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Soixante-treize pour cent. Un chiffre qui en dit long sur le poids des LGBTphobies en France. Car 73%, c'est le pourcentage des actes LGBTphobes (actes verbaux ou violences) qui ne sont pas déclarés. En cause, la crainte éprouvée par les victimes des conséquences négatives d'une déclaration de l'infraction, leur sentiment de honte, ou bien encore leur peur d'être mal reçues par les forces de l'ordre.
Ce pourcentage éloquent fait partie de la somme de données recueillies par la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), qui vient de publier le rapport «Orientation sexuelle, identité de genre et intersexuation: de l'égalité à l'effectivité des droits», à l'occasion de la journée mondiale de lutte contre l'homophobie et la transphobie ce mardi 17 mai.
Dans ce rapport, la CNCDH partage également les résultats de son enquête originale sur les préjugés à l'égard des personnes LGBT+ en France. Ceux-ci tendent à montrer que si la tolérance envers les personnes LGBT+ semble en amélioration, il s'agit avant tout d'un vernis de surface qui se craquelle dans la confrontation avec la vie quotidienne.
Les clichés ont la vie dure
Quelques exemples. Si 85% des personnes interrogées considèrent que l'homosexualité est une manière acceptable de vivre sa sexualité et que 76% d'entre elles seraient prêtes à voter pour une candidate lesbienne ou un candidat gay à l'élection présidentielle, elles sont 75% à préférer que leur enfant soit hétéro. En outre, 36% des sondés estiment que les personnes LGBT+ sont trop présentes dans les médias, quand 40% pensent qu'aujourd'hui, «on en fait un peu trop pour ces minorités».
Hétéronormativité et hétérosexisme sont ainsi monnaie courante en population générale et les préjugés ont la vie dure. Ainsi, 28% des personnes interrogées sont d'accord avec l'idée que les personnes bisexuelles sont volages; 30% adhèrent à l'idée que le lesbianisme provient d'une insatisfaction sexuelle avec les hommes; et 39% pensent que les gays sont efféminés.
La persistance de ces stéréotypes est à la source de discriminations majeures, aussi bien dans l'éducation, le travail, le sport et la santé que dans l'audiovisuel et la culture et dans l'accès à la justice… quand elle ne mène pas purement et simplement à des agressions et à d'autres actes de violences, dans l'espace public comme au sein de la famille.
En effet, 55% des personnes LGBT+ disent avoir été agressées au moins une fois au cours de leur vie. Près de la moitié des femmes lesbiennes ou bisexuelles déclarent être victimes de violences dans le cercle familial, et 50% des lesbiennes ainsi que 75% des femmes bisexuelles ont été victimes de violences dans l'espace public.
Chose rare, le rapport de la CNCDH met en exergue les discriminations et les violences, symboliques et physiques, subies par les personnes trans et intersexes, notamment en milieu carcéral ainsi que dans le domaine de la santé, où 65% des personnes trans se sont senties discriminées.
Éduquer dès le plus jeune âge
Face à ces données alarmantes, que faire? Quels sont les leviers à activer en priorité? Comment lutter contre les discriminations et renforcer les droits des personnes LGBT+? Dans son rapport, la CNCDH formule une centaine de recommandations visant à faire de l'égalité des droits une réalité concrète pour les personnes concernées. Si toutes sont importantes, certaines peuvent être vues comme prioritaires.
Pour Dominique Remy-Granger, rapporteure du rapport, il faut particulièrement se concentrer sur tout ce qui a trait à l'éducation, aussi bien au sein des établissements scolaires que par le biais des médias et de la culture. «Il est important de se focaliser sur ces lieux de confrontation avec l'altérité, explique t-elle. L'idée est de rendre visible et de faire découvrir cette altérité pour la rendre plus familière.»
Sébastien Tüller, responsable de la commission «orientation sexuelle et identité de genre» de l'association Amnesty International France, a participé à la rédaction du rapport de la CNCDH. Il confirme: «On ne naît pas homophobe ou transphobe, on le devient! Il faut prévenir les LGBTQIphobies en éduquant dès le plus jeune âge à l'école. Il faut vraiment aller plus loin que ce qui est fait actuellement.»
Pour ce faire, la CNCDH recommande que les séances d'éducation à la vie affective et sexuelle, ainsi que la prévention des violences sexuelles et de genre soient explicitement intégrées au programme d'une discipline scolaire, et qu'elles incluent pleinement les questions de l'orientation sexuelle, de l'identité de genre et la prévention des violences de genre et des discriminations sexistes. Elle conseille aussi au ministère de l'Éducation nationale de renforcer encore les liens entre le système éducatif et les associations de lutte contre les LGBTphobies et de santé sexuelle.
Mais l'éducation ne saurait être réservée aux plus jeunes et doit également pénétrer les institutions, notamment la police et la gendarmerie, afin de lutter contre la sous-déclaration des actes de violences. L'université et notamment les lieux de formations des futurs soignants doivent aussi être des lieux d'éducation et de sensibilisation. La CNCDH invite par la suite les mairies des villes de plus de 10.000 habitants à désigner une personne référente en charge de la lutte contre les discriminations, en incluant explicitement dans ses compétences les discriminations LGBTphobes.
Journalisme, soins médicaux...
Pour la population générale, l'éducation passe par des représentations positives dans les médias. Pour ce faire, la CNCDH pose comme bonne pratique le fait que les étudiants en journalisme soient sensibilisés aux bonnes pratiques par l'Association des journalistes lesbiennes, gays, bi·e·s, trans et intersexes –sensibilisation qui pourrait être également intégrée dans la formation continue des journalistes.
Elle recommande aussi, notamment, à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique d'émettre des rappels à la loi fermes et publics en cas de propos LGBTphobes dans les médias, et de renforcer les sanctions, en particulier à l'encontre des personnes et des organismes précédemment rappelés à l'ordre. «C'est notamment un moyen de lutter contre cette rhétorique transphobe qui gagne actuellement du terrain», commente Sébastien Tüller. Mais aussi, bien sûr, globalement, de lutter contre la persistance de stéréotypes toxiques touchant l'ensemble des personnes LGBT+.
De nombreuses recommandations très concrètes sont faites dans les domaines de la santé et de la filiation, où il existe une certaine urgence à consolider les droits des personnes LGBT+, afin de parvenir à une égalité de droits et de traitement. Ainsi, la CNCDH se positionne t-elle fermement contre les mutilations subies par les personnes intersexes visant à les inclure dans le cadre homme ou femme.
Elle recommande aussi que les hommes trans puissent recourir à la procréation médicalement assistée et que les personnes trans aient accès aux protocoles de conservation des gamètes. Le rapport invite également le ministère de la Santé et la Haute Autorité de santé à établir des protocoles nationaux de prise en charge des personnes trans, un pour les majeurs et un pour les mineurs, en collaboration avec les associations, dans le but de garantir le libre choix du médecin pour accompagner les parcours.
«La réponse doit être systémique»
On ne saurait ici évoquer toutes les recommandations formulées par la CNCDH tant elles s'appliquent à tous les domaines de la vie –travail, sport, justice, droits des personnes immigrées… «Lorsque des discriminations sont systémiques, la réponse doit être systémique», résume Sébastien Tüller.
Enfin, on pourrait être surpris par le nombre d'études visant à évaluer et à chiffrer les discriminations à l'encontre des personnes LGBT+. Elles sont pourtant essentielles, comme l'explique Sébastien Tüller: «Bien souvent, les données officielles manquent pour évaluer l'ampleur des atteintes aux droits. Ça a, par exemple, été le cas pour les thérapies de conversion. Il faut se donner les moyens d'avoir des chiffres. Avoir des données publiées permet d'évaluer les progrès mais aussi de forcer l'État à réagir.»
«C'est un chantier colossal», poursuit Dominique Remy-Granger. Reste que ce rapport de la CNCDH est une importante pierre apportée à l'édifice de la lutte contre les LGBTphobies en France.