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Forage en eaux profondes: ce qui se passe à 1.500 mètres

La catastrophe écologique du Golfe du Mexique rappelle brutalement les conditions extrêmes de la prospection pétrolière actuelle où des forces naturelles colossales sont maîtrisées par de la haute technologie.

Temps de lecture: 5 minutes

Frédéric Filloux a couvert pendant plusieurs années le secteur de l'énergie à Libération et a visité des plateformes de forage en mer du Nord. Voici un premier article sur les forages en eaux profondes.

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Les professionnels de l'industrie pétrolière n'excluent pas un scénario sombre pour le golfe du Mexique: le puits n°60-817-4169 pourrait continuer de fuir pendant des mois, voir des années avec la même intensité. Aujourd'hui, les experts apparaissent démunis face à l'ampleur de la catastrophe et les solutions réalistes sont tellement incertaines que tous les remèdes sont envisagés.

Pour comprendre ce qui est en train de se jouer à 1.500 mètres sous la surface, il est nécessaire d'expliquer le formidable enjeu technologique que représente le forage en eaux profondes.

La plateforme Deepwater Horizon louée à la société Transocean par British Petroleum, était ce qu'on appelle un «rig» d'exploration. Il s'agit d'immenses structures de plusieurs dizaines de milliers de tonnes qui sont positionnées au-dessus des réservoirs d'hydrocarbures. A ce jour, environ 400 ces plateformes sont déployées à travers le monde (détails sur ce site qui donne même les tarifs de location). Les plus simples sont posées sur le fond de la mer dès lors que la profondeur n'excède pas quelques dizaines de mètres. Au-delà, on a recours à des plateformes flottantes (ou à des navires de forage) qui sont ancrées au fond de l'eau et/ou maintenues en position grâce à des moteurs commandés par un GPS. La plateforme qui a sombré était de ce dernier type. Elle opérait par 1.500 mètres d'eau un puits qui s'enfonçait ensuite à plus de 4.000 mètres de profondeur. Une opération extrême, mais qui est appelée à devenir courante avec un baril à 75 dollars (plus le prix du baril augmente, plus le nombre champs exploitables s'élargit et plus le nombre d'années de réserves s'accroît...).

Comment connaître le potentiel d'un puits

Les plateformes d'exploration interviennent dans la phase la plus critique de l'exploitation d'un gisement. On les dépêche lorsque des étude préliminaires ont révélé la forte probabilité d'un réservoir d'hydrocarbures, pétrole ou gaz, les deux étant souvent combinés. Ces techniques reposent sur des analyses géologiques et sismiques poussées; on envoie des ondes sonores sur le fond de la mer puis on analyse les réverbérations afin de créer des modèles géophysiques qui vont révéler en trois dimensions le profil d'un réservoir. Ces calculs sont parmi les plus complexes qui soient et l'industrie pétrolière est, avec la météo, la plus gourmande en puissance informatique.

Malgré cela, on n'est sûr de rien. Le seul moyen d'avoir la certitude qu'il s'agit d'un gisement exploitable est d'effectuer un forage d'exploration avec le risque de tomber sur un puits «sec», ou sur un réservoir rempli d'eau salée, ou encore à trop faible pression. Une fois le réservoir atteint, une série de mesures permettra alors de comprendre avec certitude le potentiel du gisement. Le cas échéant, on forera d'autres puits de tests avant de décider de construire une plateforme de production, de poser les tuyaux sous-marins pour acheminer le pétrole ou le gaz vers la terre ferme. Souvent, il faudra filtrer un mélange qui, lorsqu'il sort de terre, ressemble à une sorte de champagne sablonneux (qui se fige à basse température), en séparant le gaz, le liquide, les minéraux parasites. Sur un champ pétrolier, le coût de ces installations se chiffre en milliards de dollars. D'où l'importance de ces forages d'exploration qui vont décider de ces investissements.

Forage extrême, risques extrêmes

Pour forer un puits à cette profondeur, tout est télécommandé depuis la surface. Plus question d'envoyer des plongeurs comme à la grande époque de la Comex qui intervenaient à grands risques jusqu'à 300-400 mètres de fond. Par 1.000 ou 2.000 mètres de profondeur, les robots font le travail. On descend un long tuyau (le riser) jusqu'au fond de la mer. Là, on installera la tête de puits, énorme pièce de fonderie de 500 tonnes, équipée d'innombrables vannes hydrauliques.

Le forage est une opération complexe et dangereuse. Pour les opérations les plus extrêmes, aujourd'hui, les dimensions dépassent l'imagination. Deux mille mètres d'eau, éventuellement des couches sédimentaires, parfois une épaisseur de sel de 4 à 5 km comme c'est le cas des nouveaux champs géants découverts au large du Brésil, ensuite à nouveau un kilomètre plus loin pour atteindre le réservoir. Celui-ci n'a rien de la structure d'une nappe phréatique, où le liquide repose, limpide et clair. Un réservoir d'hydrocarbures est une roche poreuse, instable et brûlante, soumise la pression colossale de 6.000 mètres d'écorce terrestre qui le comprime.

Pour sophistiquées que soient les modélisations de réservoirs, les foreurs ne savent jamais exactement à quoi s'attendre lorsqu'ils vont atteindre les zones critiques. Un puits offshore va prendre de quelques semaines à quelques mois pour être foré. Un travail harassant consistant à descendre, remonter, redescendre, des centaines de tiges de forages, longs tubes d'acier de 9 mètres de long et de 10 à 20 centimètres de diamètre, creux, vissés les uns autres autres. Ce «train de tiges» fait tourner un tricône (le trépan)  équipé de molettes en diamant capables percer tous types de roches. Pour donner une idée, un puits extrême long de 7 kilomètres comme il en existe des dizaines actuellement dans le monde, va nécessiter un train de près de 800 tiges mises bout à bout; son comportement serait celui d'une tige de métal de 3 mm de diamètre et d'une longueur de 60 mètres: elle est flexible, flambe, se vrille, le cas échéant se brise. Lorsqu'en surface on stoppe la rotation de l'ensemble, l'élasticité du train de tiges fait que le trépan continue de tourner plusieurs dizaines de secondes!  Là encore, tout cela fait l'objet de modélisations informatiques sophistiquées puisqu'on est capable de piloter cet ensemble, forer en biais et même horizontalement lorsqu'il s'agit d'aller drainer un réservoir de forme lenticulaire.

Un million de dollars par jour

Naturellement, les multiples couches de roches traversées n'ont rien d'un granit breton. En fait, un puits a tendance à s'effondrer sur lui-même en permanence. Afin d'éviter cela, à mesure que le forage se poursuit, on descend un tubage en acier qui va consolider l'ensemble et permettre le va-et-vient du train de tiges. Car comme rien n'est simple, il faut sans cesse remonter la colonne pour changer le trépan qui s'use, l'adapter en fonction des types de roches traversées, parfois se casse, etc. Ce travail de titan explique le coût d'un forage extrême: entre la location de la plateforme (compter 200 à 300.000 dollars par jour), les différents spécialistes qui interviennent, le matériel constamment acheminé par des navires de soutien ou des hélicoptères, la facture atteint souvent un million de dollars par jour et certains puits prennent trois mois pour être achevés. L'opération menée par Deepwater Horizon était budgetée à 96 millions de dollars pour 78 jours de forage.

Dans la catastrophe de la plateforme BP, un autre élément, peu sexy mais crucial dans cette technique, a joué un rôle essentiel: les boues de forage. Pour simplifier, il s'agit d'eau chargée d'un alourdissant minéral (en général de l'argile) et d'une flopée de produits chimiques qui remplissent un rôle précis en fonction des géologies traversées. Cette mixture a trois fonctions essentielles. En premier lieu, elle refroidit le trépan qui, entre la friction contre la roche et la température ambiante risquerait de fondre; ensuite, cette boue, injectée sous haute pression à l'intérieur de la tige, sert à remonter les débris rocheux du percement; enfin, cette colonne de boue haute de plusieurs kilomètres sert à contrer la formidable pression du mélange pétrole-gaz  qui a tendance à vouloir s'échapper vers la surface. De ce que l'on sait aujourd'hui, c'est une erreur humaine dans la gestion de cette boue qui est à l'origine d'une des plus grande catastrophes qu'ait jamais connu l'exploration pétrolière.

Frédéric Filloux

Photo: Une capture d'écran de la vidéo prise par BP de la fuite. REUTERS/BP/Handout

Prochain article: ce qui s'est passé à bord de Deepwater Horizon, les remèdes possibles.

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