Culture

Jessie Buckley, l'actrice la plus fascinante du moment

À l'affiche du film surnaturel «Men», l'Irlandaise prouve une nouvelle fois toute l'étendue de son talent.

L'actrice irlandaise est à l'affiche de <em>Men</em>, le nouveau film d'Alex Garland. | Monica Shipper / Getty Images North America / AFP
L'actrice irlandaise est à l'affiche de Men, le nouveau film d'Alex Garland. | Monica Shipper / Getty Images North America / AFP

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En dehors des cercles de cinéphiles, son nom est encore peu prononcé en France. Pourtant, vous l'avez forcément vue quelque part. Depuis sa révélation dans Wild Rose en 2018, où elle jouait une chanteuse de country écossaise, elle a notamment interprété une veuve russe dans la minisérie Chernobyl et une psychopathe américaine loufoque dans la quatrième saison de Fargo.

Cette ancienne finaliste d'un télé-crochet britannique a aussi été récompensée au théâtre pour son interprétation de Sally Bowles, le personnage phare de Cabaret. Et dans Je veux juste en finir, le film sombre et existentiel de Charlie Kaufman sorti en 2020 sur Netflix, elle est ensorcelante, avec un rôle féminin protéiforme dont l'identité change constamment, de la petite amie compatissante à l'intransigeante critique américaine Pauline Kael.

 

En 2021, son rôle de jeune mère au bout du rouleau, version rajeunie du personnage d'Olivia Colman dans le superbe The Lost Daughter (toujours sur Netflix), lui a valu sa première nomination aux Oscars pour le meilleur second rôle féminin. Quoi qu'elle fasse, l'actrice irlandaise apporte une intensité rare à chacun de ses rôles, et les femmes qu'elle incarne sont toutes fascinantes. «Mes femmes m'ont appris à être plus courageuse et à choisir ma vie, quelle qu'elle soit», affirme l'actrice, rencontrée à Cannes.

Véritable caméléon, elle se fond dans chaque personnage, accent, perruque ou nationalité avec une aisance surprenante. Elle a la beauté renversante d'une star de cinéma, la gamme d'une character actress (les interprètes de seconds rôles hauts en couleur) et le CV d'une indie queen. Son dernier rôle ne fait que confirmer sa polyvalence.

Seule contre tous les hommes

Dans Men, nouveau film d'Alex Garland présenté en avant-première au Festival de Cannes 2022, Jessie Buckley joue une femme confrontée au deuil de son mari. Après une expérience éprouvante qui nous est révélée par petites touches, la jeune femme part se ressourcer seule dans une maison de campagne anglaise. Mais, dans ce village où tous les hommes se ressemblent (et sont tous incarnés par l'acteur Rory Kinnear), elle fait rapidement face à des phénomènes étranges, voire menaçants.

 

Alex Garland, qui a d'abord été romancier (La Plage) et scénariste (28 jours plus tard, Auprès de moi toujours), s'est imposé en trois films (et une série, Devs) comme un réalisateur incontournable, friand de récits de science-fiction existentiels et énigmatiques. Celui qui a toujours créé de superbes rôles féminins (Ex Machina, Annihilation, Devs) poursuit sur sa lancée avec son film le plus explicitement féministe.

Men s'ouvre sur Harper (Buckley) en état de choc, le nez ensanglanté. Ce qui lui est arrivé dans cette scène d'ouverture sera révélé graduellement, alors que la jeune femme endure des vacances de plus en plus inquiétantes. Comme dans Je veux juste en finir ou The Lost Daughter, Buckley déconstruit un peu plus la vision archétypale de la féminité. Au début du film, elle est même assimilée à Ève, alors qu'elle croque dans une pomme de verger. Elle sera ensuite accablée de tous les maux; pourtant, elle n'a commis aucun péché, si ce n'est celui d'être libre et autonome.

«Il y a une sorte de maladie qui fait qu'encore aujourd'hui, on se soumet à des codes et l'on tente de se rendre plus convenables, ou plus séduisantes.»
Jessie Buckley

À de nombreuses reprises dans le film, des hommes la décrédibilisent, l'infantilisent, ou la traitent de «connasse stupide». Lorsqu'un homme nu, croisé dans la forêt, la suit et tente de s'introduire chez elle, les policiers ne la prennent pas au sérieux. Le pasteur du village, particulièrement virulent, l'écoute parler de la mort de son mari, avant de lui dire qu'elle est la seule responsable de ses malheurs et qu'elle se «fait passer pour une victime».

Men illustre ainsi la violence sociétale à laquelle sont constamment confrontées les femmes, même si comme tous les films de Garland, son propos et son univers sont assez riches pour donner lieu à une multitude d'interprétations.

Des femmes qui «jouent des coudes»

S'il fallait trouver un dénominateur commun à toutes les incarnations de Jessie Buckley, ce serait sans doute une appétence pour les rôles de femmes compliquées, revêches, ou difficiles à résumer. Ses personnages, mauvaises mères, menaçantes ou pleines de rage, entrent rarement dans les codes traditionnels et restrictifs de la féminité. «Je ne les trouve pas complexes, je les trouve honnêtes, et vraies. Et je pense qu'il y a une certaine force en elles, qui provient du conflit, du désir, du fait de ne pas juste se contenter d'exister», explique l'actrice.

«Il y a une sorte de maladie qui fait qu'encore aujourd'hui, on se soumet à des codes et l'on tente de se rendre plus convenables, ou plus séduisantes, parce que cela met les gens plus à l'aise. Mais je suis stimulée et enthousiasmée par les femmes qui jouent des coudes et choisissent d'élargir les paramètres, de mieux se comprendre et se construire, plutôt que de se contorsionner pour être quelque chose qu'elles ne sont pas.»

Dans ses apparitions publiques aussi, l'actrice vient challenger les codes genrés, avec des tenues souvent androgynes et un refus de se conformer au glamour étriqué d'Hollywood. Ses performances engagées et sa collaboration avec des auteurs singuliers comme Alex Garland, Maggie Gyllenhaal ou Sarah Polley (avec qui elle vient de tourner son prochain film) en font une des actrices les plus fascinantes à suivre.

Men

d'Alex Garland

avec Jessie Buckley, Rory Kinnear, Paapa Essiedu, Gayle Rankin

Séances

Durée: 1h40

Sortie: 8 juin 2022

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