Société

Je ne suis plus de mon temps

[BLOG You Will Never Hate Alone] C'est à peine si je sais à quoi sert TikTok. Ou qui est Kim Kardashian. À croire que je vis sur une autre planète.

J'ai un peu de mal à me reconnaître dans mon époque. | Daniel Jensen <a href="https://unsplash.com/photos/UDleHDOhBZ8">via Unsplash</a>
J'ai un peu de mal à me reconnaître dans mon époque. | Daniel Jensen via Unsplash

Temps de lecture: 3 minutes

Je vais dans ma vie comme un somnambule. Du monde qui m'entoure, je ne sais rien ou presque. Ainsi, j'ignore qui est Kim Kardashian, si elle est mariée avec Kanye West ou avec le fils caché du prince Charles. Dans la rue, je pourrais tout à fait croiser Taylor Swift, Lady Gaga ou Beyoncé sans même me douter que je viens de voir une star interplanétaire. C'est à peine si je sais à quoi sert TikTok. Quant au bitcoin, on a dû m'expliquer le principe un bon millier de fois sans que je comprenne pour autant son utilité et encore moins son fonctionnement.

Ce qu'est une personne binaire, je n'en ai pas la moindre idée. À chaque fois qu'on me parle d'une personne racisée, il me faut un certain temps avant de comprendre de qui, de quoi on parle exactement et encore, je ne suis pas bien certain d'avoir saisi toutes les nuances qui s'y rapportent. Pareil pour «inclusif». Qui inclut quoi dans qui, je ne saurais pas bien le dire. Transgenre et ses mille et une déclinaisons? N'étant pas suicidaire, je passe mon tour.

Afin de préserver ma santé mentale et ce qui me reste de dignité, je ne tweete pas. Sur Facebook, ma principale activité est de bannir quelques plaisantins qui veulent absolument m'envoyer à Auschwitz. La différence entre Facebook et Instagram, je n'en ai pas la moindre idée sauf que, paraît-il, l'un est mieux que l'autre. J'ai trois contacts sur WhatsApp, à qui je n'écris jamais si ce n'est pour me plaindre de n'avoir jamais de leurs nouvelles.

J'ai longtemps vécu sans téléphone portable. Je n'ai pas regardé une émission de télévision depuis «Champs-Élysées». Quand je découvre la liste des nominés pour les Victoires de la musique, je demeure aussi perplexe que lorsque je parcours la liste des ingrédients contenus dans mon pot de yaourt. Je n'ai jamais lu un roman de Guillaume Musso. Et le nom des chroniqueurs de «Touche pas à mon poste» ou d'autres programmes à succès me sont aussi familiers que les identités successives des amants de ma belle-mère, à qui je ne parle plus depuis des années.

Je refuse de reconnaître qu'il existe de par le vaste monde des gens qui se nomment «influenceurs». C'est au-dessus de mes forces. Je crois que si j'avais eu un enfant, effaré par le nombre de conneries auxquelles il aurait été exposé, je l'aurais tenu enfermé dans sa chambre jusqu'à sa majorité. Je n'ai aucune idée de ce à quoi peut bien servir un casque de réalité virtuelle, une Apple Watch ou une enceinte connectée, si ce n'est à nous rendre encore un peu plus crétins que nous ne le sommes déjà.

Autant dire que j'ai quelque mal à me reconnaître dans mon époque. Comme si j'étais un inadapté de naissance. Ou pire, un poseur qui aimerait tout critiquer, son temps comme ses contemporains, pour mieux exposer au grand jour sa singularité. À moins que je ne sois plus porté vers les choses de l'esprit, ce qui ferait de moi une sorte d'intellectuel dont la profondeur de pensée serait à peu près égale à celle d'un moineau en fin de vie.

Serais-je donc snob? À la fois élitiste et con comme un balais Bluetooth. Enfermé dans une tour d'ivoire qui serait celle d'un esprit dérangé, asocial, misanthrope au point de ne rien supporter si ce n'est la présence d'un chat tout aussi hautain que lui. Vous ai-je dit que je détestais aussi les vidéos de chats dans lesquelles on expose ces malheureux comme des bêtes de foire sans même leur demander leur avis?

Atrabilaire, vous dis-je.

Musicalement, je serais incapable de citer un seul groupé né dans les années 2000 et après. Pourtant, dans une autre vie, j'ai écrit pour les Inrockuptibles. En fait, c'est comme si ma vie s'était arrêtée à mes années de jeunesse. Au temps doré où je coïncidais avec mon époque. Où j'allais voir un film de Wim Wenders en noir et blanc au Lucernaire. Où je ramenais le dernier single des Smiths d'un voyage à Londres. Où je comprenais mon temps. Où, surtout, on me comprenait, moi.

À part cela, Andrew Fletcher, le claviériste de Depeche Mode, vient de mourir pendant que j'écrivais cette chronique.

Il y a sûrement une conclusion à en tirer.

Je vous laisse deviner laquelle.

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