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Sur les forums de grossesse, la «positivité toxique» a cédé sa place aux scénarios d'horreur

C'est pire, et ça fait flipper les futures mères plus que ça ne les aide.

Forum après forum, on voit progresser l'idée que tant d'honnêteté crue sur la grossesse et la parentalité commence à moins ressembler à de la solidarité qu'à des tentatives de sape. | Dexswaggerboy <a href="https://unsplash.com/photos/OyvZbtXJRlA">via Unsplash</a>
Forum après forum, on voit progresser l'idée que tant d'honnêteté crue sur la grossesse et la parentalité commence à moins ressembler à de la solidarité qu'à des tentatives de sape. | Dexswaggerboy via Unsplash

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Jusqu'à une période relativement récente, aux États-Unis, la maternité en tant que fonction impliquait une certaine dose d'incontournables acclamations. L'expression moderne de ce phénomène, parfois qualifiée de «positivité toxique», a été largement disséquée et analysée dans une foule de lieux (y compris sur des sites de parentalité et des forums de grossesse) et interprétée comme un fardeau supplémentaire à la charge des futurs parents. La douleur de la grossesse et de la parentalité était forcément secondaire face au bonheur intrinsèque de l'événement et il convenait avant tout de se concentrer sur la joie de donner la vie, à l'exclusion de tout le reste.

Les initiatives féministes et l'explosion des forums de parentalité ont apporté des corrections importantes et nécessaires à cette pression. Les forums de sites allant de What to Expect à Babycenter, en passant par The Bump et Reddit sont des preuves concrètes de cette évolution; là, l'espace de conversation n'est pas seulement consacré à la grossesse au sens large mais à des problèmes spécifiques comme le diabète gestationnel, le placenta prævia et la césarienne.

Il existe des forums organisés en fonction des dates de terme (dont les membres peuvent comparer leurs symptômes à la même étape de leur grossesse) ou par catégories narratives, du type «histoires d'accouchement», où les utilisatrices angoissées peuvent profiter de l'expérience de centaines de femmes qui sont passées par là avant elles. Il existe des communautés en ligne pour les nouveaux parents, pour les parents dont les bébés prématurés sont en soins intensifs, pour les mères qui ont du mal à allaiter. En d'autres termes, les parents ont à leur disposition plus de ressources qu'il n'y en a jamais eu dans toute l'histoire de l'humanité.

Mais avec internet, le pendule s'est mis à pencher complètement de l'autre côté: la vitalité cucul la praline qui imprégnait autrefois toutes les discussions sur la grossesse a été noyée par un éventail d'histoires abominables, anxiogènes et hyper-détaillées.

Les forums sont devenus des exutoires

Mon ancienne collègue Ruth Graham a écrit en 2014 sur la manière dont le discours négatif sur la parentalité et l'accouchement était devenue la norme partout, introduite notamment par un vent révolutionnaire dans les blogs de mamans. Généralement présentés sous la forme «Ce que personne ne vous a dit sur la parentalité», les contenus étaient en réalité des perspectives auxquelles, assez ironiquement, il était devenu presque impossible d'échapper.

Cela ne signifie pas que cette nouvelle norme de négativité n'ait pas eu de bons côtés. La grossesse, comme la parentalité, peut tout à fait être source de souffrances. Il est parfaitement logique que des femmes qui ont souffert aient envie de le partager, maintenant qu'il est possible de le faire. En outre, les mœurs ont évolué pour s'y adapter de façon productive. L'adage qui veut que vous n'annonciez pas votre grossesse avant douze semaines au cas où vous feriez une fausse couche, par exemple, sous prétexte que cette forme de chagrin se vit seule plutôt qu'en demandant de l'aide à l'extérieur, a vécu.

Ce qui est intéressant aujourd'hui, plusieurs années après le début de cette phase de franchise, c'est que la tendance en ligne est de nouveau en train de bouger, en réaction à ce que Ruth Graham considère comme une négativité d'une inutilité monolithique. Il se mijote une sorte de retour du bâton.

Les mêmes forums qui, au départ, ont contribué à produire un récit plus honnête et complet de la parentalité, prennent le risque que la mise en avant de la souffrance ne devienne leur réglage par défaut.

Il convient de souligner que les forums ne sont pas intégralement négatifs (malgré des messages du genre «Est-ce que quelqu'un regrette d'avoir eu un bébé?» et «Avons-nous fichu notre couple en l'air?»). Il reste encore de nombreuses opportunités de partager des échographies ou de comparer la taille de son ventre, les idées de prénoms ou de fêter les heureux événements.

Mais en règle générale, les forums sont devenus des lieux de demandes de soutien où dominent des publications comparant les stratégies pour gérer les symptômes désagréables, les problèmes relationnels et les angoisses, et qui servent d'exutoires aux problèmes physiques et psychologiques. On sent bien la tonalité générale lorsque les plaidoyers pour des histoires positives sont présentés comme des exceptions honteuses: «Je viens de tomber enceinte et je suis terrifiée. Est-ce que quelqu'un a des histoires de grossesse heureuse?», s'enquiert timidement une utilisatrice sur le forum r/BabyBumps.

Validation des sentiments négatifs

Sur nombre de ces sites émerge une fascinante méta-discussion où les participantes parlent de notre manière de parler de la grossesse: forum après forum, on voit progresser l'idée que tant d'honnêteté crue sur la grossesse et la parentalité commence à moins ressembler à de la solidarité qu'à des tentatives de sape.

Certains de ces griefs tournent autour de problèmes communs que ces femmes observent dans la société dans son ensemble. Il y a aussi des plaintes sur la manière dont d'autres plateformes, comme Instagram, œuvrent à les démoraliser. «Est-ce que vous avez remarqué que toutes les publications des réseaux sociaux/internet se concentrent sur les aspects négatifs de l'accouchement et du post-partum?», peut-on lire au début d'une publication dans le groupe Février 2022 de What to Expect.

Mais voici ce qui est intéressant: l'utilisatrice poursuit en disant que la validation constante des sentiments négatifs sur la parentalité ne rend pas service aux parents: «Ces comptes Instagram “de soutien” qui disent [...] que ce n'est pas grave d'avoir l'impression d'être une grosse m*** qui n'a pas de lien avec son bébé [...], ben ça me donne l'impression d'être sur-préparée pour le négatif, et de n'avoir rien à attendre de bien.» De nombreuses internautes ont applaudi.

«On a besoin de davantage de femmes qui parlent tout haut de fausses couches, mais on n'a pas besoin de gens qui créent des peurs.»
Une utilisatrice d'un forum

Signe qu'un véritable retour de bâton est en train de se produire, on peut désormais trouver des forums qui se plaignent de leurs propres discours, et pas juste du monde extérieur. Sur BabyCenter, on peut ainsi lire: «Je n'aime plus venir dans cette partie de l'appli parce que je n'y trouve plus que de la négativité!» Dans une publication intitulée «HOLY HELL» du forum What to Expect, une utilisatrice se plaint que le ton de son groupe de «bidons» (c'est-à-dire de la cohorte de femmes qui doivent accoucher à la même période) est si négative qu'elle a décidé de partir: «P*** les femmes du groupe Octobre 2022 sont toutes totalement lugubres. Je suis consciente que tout le monde a des soucis et des angoisses, mais je vais quitter le groupe.»

Les réponses font écho à son ressenti: «Je suis dans le groupe Septembre 2022 et ben... la vache», s'exclame une utilisatrice. Une autre raconte que quelqu'un s'est fait «massacrer» pour avoir dit que les discussions incessantes sur les fausses couches lui donnaient des angoisses. «Je pense que demander que les gens n'écrivent rien sur leurs fausses couches c'est un peu exagéré, mais en gros ce qu'elle disait, c'est que ce groupe crée davantage d'angoisse qu'il n'aide les futures mères.»

Certes, il ne s'agit que de messages pris au hasard, et quelques anecdotes ne font pas une vérité générale. Mais si on s'y attarde assez longtemps, on constate que certaines tendances distinctes deviennent saillantes. Notamment une où les futurs parents essaient de savoir comment survivre à la parentalité dans un environnement narratif qui affirme que la survie est quasiment impossible.

Les forums font pourtant attention. Ils essaient, en réalisant beaucoup d'efforts dans certains cas, de bien distinguer les publications négatives qui aident de celles qui enfoncent. «Je crois que le problème, c'est que la plupart des gens ne se rendent pas compte qu'il y a une différence entre parler de sa fausse couche pour aider celles qui vivent la même chose et faire des posts qui font totalement flipper, explique une utilisatrice. On a besoin de davantage de femmes qui parlent tout haut de fausses couches, mais on n'a pas besoin de gens qui créent des peurs. Quelqu'un a quitté le groupe aujourd'hui en disant qu'elle en avait marre de lire tous les posts angoissés parce que ça lui sapait le moral. Je me sens vraiment mal pour elle.»

Futurs parents cherchent juste milieu

D'une certaine manière, c'est exactement comme ça que fonctionne internet: une fois que vous avez des milliers de personnes qui parlent d'un sujet, vous en avez qui vont préférer une approche optimiste, d'autres pessimiste, d'autres encore qui vont privilégier le déni ou l'encouragement, et enfin une autre catégorie qui va choisir les avertissements ou la franchise. Cela signifie que l'internet-papier glacé où évoluent des futures mamans qui baignent béatement dans une lumière tamisée les yeux fixés sur leur ventre existe encore.

Les discussions les plus intéressantes reflètent une génération de mères qui ne sont pas soutenues. Oui, les parents ont du mal à s'en sortir, mais le fait de dire «Ne vous inquiétez pas si vous avez du mal à gérer» ne fournit plus le soulagement thérapeutique d'autrefois –à l'époque où la positivité toxique était la norme. D'un autre côté, «Ce n'est pas grave de se sentir mal» est peut-être vrai, mais ça ne vous aide pas nécessairement à vous sentir mieux.

Par conséquent, les futurs parents (aux États-Unis en tout cas) cherchent désespérément un juste milieu qui leur permettra d'exprimer et de discuter un peu de leur bonheur malgré des conditions matérielles qui poussent au stress, au burn out et à l'épuisement. Certaines demandes peuvent sembler paradoxales. Ainsi, quand une membre écrit: «Est-ce que je suis la seule à avoir l'impression qu'il y a énormément de positivité toxique à combattre pendant la grossesse?» sur le forum r/Pregnancy, en citant des exemples comme «Ça en vaudra la chandelle! Ne t'inquiète pas pour ça! Fais confiance à tes tripes!», les réponses illustrent très vite la sensation d'être coincée entre deux extrêmes: «Où sont ces sphères et comment faire pour y entrer?», ou encore «Sérieusement, je pense que ce n'est pas bien de ne pas prendre au sérieux les difficultés et les souffrances des gens. Mais pendant ma première grossesse, je me suis tournée vers des forums et je me suis rendu compte que c'était un vrai concours à qui serait la plus malheureuse.»

«On essaie de vous dire que ce n'est pas grave de ne pas trouver que chaque instant de la parentalité est merveilleux.»
Une utilisatrice d'un forum

Dans un post sur r/BabyBumps intitulé «La positivité toxique lors de la grossesse semble tout envahir», les premières réponses mettent en question le postulat exposé dans le titre: «Curieusement, moi, j'ai plutôt vécu le contraire quand j'étais enceinte de mon premier. Absolument tout le monde avait une histoire horrible à raconter sur son accouchement, sur les bébés ou sur l'allaitement.» «Pareil pour moi!», répond une autre utilisatrice. «Où tu trouves de la positivité? Sur Amazon? Je n'ai entendu que des histoires d'horreur épouvantables.» Une autre témoigne: «Après mon accouchement, la première infirmière qui m'a aidée à aller aux toilettes m'a dit “Je parie que personne ne vous avait parlé de ce genre de truc”, je lui ai répondu que je n'avais entendu littéralement que ça pendant neuf mois!»

Sur les forums, la communion autour du partage des épreuves de la grossesse est donc en train de se fêler. Un peu. On sent que le solide consensus d'antan est en phase de dissolution quand apparaissent des publications qui défendent de façon explicite et agressive le discours négatif autrefois incontestablement dominant: «Avoir un bébé est difficile. Les gens n'essaient pas de vous faire peur», a publié quelqu'un sur r/beyondthebump. «On essaie de vous dire que ce n'est pas grave de ne pas trouver que chaque instant est merveilleux.»

«J'aimerais entendre de belles histoires aussi»

Ce n'est pas juste une forme de découragement pour celles qui recherchent des histoires positives et se plaignent d'avoir le moral sapé par un barrage d'anecdotes déprimantes; c'est une remise en question du postulat de base des contenus des forums sur la parentalité.

Dans ce sens, c'est une parfaite définition de cette deuxième vague de discours, désormais majoritaire, où la validation de sentiments difficiles à vivre ou inconfortables –du genre: «je déteste mon enfant» ou «j'ai fait une grosse bêtise»est une priorité. «J'essayais de faire la lumière sur les raisons de faire le choix de l'honnêteté au sujet d'une expérience post-partum. Pas de vous faire peur avec une histoire d'horreur, plutôt d'ouvrir une brèche dans toute cette positivité toxique qui entoure la parentalité», répond une personne à une internaute qui n'est pas d'accord avec elle.

D'autres restent sceptiques. «Euh, je n'y crois pas trop. Est-ce qu'il y a encore des gens qui présentent la parentalité comme quelque chose de merveilleux? J'ai l'impression qu'il faut être un ermite complet loin des réseaux sociaux pour ne pas savoir que c'est dur d'être parent. Tout le monde le sait.»

Ainsi, une troisième vague de rhétorique parentale est en train d'émerger. Certaines personnes commencent par admettre l'indéboulonnable postulat –«oui, la grossesse, c'est horrible»– avant d'annoncer leur besoin particulier de positivité. «Avec tous les mauvais trucs qu'on entend sur la grossesse et l'accouchement, quelles sont les bonnes choses que vous avez aimées pendant ce temps? (à part le bébé)», demande une internaute sur r/AskWomen. «Il y a quoi comme bonnes histoires sur la grossesse et l'accouchement? Racontez-moi vos expériences», demande une autre, qui détaille: «C'en est arrivé au point où je me mets à hyperventiler dès que quelqu'un parle d'avoir des enfants, tellement j'ai entendu d'anecdotes atroces. J'aimerais vraiment entendre de belles histoires aussi.»

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