Culture

Festival de Cannes, jour 6: protéger et transformer

Deux initiatives annoncées ce week-end travaillent à associer le cinéma aux nécessaires modifications face à des fléaux très actuels, la montée en puissance des formes les plus brutales de censure et la domination de représentations qui contribuent à la destruction de la planète.

Magali Payen, Marion Cotillard et Cyril Dion annoncent la création de la société de production Newtopia. | JM Frodon
Magali Payen, Marion Cotillard et Cyril Dion annoncent la création de la société de production Newtopia. | JM Frodon

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Au Festival de Cannes, il y a des films, et c'est le plus important. Il y a ceux qui les font, ceux qui les montrent, ceux qui contribuent à leur notoriété. Ce qui importe également. Et puis il y a des réunions, et parfois des annonces.

Cette fin de semaine a ainsi été l'occasion de rendre visibles deux initiatives importantes, ou du moins qui pourraient le devenir. L'une est une initiative publique, l'autre privée, elles ne se situent pas sur le même terrain mais sont susceptibles de contribuer à des évolutions souhaitables, à des actes bénéfiques –pas seulement pour le cinéma.

Caméra libre!, aux côtés des plus menacés

La plus simple, en tout cas dans son principe, est l'annonce par le CNC d'un nouveau dispositif de soutien intitulé «Caméra libre!». Selon la présentation officielle, il s'agit d'accueillir et d'aider des réalisateurs persécutés dans leur pays d'origine.

Plus précisément, «des cinéastes qui développent un projet de long métrage (fiction, documentaire ou animation) à vocation internationale et qui, malgré leur talent et la reconnaissance internationale qu'ils ont pu obtenir pour leurs œuvres antérieures, sont confrontés à la censure, à la persécution ou à des violences politiques qui les mettent en danger, les empêchent de se consacrer à l'écriture de leur projet, ou rendent difficile la mise en réseau avec des partenaires potentiels pour financer celui-ci».

Ce programme est mis en œuvre avec la Cité internationale des Arts qui accueille déjà de nombreux artistes d'autres disciplines, notamment parmi ceux qui sont obligés de fuir des menaces sur leur travail, voire sur leur vie.

Cette initiative s'inscrit dans une longue et globalement très bénéfique tradition d'interaction de la France avec les créateurs de cinéma du monde entier, notamment grâce au dispositif «Cinémas du monde» (CNC et Institut français) et aux accords de coproduction signés avec 55 pays.

Elle fait figure de geste positif d'autant plus remarquable qu'ils sont rares en ce moment. En attendant, sans espoir excessif, d'éventuelles annonces de la nouvelle ministre de la Culture, Rima Abdul Malak attendue sur la Croisette mardi 24, ce sera au moins un acte à retenir de la part d'une administration qui depuis des années ne brille pas par ses propositions autres que de gestion.

Au train où va le monde avec la montée en puissance des diverses formes de dictatures, et alors que le cinéma s'est considérablement diversifié en termes d'origines nationales depuis quarante ans, «Caméra libre!» risque fort d'avoir besoin d'intervenir très souvent.

Pour l'instant, selon le communique du CNC, «7 ou 8 cinéastes» seraient sélectionnés chaque année, il est à craindre que le nombre ne soit pas suffisant. Mais l'histoire a montré qu'une fois mis en place, ce type de dispositif était capable de s'adapter aux réalités de terrain, et il faut parier que ce sera à nouveau le cas.

Changer les regards pour changer les pratiques

Autre pari, beaucoup plus complexe à mettre en œuvre mais à terme possiblement prometteur d'effets importants, l'initiative annoncée par un groupe de professionnels dont les deux figures de proue sont le réalisateur Cyril Dion et l'actrice Marion Cotillard –avec à leurs côtés notamment la productrice très impliquée dans les enjeux écologiques Magali Payen.

La société de production Newtopia ambitionne de donner naissance à des films, longs métrages de fiction surtout mais aussi documentaires et courts métrages, susceptibles de modifier les imaginaires concernant la nature et les relations que les humains entretiennent avec elle.

Présentant le projet en annonçant refuser les facilités symétriques de la dystopie et de l'idyllisme, le réalisateur de Demain et d'Animal a revendiqué une approche qui s'appuie sur trois ressorts.

Le premier est la levée de financements importants, les responsables de Newtopia semblent très confiants à cet égard, ayant manifestement trouvé des interlocuteurs aux poches profondes. «C'est la condition de l'indépendance vis-à-vis des exigences du marché, pas forcément disposé à aller dans les directions que nous voulons explorer», souligne Cyril Dion.

La deuxième dimension du projet concerne la mise en place d'ateliers d'écriture et de dispositifs pouvant permettre les interactions entre cinéastes et scénaristes d'une part, et des scientifiques compétents dans les multiples domaines concernés, afin de modifier l'écriture de scénarios.

Enfin, et c'est à vrai dire le véritable sujet, il s'agit de construire d'autres mises en scène, qui cessent de reconduire les dominations destructrices inhérentes aux canons du langage cinématographique massivement majoritaires. «L'enjeu, c'est d'accompagner la naissance de véritables œuvres, qui déplacent les regards et les mentalités, quitte à déranger», martèlent à tour de rôle Cyril Dion et Marion Cotillard.

De la capacité de Newtopia à ne pas seulement produire des films à sujets écologiques ou affichant quelques touches de vert sur des constructions narratives et des manières de représenter appartenant au monde extractiviste et oppresseur (soit les formes archi-dominantes de propositions dont est capable aujourd'hui le cinéma) dépendra le rôle que la nouvelle société de production sera susceptible de jouer.

Tâche ardue que celle de sortir des modèles de récits et de représentations dominants, qui sont ceux en phase avec l'organisation du monde inégalitaire et destructrice qui prévaut aujourd'hui pratiquement partout sur la planète.

Seule la réalité, la singularité des films qui sortiront de la matrice Newtopia diront si cette approche permet de donner naissance à des propositions vraiment nouvelles et allant dans la direction annoncée. Mais il ne fait aucun doute que l'esprit qui préside à la naissance de cette entreprise répond à une urgence contemporaine absolue.

Les critiques cinéma de Jean-Michel Frodon sont à retrouver dans l'émission «Affinités culturelles» de Tewfik Hakem, le samedi de 6h à 7h sur France Culture.

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