Culture

Taras Chevtchenko, un poète pour faire se soulever l'Ukraine

Fraîchement réédité en France, le poète ukrainien du XIXe siècle fait figure de phare dans la nuit pour une partie de la population.

À Brovary, au nord de Kiev, se trouve cette fresque murale peinte en l'honneur de Taras Chevtchenko, ici photographiée le 29 mars 2022. | Genya Savilov / AFP
À Brovary, au nord de Kiev, se trouve cette fresque murale peinte en l'honneur de Taras Chevtchenko, ici photographiée le 29 mars 2022. | Genya Savilov / AFP

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Si demain la France était envahie par un autre pays, disons puissant et frontalier, que ressentirions-nous à l'écoute d'un vers comme «Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines»? Nous avons beau avoir été parfaitement habitués au «Chant des partisans», ce second hymne national, il reprendrait alors tout son sens originel de résistance face à l'envahisseur.

C'est peu ou prou ce qui se passe en Ukraine depuis 2014, et plus encore depuis le 28 février 2022, autour des textes de Taras Chevtchenko, poète et parolier –mais aussi romancier et peintre– du XIXe siècle (1814-1861). Un héros national dont la vie tragique et l'œuvre épique font office de guide au milieu de la nuit dans laquelle une partie de l'Europe est plongée depuis la fin du mois de février.

Inconnu en France, Taras Chevtchenko n'a été traduit qu'une seule fois en français, dans les années 1960, par les éditions Seghers. C'était au sein de leur fameuse collection de poche «Poètes d'aujourd'hui». Et c'est dans ce même format carré que la maison s'est empressée de rééditer le poète ukrainien, deux mois seulement après le début de l'invasion russe, en précisant que l'intégralité des bénéfices des ventes sera reversée à l'association Aide médicale & caritative France-Ukrainе.

Il a constamment appelé au soulèvement, à la lutte contre l'envahisseur et pour la liberté.

Le choix de textes et la traduction de 1964, signés par le poète français Guillevic, ont donc été conservés, tout comme la préface de ce dernier, à laquelle s'ajoute un avant-propos d'André Markowicz. Deux courtes introductions essentielles pour comprendre en quoi les poèmes qui suivent dépassent la simple fonction littéraire et s'imposent aux yeux de nombreux Ukrainiens comme des textes quasi sacrés, en temps de guerre ou non.

Vladimir plutôt que Nicolas

C'est la langue ukrainienne elle-même qui trouve ici la source de sa forme actuelle; et avec elle, une histoire et une identité nationale pour ce pays sans cesse harcelé et morcelé que Chevtchenko aimait tant. Il écrit:

Ce vieillard était un pays
Un forçat et mort à demi
Sous les tortures endurées

Voilà ce qui marque le plus à la lecture de ces poèmes rédigés au milieu du XIXe siècle par cet artiste né esclave: leur époustouflante et dramatique actualité.

Pour exemple, comment, en 2022, ne pas lire Vladimir plutôt que Nicolas dans ce poème écrit en 1858?

La liberté désirée [...]
Le tsar Nicolas
L'a mise en sommeil et, crois-moi,
Cette chétive liberté
Pour la réveiller tout d'abord
Il faut nous mettre tous ensemble
À tremper la tête de hache
À tous aiguiser son tranchant

Ce n'est pas pour rien que le poète a connu bagne et interdiction d'écrire. Non content de dessiner les traits durables d'une identité ukrainienne, il a constamment appelé au soulèvement, à la lutte contre l'envahisseur et pour la liberté.

On comprend ainsi pourquoi les chants et poèmes de Chevtchenko sont redevenus populaires depuis 2014. Indéniablement, des vers aussi tranchants que

Au lieu du prophète humble et bon
C'est un tsar que Dieu nous donna

ont de quoi inspirer et galvaniser un peuple opprimé par un simili tsar qu'il ne faut pas confondre avec cet autre peuple qu'il dit incarner. De même et dans de pareilles conditions, nous galvaniserait sans doute «Le Chant des partisans» cité plus haut mais à propos duquel il est toujours bon de rappeler que les paroles de Joseph Kessel ne font qu'adapter un autre chant, russe celui-là.

La ferveur des poèmes de Taras Chevtchenko n'empêche donc pas la nuance (cette «seule fiance», confirmerait Verlaine). Une nuance qui peut parfois dériver jusqu'au désespoir, notamment lorsque le poète, entre deux exhortations, se laisse aller à la complainte sans issue. Ou dans ces vers composés un siècle avant l'invention de la bombe nucléaire et qui résonnent aujourd'hui étrangement:

Hélas! Pas bien longtemps
N'a chauffé le soleil
Il est devenu rouge
Il s'est mis à briller
Voici qu'il incendie
Détruit le paradis

Un avertissement, si ce n'est une prophétie.

Notre âme ne peut pas mourir

Taras Chevtchenko

Traduction: Guillevic

Seghers

128 pages

14 euros

Parution: 5 mai 2022

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