefebvre

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