Santé

Hépatites pédiatriques d'origine inconnue: ce qui ressort des premières investigations

Au moins 450 enfants sont atteints d'hépatites aiguës à travers le monde. Aujourd'hui, personne ne peut encore émettre de recommandations pour protéger les plus jeunes.

Parmi les symptômes de l'hépatite: douleurs abdominales, fièvre, fatigue ou encore vomissements. | Kelly Sikkema <a href="https://unsplash.com/photos/xN0INdwHAs4">via Unsplash</a>
Parmi les symptômes de l'hépatite: douleurs abdominales, fièvre, fatigue ou encore vomissements. | Kelly Sikkema via Unsplash

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En date du 11 mai, quelque 450 enfants atteints d'hépatites d'origine inexpliquée avaient été rapportés aux agences de sécurité sanitaire à travers le monde. Un chiffre probablement sous-estimé, mais déjà bien au-dessus des moyennes habituelles, qui interroge le corps médical. Comment expliquer un tel phénomène? Quelles sont les pistes évoquées quant à l'origine de ces hépatites –et celles à exclure d'emblée, éventuellement? Faisons le point sur ce que l'on sait et ce que l'on ne sait pas aujourd'hui.

Commençons par quelques informations sur ce qu'est une hépatite. Il s'agit d'une atteinte du foie. Elle peut être causée par une obstruction des voies biliaires, comme par exemple le fait d'un douloureux calcul de la vésicule biliaire. Elle peut aussi être le résultat d'une destruction directe des cellules du foie, qu'on appelle cytolyse hépatique –nécessitant parfois une greffe de foie.

Les causes des hépatites cytolytiques sont toxiques, virales ou immunitaires: une substance hépatotoxique –l'alcool en premier lieu, mais aussi des médicaments comme le paracétamol en fort surdosage; un virus, tout d'abord ceux désignées virus de l'hépatite A, B, C, D ou E, ou d'autres «non alphabétiques», comme le virus de l'herpès ou le cytomégalovirus; une réaction immunitaire post-infectieuse ou encore une affection auto-immune.

Les symptômes sont des nausées, des vomissements, des douleurs abdominales, une urine foncée, des selles claires, parfois une jaunisse, de la fièvre et de la fatigue. Il existe des vaccins pour prévenir les hépatites A et B et des antiviraux efficaces pour traiter l'hépatite C.

Les hépatites par toxiques nécessitent d'abord l'arrêt de l'exposition au toxique, puis la mise en route de traitements symptomatiques que l'on sait plus ou moins efficaces. Dans une petite minorité des cas, lorsque le foie n'est plus suffisamment fonctionnel, une greffe peut être requise. Chez les enfants, les hépatites aiguës comme celles rapportées récemment sont très rares. Onze enfants en sont décédés et trente-et-un ont eu besoin d'une greffe de foie en urgence.

Battue policière (ou presque)

À partir du moment où plusieurs séries de cas sont rapportées dans le monde, les agences de sécurité sanitaire se lancent dans une investigation qui ressemble à une battue policière. On doit comprendre ce qu'il se passe, repérer les suspects et identifier le coupable, c'est-à-dire la cause. Cause qui, dans le contexte pandémique actuel, est encore moins facile à déterminer.

Il s'agit en premier lieu d'exclure le plus évident en notant les similarités entre les enfants touchés et en effectuant de premiers tests biologiques.
Aujourd'hui, différentes causes ont pu être exclues.

Les vaccins contre le Covid, tout d'abord. En effet, la grande majorité des enfants qui ont développé une hépatite aigüe avaient entre 0 et 5 ans et n'étaient donc pas éligibles à la vaccination. Plus de 65% des enfants atteints d'hépatite grave de cause inconnue au Royaume-Uni et plus de 80% des enfants en Europe n'étaient pas vaccinés.

Pour la majorité des cas, on ne peut donc pas rendre responsable une réaction immunitaire survenue du fait de l'injection d'un vaccin contre le Covid ni évoquer une hépatotoxicité du vaccin ou d'un de ses composants. C'est déjà une nouvelle rassurante en pleine campagne de vaccination mondiale, et au moment où l'on songe à l'étendre aux enfants plus jeunes.

Aucune cause toxique –alcool, médicaments, plantes, produits chimiques ou autres facteurs environnementaux–, n'a pu être retrouvée à ce jour.
Les virus A, B, C, D et E, tout comme les autres connus pour causer des hépatites virales, ont également pu être éliminés à la suite de tests systématiques sur tous les enfants touchés par ces atteintes hépatiques d'origine inconnue.

L'adénovirus, premier suspect

Alors de quoi pourrait-il s'agir, si le vaccin contre le Covid-19 ainsi que les causes d'hépatites aiguës les plus courantes sont exclus? Nous arrivons là au stade des hypothèses.

La première hypothèse avancée était celle de l'adénovirus, car dans les premières séries (britanniques), 72% des enfants testés étaient séropositifs pour l'adénovirus. Mais il s'agit d'une catégorie de virus très fréquemment rencontrés chez les enfants (à l'âge de 4 ans, 85% des enfants ont développé une immunité contre l'adénovirus de type entérique), qui se transmet par voie aérienne et par voie indirecte –comme pour la conjonctivite que l'on attrape à la piscine.

Une étude indienne montre que les cas d'hépatites augmentent lorsque les infections au Covid sont en hausse

Chez un enfant en bonne santé, ils ont tendance à provoquer des troubles relativement bénins: pharyngites, conjonctivites, gastro-entérite (avec diarrhées, vomissements et fièvre). Mais ils ne sont pas connus pour provoquer des hépatites, et encore moins des hépatites sévères. Si cette hypothèse reste sur la table, il est néanmoins difficile d'être convaincus que ce seraient les adénovirus qui seraient directement responsables de cette épidémie mondiale.

Se pose, bien sûr, la question de savoir si le SARS-CoV-2 pourrait être responsable voire coresponsable (car le coupable peut avoir des complices, ici aussi!). Plusieurs possibilités s'offrent à nous. L'hépatite pourrait, par exemple, compléter le tableau clinique du Covid-19 et n'aurait peut-être pas été décrite jusque-là parce qu'elle serait due à Omicron ou à l'un de ses récents sous-variants, mais pas aux souches précédentes.

Certains enfants atteints d'hépatites ont été testés positifs au Covid-19. Mais un peu comme pour l'adénovirus, avoir été infecté par le SARS-CoV-2 est assez peu spécifique durant cette période allant de janvier 2022 à aujourd'hui, puisque de très nombreux enfants (sans atteinte hépatique) l'ont eux aussi été. Toutefois, une étude indienne montre que les cas d'hépatites augmentent lorsque les infections au Covid sont en hausse, et diminuaient avec l'incidence. À nouveau, on ne peut pas rejeter cette hypothèse.

Et s'il y avait plusieurs coupables?

L'hépatite pourrait aussi être liée à une réaction immunitaire post-infection –un peu sur le modèle du PIMS (Paediatric inflammatory multisystem syndrome, pour «syndrome inflammatoire multisystémique pédiatrique»), couramment décrit chez les enfants positifs au Covid et survenant à distance de la phase aiguë de l'infection. Mais de la même manière, au vu du nombre considérable d'infections, notamment chez l'enfant, dans tous les pays ayant rapporté des cas, une sérologie positive seule ne peut pas tenir lieu d'explication causale.

Ce qui pourrait plaider pour l'hypothèse causale du SARS-CoV-2 est le nombre de publications depuis 2020 qui établissent un lien entre Covid-19 et hépatites aiguës post-Covid. Les cas sont rares mais réels, et dès lors que de très nombreux enfants ont été touchés par le Covid durant l'hiver 2022, cette hypothèse se voit renforcée même si, à l'heure actuelle, vous voyez la difficulté des experts à confondre le ou les coupables.

À propos de ce pluriel, n'oublions pas les complices. Car il se peut aussi que ces hépatites soient le résultat de plusieurs agresseurs combinant leurs forfaits. Un adénovirus et un coronavirus par exemple. Il s'agirait alors d'une activation des cellules immunitaires médiée par les deux virus, qui joueraient alors le rôle de super-antigènes dont les mécanismes spécifiques restent néanmoins à préciser.

Présence de chiens, paracétamol...

Enfin, il y a des hypothèses que l'on pense «farfelues». En réalité, dans ces histoires, tant que le coupable court toujours, rien ne doit être considéré comme «farfelu», d'où la prudence de nos guillemets.

Ainsi, les Britanniques –qui ont rapporté la plus grande série mondiale de cas, avec 197 hépatites d'origine inconnue survenues chez des enfants signalées au 16 mai– ont constaté la présence d'un chien dans le foyer de 70% des cas rapportés. Autre donnée, 75% des enfants atteints d'hépatite avaient pris du paracétamol pour soigner les symptômes, alors que l'on sait le médicament hépatotoxique lorsque consommé à dose élevée. Or, les Britanniques sont nombreux à posséder des chiens, et les doses de paracétamol n'étaient élevées dans aucun cas…

Bref, nous voulions faire le point avec vous, même si l'on n'est pas très avancés, comme vous pouvez le lire. Nous sommes cependant plutôt confiants quant au fait que les recherches menées dans les pays où ces hépatites ont été rapportées vont finir par aboutir et que l'on identifiera prochainement le ou les coupables.

Pour le moment, il n'est même pas possible d'émettre des recommandations particulières visant à protéger les enfants. On peut juste noter qu'il s'agit d'événements parfois graves, mais très rares. Par ailleurs, les hépatites nécessitant une greffe de foie chez l'enfant sont tellement exceptionnelles que l'on ne peut pas penser que dans les pays développés on en sous-estimerait beaucoup le nombre exact. Affaire à suivre…

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