Politique / Culture

Féminisme-washing, écologie de façade et néonazis acceptés: bienvenue au Hellfest

L'édition 2022, qui a mobilisé plus de 400.000 personnes, a été le théâtre d'un décalage criant entre la communication du festival et la réalité.

Les accusations s'accumulent, et leur somme est édifiante. | Sébastien Salom-Gomis / AFP
Les accusations s'accumulent, et leur somme est édifiante. | Sébastien Salom-Gomis / AFP

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Le Hellfest est un événement. Et après un événement jugé réussi, qui aura rassemblé près de 400.000 personnes, on sabre le champagne. Dimanche 26 juin, neuf jours après le lancement de cette messe des musiques extrêmes, son directeur emblématique Ben Barbaud donnait une conférence de presse, exercice classique de fin de festival.

Accueilli sous les applaudissements des médias conquis, il est pourtant questionné par un journaliste sur la présence d'artistes accusés de violences sexistes et sexuelles dans plusieurs enquêtes journalistiques, notamment celle de Mediapart parue en 2021. «Est-ce que le Hellfest compte faire quelque chose de concret dans le futur tel qu'arrêter d'inviter, rémunérer et promouvoir des artistes problématiques accusés –voire pour certains condamnés– d'agressions sexuelles et autres?»

 

Le journaliste évoque également la venue de plusieurs formations accusées d'être liées à des mouvances néonazies ou ouvertement racistes. La réponse du directeur est sans détour. «Je sais qu'il peut y avoir parfois dans nos choix de programmation un certain nombre d'artistes ou de personnalités qui ne sont pas approuvés par tout le monde. Et je le comprends bien évidemment. Encore une fois, et nous gardons notre ligne depuis le début, elle est claire et limpide: nous n'avons pas à juger les gens qui n'ont pas pour l'instant eu de condamnation. À partir du moment où un artiste, une personnalité, a le droit de faire un concert, on continue de s'autoriser à le faire.» Et de rappeler que les groupes mentionnés n'ont pas été condamnés. «Nous tenons à garder notre position d'à-côté et à ne pas prendre position sur ce genre de choses.» Clair et limpide.

Sous le plan com', le vide

Mais ne pas prendre position, n'est-ce pas déjà prendre position? Certes, le Hellfest a largement communiqué sur la Hellwatch, cette brigade d'une soixantaine de bénévoles disséminée au milieu de la foule, chargée de faire de la prévention sur les violences sexistes et sexuelles sur le site.

Brut en a fait un reportage, Ouest-France un décryptage, même si les personnes envoyées dans les maraudes n'ont pas été formées à proprement dit. En fait, le Hellfest, à défaut de parvenir à collaborer avec des structures spécialisées dans ces questions et ces pratiques en milieu festif, a décidé de faire les choses à sa sauce et de communiquer largement dessus.

Depuis plusieurs mois, le festival était en effet en lien avec l'association Les Catherinettes, spécialisée dans ces sujets sensibles et présent sur plusieurs événements cette année, tels que Les Trans Musicales de Rennes, Au Foin de la Rue, Les 3 Élephants, Les Nuits Secrètes ou encore Dub Camp Festival. Pourtant, l'association a préféré jeter l'éponge et se retirer du Hellfest.

Le Hellfest n'a de cesse de mettre en avant ses actions écologiques. Les à-côtés sont pourtant bien moins verts.

«Nous avions mis en place un partenariat que nous avons finalement rompu il y a quelques mois, affirme l'une des responsables de l'association. C'était clairement une question d'éthique, un désaccord de valeurs qui s'est confirmé petit à petit, au fil des échanges. On n'intervient jamais sur le terrain si nous n'avons pas formé les équipes de bénévoles et du staff en amont. Ils n'ont pas voulu mettre cela en place.»

L'enquête de Mediapart est sortie quelques semaines avant que le Hellfest n'annonce sa programmation, confirmant alors la présence de groupes comme Guerilla Poubelle, dont il est question dans l'article. «On a essayé de dialoguer avec eux, Mais c'était très compliqué. Ils n'ont pas souhaité toucher à la programmation, leur réponse était claire: mise en avant de la présomption d'innocence.» En faisant cela, en feignant de ne pas prendre parti, le Hellfest prend en fait la défense des groupes impliqués.

300.000 litres de fioul

Les Catherinettes ont tenté de maintenir le dialogue: «On savait qu'il y avait un réel besoin de sensibilisation, on voulait être présents et présentes pour le public.» Car le Hellfest a déjà été pris dans une vive polémique peu après son édition 2019. Une festivalière témoignait avoir été victime de viol sur le site du festival.

Dans un communiqué, le Hellfest se disait certes «bouleversé», mais regrettait que cette femme n'ait pas pris contact avec ses équipes, relevant également que son compte Facebook était alors suspendu, que son nom était introuvable dans le listing nominatif des festivaliers, et que rien n'apparaissait sur les vidéos des caméras de surveillance.

Et de rappeler aux différents médias «qui se sont fait l'écho de cette histoire qu'ils ont pour devoir de ne publier seulement les informations dont l'origine est connue et si nécessaire, de les accompagner avec les réserves qui s'imposent», de faire appel à leur «professionnalisme» avant de «titrer sur des faits aussi graves et préjudiciables pour l'image de l'événement». Et, plus largement, «pour l'image de toute une communauté reconnue pour son exemplarité et respectueuse».

Bref, les violences ça n'existe pas chez nous, et cette histoire pourrait bien être fausse. Le communiqué avait fait bondir. «Ils n'ont pas besoin de nous, ils l'ont clairement dit, continue la responsable des Catherinettes. Il fallait que l'on fasse partie de la machine, de leur communication. On était vus comme un prestataire qui doit s'adapter au client. Pourtant, on ne combat pas les violences sexistes et sexuelles avec un stand; il faut qu'un maximum de personnes soient formées pour agir sur le terrain.»

Autre point, et pas des moindres. Le Hellfest n'a de cesse de promouvoir ses actions écologiques en mettant l'accent sur son dispositif de tri des déchets ou en invitant une équipe de Sea Shepherd sur son site. Les à-côtés sont pourtant bien moins verts.

Dès l'automne 2021, des riverains de Clisson, ville où se tient l'événement depuis 2006, s'étonnaient de voir 35 hectares de vignes rasés pour laisser place à ce que la presse locale et le festival présentaient fièrement comme «le deuxième plus grand parking de France», pouvant accueillir jusqu'à 16.000 véhicules. Il n'en fallait pas moins pour accompagner cette édition mastodonte et ses 400.000 festivaliers.

«La scène metal n'est ni raciste ni antisémite. Je connais très bien Phil Anselmo. Et je suis persuadé que ses excuses sont sincères.»
Ben Barbaud, directeur du Hellfest

Le parking ayant vite été rempli, des solutions d'urgence ont été trouvées pour stationner les milliers de véhicules supplémentaires. Le Hellfest, qui a eu lieu en pleine canicule –les températures avoisinant parfois les 37 degrés en Loire-Atlantique–, a logiquement arrosé abondamment les personnes présentes, jetant des dizaines de milliers de litres d'eau, ce qui n'a d'ailleurs pas évité les centaines de malaises dus à la chaleur.

On a également pu voir Ben Barbaud se targuer d'avoir explosé un record inattendu: «On est le plus gros chantier électrique éphémère de France, avec 300.000 litres de fioul.» Champagne!

Tout est pardonné

Durant ces festivités, le Hellfest a programmé un groupe polonais, Mgła. Ce dernier est signé sur le label Northern Heritage Records, fondé et dirigé par un certain Mikko Aspa, musicien finlandais ouvertement néonazi et grand nom du mouvement NSBM (National Socialist Black Metal). En 2014, le groupe invitait d'ailleurs Aspa, qui se produit aussi sous le nom de Clandestine Blaze, à jouer avec lui sur scène à Helsinki.

 

Mgła est depuis longtemps montré du doigt pour des raisons similaires. L'un de ses membres, supposément renvoyé du groupe depuis cette affaire, a été pris en photo arborant le logo du groupe français Peste Noire, fondu dans les mouvances néofascistes et d'extrême droite nationaliste. Un autre membre a sorti en 2000 un album, certes resté confidentiel, intitulé Leichenhalle, y interprétant des titres nommés «Judenfrei» («Sans juifs»), référence aux territoires supposément débarrassés des juifs sous le Troisième Reich.

L'intéressé s'est défendu de toute apologie du nazisme, invoquant la volonté «d'explorer la déshumanisation», «sans la glorifier», dans un genre musical «explorant traditionnellement des thèmes obsessifs et dérangeants».

En 2016, le festival était déjà montré du doigt pour avoir choisi de maintenir dans sa programmation le groupe Down, dont le chanteur Phil Anselmo avait, quelques semaines plus tôt, fait un salut nazi et crié «White power» lors d'un concert.

Plusieurs événements en Europe avaient annulé sa venue, mais pas le Hellfest de Ben Barbaud, qui déclarait alors à Ouest-France: «Anselmo s'est excusé à plusieurs reprises. Il a même proposé de quitter le groupe pour ne pas nuire à ses camarades. Tout le monde est d'accord sur le fait que c'est inacceptable et que la scène metal n'est ni raciste ni antisémite. Je connais très bien Phil Anselmo. Et je suis persuadé que ses excuses sont sincères. C'est un provocateur qui joue les gros bras et qui perd pied quand il est ivre. Il a fait une énorme erreur.» Nazisme avoué, à moitié pardonné.

Le plus surprenant, c'est que le Hellfest n'a pas toujours été si coulant sur ces sujets auparavant. En 2011, les groupes Satanic Warmaster et Anal Cunt avaient été déprogrammés à la suite d'accusations et faits similaires. Alors, qu'est-ce qui a changé? Le prix de la bouteille de champagne? L'assurance d'avoir un public qui suit le festival coûte que coûte? Contacté, le Hellfest n'a pas donné suite à nos sollicitations.

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