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Comment établir un accueil équitable des réfugiés ukrainiens entre les pays de l'UE?

Des millions d'entre eux se trouvent déjà sur le territoire des pays de l'Union européenne –avant tout en Pologne. Comment serait-il possible de les répartir?

À Przemyśl, au sud-est de la Pologne, cette jeune fille attend son prochain moyen de transport en compagnie d'autres réfugiés ukrainiens. | Wojtek Radwanski / AFP
À Przemyśl, au sud-est de la Pologne, cette jeune fille attend son prochain moyen de transport en compagnie d'autres réfugiés ukrainiens. | Wojtek Radwanski / AFP

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Le 24 avril 2022, le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) recensait plus de 5,23 millions d'Ukrainiens ayant été contraints de fuir leur pays après l'invasion russe. Ce nombre pourrait atteindre 10 millions si la guerre se poursuit.

L'Union européenne a accordé une protection temporaire aux réfugiés en provenance d'Ukraine, et les citoyens européens ont fait preuve d'une grande solidarité à leur égard. Cet important afflux de réfugiés suscite toutefois certaines craintes. Notre récent article (également disponible en anglais) explique pourquoi il faut relativiser ces inquiétudes, et analyse différentes possibilités de répartition de ces millions de réfugiés entre les pays de l'UE.

Une opportunité à moyen terme

L'expérience offerte par l'étude des précédents flux massifs de réfugiés incite à penser que l'exil des personnes en provenance d'Ukraine ne devrait avoir, à moyen terme, que des effets mineurs sur les économies des pays de destination.

En effet, comme les migrants économiques, les réfugiés occupent des emplois caractérisés par une pénurie de main-d'œuvre; leur présence favorise la création de nouveaux emplois; ils consomment et, parfois, investissent dans les pays d'accueil. Un exemple contemporain est l'étude de l'afflux massif de réfugiés syriens en Allemagne en 2015 et 2016 qui démontre leur contribution positive à l'économie du pays hôte, même si dans un premier temps leur arrivée a pu augmenter la concurrence sur le marché du travail pour la population locale la moins qualifiée.

Les réfugiés ne constituent pas un coût en termes de finances publiques. Au contraire, il a par exemple été estimé que la réduction drastique des admissions de réfugiés sous la présidence de Donald Trump a coûté aux finances publiques des États-Unis plus de 2 milliards de dollars par an. En outre, les réfugiés créent ou renforcent des liens entre leur pays d'accueil et leur pays d'origine, favorisant in fine le développement d'activités économiques, d'échanges commerciaux et de l'innovation.

Cela s'est vérifié avec les «boat people» en provenance du Viêt Nam en 1970, qui ont dynamisé les échanges commerciaux entre les États-Unis et leur pays d'origine à la suite de la levée de l'embargo américain en 1994. Plus récemment, les arrivées de réfugiés aux États-Unis ont également contribué à l'essor des investissements étrangers vers leurs pays d'origine.

Néanmoins, ces effets ne se matérialisent pas immédiatement dans l'économie du pays d'accueil.

Sans coordination entre pays européens, les réfugiés ukrainiens risquent de se masser dans les pays géographiquement proches.

Les réfugiés ont fréquemment vécu des traumatismes. Ils sont souvent moins préparés à leur nouvelle vie que les migrants économiques. Cela se traduit par des difficultés pour maîtriser la langue du pays de destination ou par un manque de compétences spécifiques pour intégrer rapidement son marché du travail. Les obstacles rencontrés par les réfugiés peuvent également les contraindre à accepter des emplois pour lesquels ils sont surqualifiés.

Il n'est pas rare de voir, dans des études comparant l'emploi avant et après migration, un réfugié qui était ingénieur, médecin ou enseignant dans son pays d'origine, occuper un poste bien moins qualifié dans le pays de destination. Ce phénomène peut donc affecter des groupes spécifiques déjà présents dans les pays d'accueil comme les travailleurs peu qualifiés et les migrants arrivés précédemment. Les inégalités risquent alors de s'accroître dans les pays de destination.

Enfin, dans certains pays, une (trop) forte concentration de réfugiés au niveau local peut ralentir l'intégration des nouveaux arrivants: ainsi, la concentration de réfugiés en Grèce a entraîné des tensions malgré une forte solidarité de la population locale, ce qui pourrait avoir contribué à la montée en puissance de l'extrême droite dans ce pays. De tels phénomènes ont également été observés en Allemagne, en Autriche ou au Danemark après l'arrivée de réfugiés syriens en 2015.

Une responsabilité partagée entre pays européens

Sans coordination entre pays européens, les réfugiés ukrainiens risquent de se masser dans les pays géographiquement proches, où existent souvent des réseaux qui facilitent leur arrivée et leur intégration.

D'après la localisation de la diaspora ukrainienne en 2020, les pays les plus attractifs sont l'Allemagne, la Pologne, l'Italie et la Tchéquie. Si les réfugiés ukrainiens choisissaient leur destination en fonction de ce critère, 60% d'entre eux s'installeraient dans ces quatre États.

Les quatre diagrammes ci-dessous (pour les quatre pays étudiés, l'Allemagne, la Pologne, l'Italie et la France) montrent la répartition géographique des demandeurs de protection ukrainiens selon trois scénarios: dans le cas où 4 millions, 7 millions ou 10 millions de réfugiés arrivaient dans les 27 pays membres de l'UE.

Cinq clés de répartition (c'est-à-dire cinq critères sur lesquels fonder la politique de répartition) ont été étudiées, que celles-ci soient spontanément suivies par les réfugiés ou qu'elles soient utilisées par les États. Ces cinq clés de répartition se basent sur le nombre d'Ukrainiens présents dans le pays en 2020, les flux sur les cinq dernières années, la part de la population, le PIB, et une combinaison de la part de la population et du PIB.

 

Projection de répartition des réfugiés en provenance d'Ukraine selon cinq clés de répartition (pour plus de détails sur ces calculs, voir ici). | Jean-François Maystadt

Dans le scénario où il y aurait 7 millions de réfugiés, nos estimations basées sur le nombre d'Ukrainiens résidant dans chaque pays (stock) indiquent que 1,4 million d'entre eux iraient en Allemagne, 1,3 million en Pologne et environ 90.000 en France.

Une répartition mise en place à l'échelle européenne basée sur la population de chaque pays (pop) réduirait quelque peu la pression sur les pays voisins de l'Ukraine, en attribuant, toujours dans l'hypothèse d'un total de 7 millions de réfugiés, 600.000 réfugiés à la Pologne, 1 million à la France et 1,3 million à l'Allemagne.

Une autre formule de répartition prenant en compte le PIB et la population (mix), augmenterait légèrement le nombre pour les pays d'Europe de l'Ouest et le réduirait pour les pays d'Europe de l'Est.

Une opportunité pour plus de coordination en Europe?

La réponse de l'Europe à l'afflux de réfugiés venus d'Ukraine contraste avec celle adoptée en 2015, lorsque plus d'un million de réfugiés, principalement en provenance de Syrie, sont arrivés dans le Vieux Continent.

Cette fois, l'UE a décidé, pour la première fois depuis sa création, de déclencher la protection temporaire pour les réfugiés. L'octroi d'un tel statut et de permis de travail temporaires, ainsi que l'accès aux services de santé, faciliteront sans aucun doute l'acquisition par les réfugiés venus d'Ukraine des compétences nécessaires à leur intégration.

Les autres flux de réfugiés ne doivent pas être oubliés, car les conflits et les tensions politiques restent d'actualité dans d'autres parties du monde.

À long terme, les conséquences économiques des flux de réfugiés en provenance d'Ukraine seront probablement mineures, en particulier si l'UE assure une responsabilité partagée entre États membres.

Mais le processus d'intégration prendra du temps –et ce, malgré le rôle essentiel tenu par les réseaux ukrainiens dans les pays d'accueil. Pour gérer cette situation, il semble crucial de bien répartir les réfugiés entre et au sein des pays européens, afin d'éviter de (trop) fortes concentrations de ces individus.

Les autres flux de réfugiés ne doivent pas être oubliés, car les conflits et les tensions politiques restent d'actualité dans d'autres parties du monde, et sont susceptibles de déclencher de futurs déplacements forcés. Enfin, l'exode ukrainien actuel peut offrir une occasion de réformer la politique d'asile et de renforcer la coordination au sein de l'UE.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l'article original.

The Conversation

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