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Belgique: la complexité de l'Etat au service des autonomistes

Le système politique et institutionnel belge est le résultat de 40 années de réformes de l'Etat et d'innombrables compromis qui laissent certaines zones d'ombre. Les partis flamands autonomistes en profitent pour interpréter les lois en leur faveur, dans un but unique: pousser le système à bout.

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Le mille-feuilles étatique belge se compose de pas moins de quatre niveaux institutionnels: le fédéral, les régions (au nombre de 3), les communautés (3 aussi) et les provinces (11). Chaque entité possède ses propres compétences et dans une logique de conflits entre Flamands et francophones, il est facile pour les partisans de la fin de l'Etat fédéral (ou de la Belgique tout court) d'utiliser les zones floues de la législation et de la répartition des pouvoirs pour leur propre bénéfice. Comme si la Belgique, pays du compromis par excellence, s'était fabriquée la corde avec laquelle les flamingants veulent l'étrangler.

Des maires rebelles, mais pas trop

Dans le contexte actuel des élections anticipées (le 13 juin), 16 des 24 maires des communes flamandes de la périphérie bruxelloise ont annoncé qu'ils refuseront d'organiser le scrutin. Leur raison: ils les considèrent inconstitutionnelles.

Il est en effet vrai que la Cour constitutionnelle belge a rendu un arrêt en 2003, demandant une réforme de la carte électorale belge avant la tenue de toute nouvelle élection. La raison réside dans l'exception faite à la circonscription électorale de Bruxelles-Hal-Vilvorde (BHV): alors que toutes les autres sont délimitées selon les provinces, BHV l'est selon des critères linguistiques (bilingues), ce qui ne respecte pas le critère d'équité de représentation entre les citoyens.

Reste que l'arrondissement fautif existe toujours, puisque c'est ce dossier qui a provoqué la chute du gouvernement d'Yves Leterme le 22 avril dernier. Ces maires seraient-ils donc dans leur droit? Non, selon Christian Behrendt, constitutionnaliste à l'Université de Liège:

Non clairement, des maires n'ont pas à juger de la constitutionnalité d'une élection. Leur mission est juste de les organiser. Il n'y a que la Chambre de Représentants (NDLR: équivalent de l'Assemblée nationale) qui peut juger de la validité d'une élection, et ce, après sa propre élection. Et il est difficile d'imaginer une Chambre s'auto-invalider.

Que faire contre ces maires récalcitrants? Les autorités belges pourront les forcer à organiser le scrutin, via le Gouverneur de Province ou dans le pire des cas, par l'emploi de la force publique. Mais quelle punition pour ces rebelles?

Aucune. Car dans la répartition des compétences, la personne responsable de sanctionner ce genre d'attitude est le ministre de l'Intérieur de Flandre. Et ce dernier, Geert Bourgeois, est membre du parti autonomiste la Nouvelle Alliance Flamande (NVA) et il l'a déjà déclaré: pas question pour lui de sanctionner ces maires, qu'il estime dans leur droit.

Finalement, la faiblesse de leur rébellion est patente: certains sont candidats et ont annoncé que si l'Etat les forçait à organiser le scrutin, ils le feraient. Pas en leur nom de bourgmestre, mais en tant que simple représentant de l'Etat. «C'est un coup médiatique, pour montrer qu'on résiste à l'autorité et qu'on défend les intérêts de sa communauté, dans l'unique but d'obtenir plus de voix. Ces bourgmestres ne sont pas forcément indépendantistes, mais juste pour une autonomie très large», conclut Christian Behrendt.

Ne pas dépasser la ligne rouge

Ce n'est pas la première fois que des partis autonomistes stigmatisent des situations en les rendant ubuesques pour mieux en tirer profit. Une des affaires les plus connues est celle des trois bourgmestres francophones de la périphérie bruxelloise qui, quatre ans après les élections, n'ont toujours pas pris leur fonction. Pourquoi cela? Parce que le ministre de l'Intérieur des Flandres (toujours ce même Geert Bourgeois) refuse de les nommer, prétextant que ces derniers ont commis une faute en envoyant des documents électoraux en français aux Francophones de leur commune.

Alors que ces Francophones vivent dans des communes flamandes à facilités, il estime qu'ils auraient d'abord dû les envoyer en néerlandais, puis en français uniquement à ceux qui en faisaient la demande explicite.

Christian Behrendt explique:

C'est une interprétation de la circulaire Peters, validée par la Chambre flamande du Conseil d'Etat. Or cela remet en cause les droits linguistiques des francophones vivant dans ces communes et normalement garanties par les lois fédérales.

Toutefois, ce même ministre se retient bien de nommer d'autres bourgmestres à la place des récalcitrants au néerlandais, alors que cela fait partie de ses pouvoirs.

S'il décidait d'en nommer d'office, il permettrait aux trois bourgmestres élus de porter leur cas en justice. Pour le moment, il n'est pas possible de remettre en cause l'interprétation de la Chambre flamande au sujet de la circulaire Peters. En rouvrant le dossier, une chambre mixte (NDLR: moitié flamande, moitié francophone) pourrait cette fois rejuger de la validité de la situation. Et il le sait: il a toutes les chances de perdre.

En maintenant ces trois bourgmestres dans une zone grise, Geert Bourgeois poursuit un but politique: apparaître comme un homme fort qui ne cède pas aux Francophones, ce qui est très important aux yeux de son électorat autonomiste, voire indépendantiste.

Le président de la NVA, Bart De Wever, voudrait même encore aller plus loin: faire en sorte que ces hommes ne puissent plus se présenter à une élection en Flandre. Son parti travaillerait sur les possibilités légales, considérant que ces gens-là ont des «propos provocants» et «que cela suffit». Jouer les gros bras en profitant des flous juridiques semble fonctionner. Le parti de Bourgeois et de De Wever, le NVA, est crédité pour les élections du 13 juin de 23% des voix, ce qui ferait de lui le premier parti de Flandre.

Jean-Sébastien Lefebvre

Photo: Worn Out, Used Rubik's Cube / frozenchipmunk via Flickr License CC by

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