Santé / Culture
présente

Des jeux bons pour la tête

Si jouer est un excellent moyen de se vider le crâne un bon coup, Donjons & Dragons (D&D) a indéniablement un petit truc en plus.

On cherche l'excitation, un minimum de trouille, évidemment –mais pas le malaise et encore moins l'angoisse.
On cherche l'excitation, un minimum de trouille, évidemment –mais pas le malaise et encore moins l'angoisse.

Temps de lecture: 4 minutes

Anxiété, dépression, isolement, coup de blues… Dans un monde où la pandémie n'aura rien arrangé, beaucoup cherchent à s'engager dans des activités qui permettent de renouer avec le bien-être et l'apaisement. Et si le jeu est un excellent moyen de se vider le crâne un bon coup, Donjons & Dragons (D&D) a indéniablement un petit truc en plus. La preuve par quatre.

1. On joue ensemble

Au festival des plus gros clichés longtemps associés au jeu de rôle, celui qui reprochait à D&D de favoriser l'isolement est sans doute le plus absurde pour une activité par définition sociale. Si le jeu créé par Gary Gygax et Dave Arneson en 1974 compte plus de 50 millions de joueurs dans le monde aujourd'hui, c'est d'abord parce que rien ne remplace le pur plaisir de se rassembler à intervalles réguliers autour d'une table, qu'elle soit physique ou virtuelle –au gré des confinements, D&D aura sauvé bien des soirées mornes de la déprime et de la monotonie ces deux dernières années, par la grâce du haut débit.

Passer du temps avec des amis après une longue semaine pour tomber un dragon ou un prince noir particulièrement costaud, c'est non seulement un pur plaisir de joueur, mais une bonne manière de se vider la tête et de lâcher la pression. N'importe quel vieil habitué du D20 vous le dira: les souvenirs et les amitiés qui se forgent autour d'une partie de D&D et de ses rituels durent toute la vie.

Une bonne table, des bons potes et une belle aventure, c'est comme un refuge en montagne: on y est bien et au chaud pendant que ça souffle dehors. Mais ça, c'est le niveau 1.

2. Un pour tous et tous pour un

Au niveau 2, D&D a une caractéristique qu'il partage d'ailleurs avec beaucoup de jeux de rôles: toute partie repose sur la collaboration, pas la compétition. L'idée de finir premier, de gagner seul ou de battre les autres joueurs n'a aucun sens. Là encore, c'est la nature même du jeu qui veut ça: dans D&D, les joueurs incarnent chacun un personnage dans une aventure qui n'est pas toute tracée, loin de là.

Pour réussir à affronter la tripotée de monstres, d'énigmes et d'embûches que le Dungeon Master (DM) leur présente tous les trois mètres, en général avec un grand sourire amusé, il faut improviser, et improviser ensemble pour progresser, gagner des niveaux et faire progresser son personnage –donc le groupe tout entier. Sans le Clerc dont les sorts guériront ses blessures, votre Barbare n'a aucune chance. Sans le Roublard qui saura crocheter la serrure de la satanée porte que le Paladin s'échine à forcer sans succès, l'aventure tourne court. Et sans la tchatche du Roublard ou les connaissances certes étranges de l'Occultiste ou du Moine du groupe, la petite communauté risque bien de planter en beauté au premier PNJ (pour «personnage non joueur», sorte de «figurant» de l'histoire présenté et contrôlé par le DM) un peu retors.

D&D n'est pas compétitif, gagner le plus d'argent ou dominer le plus de territoires (aaaah, Risk) comme sur beaucoup de jeux de plateau n'a aucun sens. D'où une tripotée de moments imprévus, surprenants et drôles, d'où surtout une belle leçon sur la complémentarité des uns et des autres dans un groupe, et sur les vertus de la différence. Là encore, la camaraderie, comme le fait de pouvoir compter sur les autres et réciproquement, c'est bon pour le moral et la confiance. Et l'estime de soi, parce que bon sang, on ne tombe pas un Dragon d'Airain comme ça.

3. La table, un «safe space»

En plus de cinquante ans, D&D a évolué, et ses joueurs avec. Comme personne ne sait avec quel bagage chacun s'assied à la table –ses craintes, ses phobies, ses mauvais souvenirs, ses malaises– les campagnes modernes ont tendance à toujours prévoir une «session zéro» avant de se lancer dans l'aventure proprement dite.

C'est le moment où chacun crée son personnage, mais c'est aussi celui où on discute du cadre, de ses frontières et de tout ce qui peut rendre mal à l'aise un joueur au cours d'une partie. Et sans jugement: un DM qui apprend qu'un de ses joueurs déteste les araignées va adapter son scénario pour éviter de le confronter à un monstre arachnéen.

On cherche l'excitation, un minimum de trouille, évidemment –mais pas le malaise et encore moins l'angoisse. C'est ce qui permet à chacun de s'y retrouver, de s'affirmer autour de la table sans redouter une mauvaise surprise. Attention: D&D ne peut en aucun cas remplacer le travail d'un professionnel de la santé mentale. Mais le DM est là pour veiller au grain et faire de chaque partie un bon moment.

4. Être soi-même mais autrement

Mais le plus bel atout de D&D s'est construit avec le temps, avec les joueurs aussi. Les amoureux de la fantasy façon Tolkien ou Conan des premiers temps ont été rejoints par de nouvelles générations de pratiquants qui sont arrivés avec leurs propres attentes et leurs propres univers. Au monde un rien stéréotypé des premières années a succédé un multivers de plus en plus riche, de plus en plus complexe, de plus en plus respectueux des différences aussi.

Attention: il y aura toujours d'abominables monstres plus affreux les uns que les autres –cochonneries de goules– mais D&D s'est affranchi du simplisme des premiers temps pour gagner en profondeur, en diversité et en complexité. Avec un objectif assumé et encore répété récemment par son éditeur Wizards of the Coast: rompre avec certains stéréotypes faciles ou blessants pour permettre à tout le monde de s'y retrouver et d'incarner le personnage qui lui chante comme ça lui chante.

Aujourd'hui, le monde de D&D ne se résume pas à une version «medieval fantasy» très –trop– eurocentrée de notre réalité. Un exemple? Curse of Strahd, un des scénarios emblématiques de D&D situé dans un univers qui évoque les Carpates version Dracula, ne faisait pas forcément dans la finesse au moment de décrire les Vistani, un peuple fictif mais doté des traits de la culture gitane –hélas jusqu'à la caricature. Les rééditions actuelles corrigent petit à petit ces facilités pour rendre l'univers de D&D plus représentatif –contribuant à faire de chaque table un lieu respectueux de construction collective.

Chacun peut piocher parmi les centaines de peuples et de créatures différentes, sans limite, pour devenir le personnage de son choix. Et poutrer des Tarasques, évidemment. Promis, ça détend.

En savoir plus
cover
-
/
cover

Liste de lecture