Culture

Kim Kardashian n'a pas commis de sacrilège en portant la célèbre robe de Marilyn Monroe

Il ne s'agit pas d'une pièce de musée au sens strict.

Kim Kardashian et Pete Davidson au Met Gala, à New York, le 2 mai 2022. | Angela Weiss / AFP
Kim Kardashian et Pete Davidson au Met Gala, à New York, le 2 mai 2022. | Angela Weiss / AFP

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Dans les jours suivant l'apparition de Kim Kardashian au Met Gala vêtue de la même robe moulante que Marilyn Monroe avait immortalisée en 1962 pour souhaiter un joyeux anniversaire au président John F. Kennedy, la presse a fait état de la grosse colère, entre autres, d'historiens de la mode et de spécialistes de Monroe.

Un point de vue que j'ai pu comprendre: ils étaient outrés qu'une robe aussi fragile ait été retirée de son coffre-fort pour être portée par une star de la télé-réalité qui, même sans craquer de couture, exposait la robe à bien des risques et des dégâts. Comment Kardashian osait-elle profaner un objet d'une importance historique aussi inestimable? C'était de mauvais goût, écervelé, contraire à l'éthique. Quel genre de personne peut penser qu'une soirée sur un tapis rouge est plus importante que la préservation de l'histoire?

Autant d'arguments qui se sont évaporés lorsque j'ai appris, à peu près au même moment, que l'adresse permanente de la fameuse robe était au... Ripley's Believe It or Not d'Orlando, en Floride. Soit un lieu comptant, entres autres attractions, une centaine de têtes réduites et une «salle de bal» où vous pouvez prendre des selfies avec des personnages en cire. Les patrimonistes ont-ils saisi qu'ils conspuaient l'éthique de Ripley's Believe It or Not, une entreprise qui vend des livres aux écoliers désireux d'en apprendre davantage sur l'histoire d'un chat à vingt-huit orteils?

Une entreprise, pas un musée

Cette robe, Ripley's l'a achetée aux enchères en 2016 pour 4,8 millions de dollars (4,6 millions d'euros) et l'expose en temps normal dans l'un de ses «musées» à Orlando. Sauf que ces établissements, au nombre de vingt-neuf dans le monde, ne sont pas des musées au sens où le Met peut l'être. «Ripley's est une entreprise», explique Katie Stringer Clary, historienne à la Carolina Coastal University, qui a travaillé dans des musées et enseigne la muséologie. «C'est une entreprise, pas un musée.»

Parmi les autres acquisitions les plus précieuses de Ripley's, citons un sabre laser de Star Wars d'une valeur de 450.000 dollars (430.000 euros) et, dans les années 1980, une Rolls-Royce ayant appartenu à John Lennon récupérée pour deux millions de dollars. Ripley's possède également des aquariums; celui de Myrtle Beach, en Caroline du Sud, abrite un pingouin célèbre pour prédire chaque année les résultats du Super Bowl.

En plus de ce genre d'objets que ces lieux exposent –ils mettent l'accent sur des «curiosités» controversées et préservent l'ambiance circassienne de l'«odditorium» créé par Robert Ripley en 1933 lors de l'Exposition universelle de Chicago–, la principale raison pour laquelle il vaut mieux ne pas les considérer comme de «vrais» musées est qu'ils sont privés et tournés vers le profit.

Stinger Clary se réfère à l'Alliance américaine des musées et au Conseil international des musées, deux organismes ayant proposé une définition du «musée». Celle du Conseil international des musées: «Un musée est une institution permanente à but non lucratif au service de la société et de son développement, ouverte au public, qui acquiert, conserve, recherche, communique et expose le patrimoine matériel et immatériel de l'humanité et de son environnement à des fins d'éducation, d'étude et de divertissement.»

En d'autres termes, un musée comme le Met adhère à un ensemble de règles et d'éthique concernant sa collection, règles qui ne lui permettraient pas de prêter et d'endommager potentiellement une robe historique. Le Daily Beast a ainsi rapporté un commentaire Instagram de la conservatrice Sarah Scaturro au sujet de Kardashian portant la robe de Monroe: «Lorsque j'étais à la tête du laboratoire de conservation du Costume Institute, j'ai dû refuser les demandes de plein de gens (dont Anna Wintour) pour que des objets irremplaçables de la collection soient portés par des mannequins et des célébrités.»

Sauf que la robe en question ne faisait pas partie de la collection du Met. «Le Met aurait-il permis que cela arrive à un objet de ses collections en tant que musée?, s'est demandée Stringer Clary. Je suis presque sûre que leur politique en matière de collections ne l'aurait pas permis.»

Faire du flouze à tout prix

Si les responsables du Met avaient su, à l'avance, quelle tenue voulait porter Kardashian, on pourrait arguer que l'éthique les aurait obligés à intervenir. Mais on parle là du Met, Ripley's ne suit pas les mêmes règles. Lorsque j'ai demandé à l'entreprise si elle avait de telles consignes éthiques, une porte-parole n'a pas répondu directement, mais a cité un propos attribué à John Corcoran, directeur des expositions et des archives de Ripley's Believe It or Not.

Le passage le plus pertinent de son communiqué: «Nous sommes très fiers de posséder la robe “Happy Birthday” et nous avons consulté de nombreux experts en textiles et conservateurs à ce sujet. Bien que leurs pratiques soient, par nature, conservatrices, ils nous ont aidés à élaborer un ensemble de précautions et de procédures pour le Met Gala. Ces précautions se sont avérées judicieuses, car aucun dommage n'est survenu lors de l'événement.»

La raison pour laquelle Ripley's a prêté la robe n'a rien de sorcier: son objectif n'est pas d'éduquer ou de préserver des artefacts pour le bien de l'humanité. C'est de faire du flouze. Si l'entreprise a acheté la robe, c'est probablement parce qu'elle présentait une opportunité d'en faire plus en attirant des visiteurs en Floride.

Dans cette optique, laisser Kardashian porter sa robe avait probablement tout d'une bonne décision commerciale: un tas de gens l'ont vue. Et la robe a peut-être même maintenant encore plus de valeur: «Kim Kardashian a renforcé l'importance de la robe emblématique de Monroe dans la culture pop», peut-on lire dans un communiqué de presse publié sur le site web de Ripley's, qui annonce également que l'entreprise va désormais exposer la robe sur son site d'Hollywood «pour une durée limitée à partir du week-end du 30 mai». Faites chauffer le tiroir-caisse.

La faute au capitalisme

Vous vous dites peut-être qu'il devrait y avoir des lois contre ce genre d'agissements, qu'une entreprise privée ne devrait pas avoir le droit d'acheter un objet inestimable et le faire risquer d'être endommagé ou détruit... Ce qui fait sens, jusqu'à ce que vous y réfléchissiez vraiment. «Je ne sais pas si cela pourrait être réglementé ou devrait l'être», admet Stringer Clary.

Qui pourrait définir ce qui est trop important pour être détenu par des particuliers parce que cela ferait partie de notre patrimoine culturel collectif? Les particuliers et les entreprises possèdent toutes sortes de choses et ont le droit de les vendre au plus offrant s'ils en ont envie. Ils peuvent en faire don à de vrais musées ou regarder de près les gens à qui ils les vendront, mais en définitive, rien n'arrête le capitalisme.

Ripley's est le propriétaire de la robe et peut légitimement en faire ce qui lui plaît. Si la société voulait découper la robe et en faire des rideaux scintillants, ce serait son droit. (Il existe néanmoins quelques exceptions à cette règle pour l'art visuel, accordant aux artistes vivants la possibilité d'empêcher la destruction de leur œuvre, mais il n'y a aucun précédent de l'application de ces exceptions aux robes portées par les légendes d'Hollywood.)

Sans compter que Ripley's a déclaré avoir essayé de protéger la robe: «Nous avons eu de nombreuses conversations avec Kim et son équipe et nous avons mis en place de nombreuses exigences en matière de sécurité et de manipulation de la robe», explique au Daily Beast Amanda Joiner, vice-présidente des licences et de l'édition chez Ripley's. «La robe n'a jamais été avec Kim seule. Elle était toujours avec un représentant de Ripley's. Nous nous sommes toujours assurés qu'à chaque fois que nous sentions que la robe risquait de se déchirer ou que nous nous sentions mal à l'aise à propos de quoi que ce soit, nous avions la possibilité d'y mettre le holà.»

En outre, pour Stringer Clary, il y a un autre élément de l'histoire, potentiellement plus épineux, qui n'a pas suffisamment été abordé: «J'ai vu qu'ils [Ripley's] ont donné à Kim une mèche de cheveux de Marilyn Monroe», déclare la professeure, également spécialiste des restes humains dans les musées, un autre sacré sac de nœuds de la politique muséale. «Je ne sais pas comment ils ont fait pour l'obtenir.»

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