Culture

Écrire un roman n'a rien d'une partie de plaisir

[BLOG You Will Never Hate Alone] Si jamais vous songez à écrire des romans, par pitié, oubliez. C'est une vie de misère qui vous attend.

La vie de romancier n'a rien de palpitant. | Infralist.com <a href="https://unsplash.com/photos/UOiNcIb6IWQ">via Unsplash</a>
La vie de romancier n'a rien de palpitant. | Infralist.com via Unsplash

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On ne sait pas pourquoi on écrit des romans. Ce n'est jamais une question d'envie, mais un besoin irrépressible de fixer sur le papier les vertiges qui vous hantent. De répondre aux sollicitations de votre esprit, lesquelles vous échappent complètement, comme si vous abritiez une force inconnue qui d'une manière ou d'une autre vous poussait à écrire précisément ce livre, force mystérieuse à laquelle vous ne pouvez vous soustraire.

Inutile de dire que c'est tout sauf une partie de plaisir. C'est même tout le contraire. Une plongée en apnée dans les territoires obscurs de votre intimité, là où gisent vos secrets les plus enfouis, de ceux qui forment la substance même de votre être. Comme si vous vous étiez donné rendez-vous à vous-même afin d'éclaircir les mirages et sortilèges qui vivent en vous.

Évidemment chaque écrivain écrit comme il peut. Probablement en existe-t-il qui pratiquent l'écriture comme d'autres la chasse aux papillons ou le saut à l'élastique. En tongs, une cigarette au bec et l'esprit en roue libre. Le nez dans la coke et l'esprit sous influence. Si satisfaits d'eux-mêmes qu'ils en viennent à louer leur propre génie dans un déluge de satisfecits qui durera longtemps après la publication de leur livre.

Ce n'est pas trop mon cas, hélas. Je n'écris qu'à reculons. Quand j'ouvre mon document où, depuis la veille, mon manuscrit repose, c'est tout juste si je ne pousse pas un cri d'effroi. Il se dégage de lui comme une animosité, une franche hostilité qui me donne envie à chaque fois de prendre mes jambes à mon cou. De toute évidence, je ne suis pas le bienvenu. Sitôt que je m'approche trop près de lui, le voilà qui grogne, rouspète, vitupère, me prie de dégager au plus vite.

C'est tout de même extraordinaire, c'est moi l'auteur de ces lignes et voilà qu'elles me congédient comme un malpropre. Il me faudra déployer des trésors de patience et d'abnégation pour qu'enfin, après des heures de négociation stérile, je puisse à nouveau prendre possession de mes terres. Me voilà enfin aux commandes et dans les heures qui suivent –deux à tout casser– je vais pouvoir avancer dans l'écriture de mon chef-d'œuvre. Non sans peine. Chaque phrase, chaque mot est toujours affaire de compromis, d'un marchandage infini entre moi et moi, d'une remise en question permanente.

Quand j'achève ma journée de travail, j'ai le regard hagard de celui qui vient d'accomplir un double triathlon à cloche-pied. À quoi s'ajoute la conviction d'avoir écrit des paragraphes entiers qui déshonorent l'idée même de littérature. J'éprouve alors un dégoût de moi-même si profond que je songe à m'engager dans la Légion étrangère pour ne plus jamais oser me prétendre écrivain.

Le pire étant que le lendemain, tout recommence exactement comme la veille. Les mêmes suppliques, les mêmes crises de jalousie, les mêmes envies de tout envoyer paître. Et ainsi, pendant des mois et des mois, des années entières, sans que jamais rien ne s'écrive facilement. Un écrivain est avant tout un masochiste confirmé. Un grand malade assez fou pour prendre plaisir à passer des heures enfermé chez lui à accoucher de phrases qui toutes lui donnent un profond sentiment d'impuissance et de désolation.

Sans parler de ces journées de travail où il ne se passe rien. Absolument rien. Où pendant des heures vous restez là à contempler l'écran vierge de votre ordinateur, la page immaculée de votre document, qui vous disent en chœur l'absolue splendeur de votre ineffable stupidité. De votre impuissance. De votre parfaite et infinie incongruité. Ah vous dirais-je alors la profondeur de mon ressentiment, cette certitude que le roman s'en est allé pour ne jamais revenir, cette envie de m'apitoyer sur mon sort comme le plus misérable des hommes?

Un jour, deux jours, parfois une semaine à tourner autour sans trouver l'ouverture jusqu'au moment, où, sans aucune raison apparente, comme suite à une intervention divine, un coup de dés du hasard, le roman, votre roman, consent à vous laisser entrer.

Trop aimable, ducon.

La vie de romancier est aussi palpitante que celle d'un caissier goy dans un supermarché casher. Vous n'avez personne à qui vous confier et personne n'est à même de comprendre la profondeur de vos tourments. Au mieux, aux yeux de l'opinion, vous passez pour le plus grand des glandus, au pire pour un parasite qui vit sur le dos de sa compagne.

Écrire ne fait plus rêver. Je l'ai compris lorsque j'ai passé quelques jours à l'hôpital. Quand l'infirmière m'a demandé ce que je faisais dans la vie, j'ai répondu très fier de moi, anticipant sa surprise, «J'écris des romans.» Sur la tête de Moïse, j'aurais pu prétendre travailler à la Sécurité sociale qu'elle n'aurait pas manifesté une indifférence plus grande. Rien, zéro. Pas l'ombre d'un étonnement ou de début d'une curiosité. Elle a simplement vérifié le niveau de mes perfusions avant de repartir aussi sec.

Tandis que si j'avais dit que je travaillais à la télévision ou dans le cinéma, tu penses comment elle m'aurait bombardé de questions.

Bref, si jamais vous songez à écrire des romans, par pitié, oubliez.

La vie est trop courte pour la gâcher de la sorte.

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