Tout féru de lecture a déjà vécu ce moment de tristesse intense après avoir tourné la dernière page d'un très bon roman. Pour certains, ce bref instant s'apparente à une sensation de vide après une immersion dans un autre monde. Pour d'autres, il se rapproche d'un sentiment d'abandon de la part des personnages –ou du narrateur d'un livre audio– devenus de véritables compagnons de route pendant quelques jours. Ce phénomène du «post-book blues» («déprime post-lecture», en français) est en fait assez commun. La BBC est donc allée poser la question suivante à quelques spécialistes: d'où vient cette sensation déroutante?
Pour Bijal Shah, autrice et bibliothérapeute, cet attachement aux personnages, ou encore à la voix qui raconte leurs aventures, est quelque chose d'inné chez les humains. «C'est très, très courant, souligne-t-elle. C'est un sentiment de perte que vous ressentez à la fin [d'un livre], vous faites votre deuil. C'est comme dire au revoir à autant d'amis que vous vous êtes faits.»
Cette sensation semble avoir été exacerbée par la pandémie de Covid-19, révélatrice du besoin de liens sociaux et de connexions personnelles. «Je pense qu'actuellement, nous en manquons, estime Bijal Shah. Je pense que les livres remplissent probablement cet espace parce qu'ils forgent [ce sens de la communauté] par des liens indirects, remplissant ainsi ce vide.»
Mais si la nécessité de créer du lien –entre autres raisons– nous pousse à ouvrir un livre et nous rend triste lorsqu'on se retrouve face à sa quatrième de couverture quelques jours plus tard, il est aussi question d'empathie.
Des émotions partagées
«Les gens choisissent des livres qui leur font écho», explique à la BBC Keith Oatley, auteur et spécialiste de psychologie cognitive à l'Université de Toronto. «Et pour que certains aspects [d'une histoire] puissent résonner en vous, les écrivains proposent des suggestions. Puis nous, en tant que lecteurs, spectateurs ou auditeurs, les reprenons et les imaginons ensuite par nous-mêmes.»
Ainsi, si un personnage est heureux, triste, ou en colère, les lecteurs sont souvent eux-mêmes amenés à ressentir et s'approprier ces sentiments. C'est d'ailleurs l'une des forces de la littérature, et c'est aussi pour cela que l'art peut nous aider à gérer nos émotions. Selon Bijal Shah, les livres nous donnent «la capacité d'explorer [nos] propres émotions [...], des émotions douloureuses à travers un autre objet».
La déprime post-lecture résulte donc de la synthèse entre le lien créé avec les personnages et les émotions partagées. «Lorsque vous lisez ou écoutez un livre, vous mettez de côté vos préoccupations quotidiennes et prenez celles d'un personnage, généralement un protagoniste», commente Keith Oatley. La séparation s'avère alors particulièrement douloureuse.