Société

Les accros du troisième âge au procès du 13-Novembre

Au Palais de justice de Paris, ​​​​​un groupe de retraités suit les audiences sans interruption depuis septembre 2021. Entre passion pour la justice et interrogations sur le déroulé des attentats, ces habitués des tribunaux se réunissent pour débattre.

Ce croquis d'audience réalisé le 14 septembre 2021 montre (en partant de la gauche) les co-accusés Mohamed Amri et Mohamed Abrini aux côtés de Salah Abdeslam, le principal suspect des attentats du 13 novembre 2015, pendant le procès qui se déroule dans une salle d'audience temporaire installée au Palais de justice de Paris. | Benoit Peyrucq / AFP
Ce croquis d'audience réalisé le 14 septembre 2021 montre (en partant de la gauche) les co-accusés Mohamed Amri et Mohamed Abrini aux côtés de Salah Abdeslam, le principal suspect des attentats du 13 novembre 2015, pendant le procès qui se déroule dans une salle d'audience temporaire installée au Palais de justice de Paris. | Benoit Peyrucq / AFP

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«Là, il ment», chuchote Nadine, pas très discrète. L'ancienne coiffeuse de 76 ans commente, dans la salle de retransmission vidéo du procès des attentats du 13 novembre 2015, tout ce que dit Salah Abdeslam, le seul survivant du commando terroriste. Nadine passe sa retraite au tribunal, à suivre les procès parisiens. En ce moment, c'est celui du 13-Novembre, au Palais de justice de Paris, qui retient toute son attention.

Depuis septembre 2021, la cour d'assises spécialement constituée juge vingt hommes accusés d'avoir contribué aux attentats terroristes du Stade de France, du Bataclan et des terrasses de la capitale, qui ont fait 131 morts.

Comme d'autres habitués, Nadine suit le procès en direct sur un grand écran du tribunal, jusqu'à quatre jours par semaine, huit heures par jour, depuis dix mois.

La bande

La salle de diffusion est située bien à part de celle où débattent les juges, les avocats, les accusés et les parties civiles du procès du 13-Novembre. C'est une ancienne salle de comparution immédiate où, selon le tribunal, cinquante spectateurs viennent regarder chaque jour les audiences. Il y a des étudiants en droit, en psychologie, des curieux d'un jour, et la «bande du procès du Bataclan».

«La séance est levée.» Quand le président du tribunal sonne la suspension des débats, le procès se met en pause, et les spectateurs se lèvent et réagissent. La bande du procès du Bataclan, composée d'une dizaine d'habitués, commente les prises de parole, relève ce qui a ému, ce qui a déplu, quel avocat a été bon ou mauvais…

Ils ont tous plus de 60 ans, connaissent très bien le dossier judiciaire, savent où sont les places les plus confortables dans la salle de diffusion, et se partagent en continu des articles de presse sur un groupe WhatsApp.

Pour beaucoup, ce n'est pas leur premier procès: ils se sont rendus à celui de Jérôme Cahuzac, de Nicolas Sarkozy ou de François Fillon, ils se sont parfois déjà vus au procès des attentats de janvier 2015 (Charlie Hebdo, Montrouge, Hyper Cacher). Leur relation de groupe ne dépasse pas les murs du tribunal, et ils avouent ne même pas connaître les noms de famille des uns et des autres.

«Ces personnes ont une forme d'habitude, de curiosité pour la justice, elles créent une socialisation avec les autres spectateurs qui viennent», observe Antoine Mégie, maître de conférences à l'Université de Rouen, qui travaille sur les procès terroristes. «Elles connaissent le nom des juges, le planning du procès, elles s'échangent les informations. J'en ai déjà entendu dire: “Dans deux jours il y a le procès qui commence à Bobigny, et en plus, c'est tel président, il faut vraiment y aller!”»

Spectacle judiciaire

Bernard fait partie de cette bande d'habitués qui suivent le procès quasiment sans interruption. Ce retraité de 62 ans est venu avant tout pour assister aux performances des avocats. «Pendant dix ans, j'ai suivi les concours d'éloquence des avocats de Paris. Aujourd'hui, c'est la première fois que je peux les voir travailler dans des conditions réelles», explique cet ex-conseiller en informatique. Si le procès l'intéresse, il n'en reste pas moins «long et rébarbatif».

Bernard garde en mémoire les prises de parole des parties civiles au début du procès. Pendant plusieurs semaines, les victimes des attentats et leur entourage se sont exprimés avec douleur à la barre. Cette période a été rude aussi en salle de retransmission: «C'était le moment le plus dur, mais le plus important», se rappelle-t-il.

Assis à côté de lui, Christian, ancien clerc de notaire, prend des notes, beaucoup de notes, 200 pages griffonnées d'une écriture quasi illisible. «Avec ce que j'écris, je peux faire des recoupements, soulever des oppositions quand un accusé affirme quelque chose.» Christian a sur lui les CV des quatorze accusés présents (les six autres sont absents, pour la plupart présumés morts), et il a «lu presque en entier le “rayon terrorisme” de la médiathèque de Montrouge».

En parallèle du procès du 13-Novembre, il a suivi celui de l'attentat de Saint-Étienne-du-Rouvray, celui du meurtre d'une travailleuse du sexe, ou encore celui d'un djihadiste revenu de Syrie.

Addiction aux affaires

Mais que viennent chercher ces habitués? «Ils vont voir une pièce, ils observent, ils ressentent des émotions, ils peuvent juger, c'est extrêmement vivant et assez addictif, estime Antoine Mégie. Vous entrez dans le monde du palais de justice avec ses spécificités et sa routine.»

Selon le chercheur, «la justice a toujours attiré. On a des photos d'un procès de 1927 au Palais de justice de Paris avec une longue file d'attente pour entrer. La justice s'est en partie construite avec cette image d'un moment particulier, souvent fortement médiatisé. La presse, elle, a façonné des personnages forts dans des affaires célèbres, comme le tueur en série Henri Désiré Landru [jugé en 1921, ndlr]. Je pense que c'est une des particularités de l'institution judiciaire: créer une forme de spectacle autour de son rituel.»

Élodie, elle, a pris l'habitude de s'installer au premier rang de la salle de retransmission du procès du 13-Novembre. En tant qu'ancienne médecin, elle s'est occupée de victimes des attentats au lendemain des attaques. Elle n'a pas assisté aux dépositions des parties civiles car «ça aurait été trop dur de les entendre». La sexagénaire vient surtout pour écouter la parole des accusés: «Je veux voir comment ils mentent.»

Elle se dit «passionnée par la justice» et liste les différents procès auxquels elle a assisté. «En ce moment, il y a un procès hyper intéressant dans la salle d'à côté, le procès Ulysse. C'est un procès en appel [trois hommes ont été condamnés en première instance pour avoir projeté une tuerie de masse].»

Dans l'agenda chargé de ces adeptes des procès, habitués des bancs inconfortables des tribunaux et des majestueuses salles des pas perdus, un procès en appelle toujours un autre.

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