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Les journalistes afghans se masquent en solidarité avec leurs consœurs

Les talibans exigent désormais que les journalistes femmes se dissimulent le visage.

Des journalistes de TOLOnews en conférence de rédaction, à Kaboul, le 22 mai 2022. | Wakil Kohsar / AFP
Des journalistes de TOLOnews en conférence de rédaction, à Kaboul, le 22 mai 2022. | Wakil Kohsar / AFP

Temps de lecture: 3 minutes - Repéré sur The Hill

Les femmes sont les premières victimes de la cruauté du régime taliban imposé à tout l'Afghanistan depuis le 15 août dernier, lorsque le gouvernement officiel leur a abandonné le pouvoir et que les derniers Occidentaux ont jeté l'éponge, laissant un pays qui ne fonctionnait que grâce à l'aide extérieure être dirigé par un groupe d'extrémistes religieux opposés à toute modernité.

Les nouveaux maîtres du pays prônent une rigueur inspirée de la charia, la loi islamique selon laquelle tout ce qui est privé est politique et tout ce qui est politique est religieux, et qui autorise les dirigeants à décider à la place des citoyens la manière dont ils doivent gérer leur corps. Si ce sont les femmes qui en pâtissent le plus, les hommes ont également des règles à respecter et sont obligés de se laisser pousser la barbe.

Dès leur arrivée, les talibans ont aboli le ministère des Affaires féminines, provoquant des manifestations immédiates qui ont été réprimées avec violence. À la place a été créé le ministère pour la Promotion de la vertu et la Prévention du vice, organe qui n'a cessé depuis de rogner les droits des femmes au point de ne plus leur en laisser du tout.

Parmi les mesures édictées, l'interdiction pour les filles d'aller à l'école au-delà de la primaire, l'interdiction pour les femmes de sortir dans l'espace public non accompagnées d'un «gardien» (mahram), dans certaines régions l'interdiction absolue pour les femmes de travailler, les condamnant à mourir de faim si elles sont seules ou veuves, la suppression de toute représentation des femmes dans l'espace public et, depuis le 9 mai, l'obligation absolue de se couvrir le corps intégralement à la seule exception des yeux, transformant de facto les femmes en sacs-poubelle géants dès qu'elles sortent de chez elles.

«Peut-être vont-ils interdire les voix des femmes»

Les hommes afghans sont également la cible d'une forme de persécution psychologique: en effet, la punition pour une femme qui enfreindrait la loi et sortirait en montrant autre chose que ses yeux est reportée sur son mahram, c'est-à-dire l'homme responsable d'elle. C'est à la fois une manière d'insister sur l'absolue insignifiance des femmes et un moyen de transformer leurs proches masculins en leurs propres bourreaux. Risquer une amende ou la prison lorsqu'on est le seul homme de la famille, et donc le seul à avoir le droit de travailler pour la nourrir, est supposé transformer ces pères, ces maris, ces fils et ces frères en geôliers de leurs propres épouses, sœurs, mères et filles.

Lorsque cette règle a été édictée, peu de journalistes femmes s'y sont pliées, raconte le site The Hill, au point que le ministère pour la Promotion de la vertu et la Prévention du vice a précisé le 21 mai que la règle était valable pour les présentatrices et que «la décision était définitive et qu'aucune négociation n'était possible». Le porte-parole du ministère explique que «ce n'est pas un décret du ministère, c'est un décret de Dieu. La véritable cause de la corruption, c'est le visage de la femme» –ce qui a le mérite d'être clair. Mais pour Heather Barr, directrice associée de la division Droits des femmes chez Human Rights Watch et Sahar Fetrat, chercheuse dans le même organisme, cette règle «est une violation flagrante du doit à la liberté d'expression des femmes, à leur autonomie personnelle et à leurs convictions religieuses».

Le directeur du média afghan indépendant TOLOnews, Khpalwak Sapai, a déclaré avoir reçu par téléphone l'ordre de ne faire paraître que des femmes intégralement voilées à l'écran. En signe de solidarité, un certain nombre de journalistes hommes ont pris la décision de présenter les émissions ou de poster des selfies masqués, lançant un mouvement sur les réseaux sociaux sous le hashtag #FreeHerFace.

Comme le pressent une journaliste de TOLO, «même si on obéit pour la burqa, peut-être vont-ils dire ensuite que les voix des femmes doivent être interdites. Ils veulent que les femmes disparaissent des écrans. Les femmes éduquées leur font peur.»

Selon une militante afghane, «les hommes qui prennent le parti des femmes afghanes ne font pas un simple geste. C'est un tournant de l'histoire qui va tout changer. Bravo mes frères.» Cette campagne ne s'arrête pas à l'Afghanistan: en Espagne par exemple, la femme politique et journaliste Pilar Rahola a également posé avec un masque pour montrer sa solidarité.

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