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Il faut regarder la Hongrie d'Orbán pour savoir ce qui nous attend si Marine Le Pen est élue

Soutenue par le Premier ministre hongrois, la candidate Rassemblement national propose une politique eurosceptique, anti-migrants et nataliste inspirée de l'exemple magyar, vu comme un modèle à suivre.

Marine Le Pen et Viktor Orbán lors d'une conférence de presse commune donnée à Budapest, le 26 octobre 2021. | Attila Kisbenedek / AFP
Marine Le Pen et Viktor Orbán lors d'une conférence de presse commune donnée à Budapest, le 26 octobre 2021. | Attila Kisbenedek / AFP

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«La vie européenne libre est aujourd'hui sérieusement menacée. L'immigration, une attaque contre nos familles, la propagande LGBTQ et le rêve fébrile d'une Europe fédérale nous menacent tous. [...] Vous êtes nos compagnons d'armes. Madame Le Pen est un grand guerrier expérimenté. Je lui souhaite bonne chance dans son combat! Aux armes, citoyens! Formez vos bataillons! Vive l'Europe libre!». Le 5 février à Reims, les spectateurs du meeting de Marine Le Pen découvrent une vidéo de soutien du Premier ministre magyar Viktor Orbán, idole des droites radicales européennes et de la candidate RN.

Le tribun préfère la souverainiste Le Pen au progressiste Macron, meilleur ennemi d'Orbán. L'automne dernier, «Marine» et son concurrent extrémiste Éric Zemmour se disputaient l'onction de «Viktor» à Budapest à un mois d'intervalle. La frontiste remporta finalement la timbale.

Une semaine après son déplacement remarqué en Hongrie, la quinquagénaire accueillie telle une cheffe d'État par son modèle Viktor Orbán obtenait d'une banque magyare un prêt de campagne de 10,6 millions d'euros. Nom de l'organisme: MKB, propriété de Lőrinc Mészáros, ami d'enfance d'Orbán et oligarque favori du régime.

Lors de sa conférence de presse commune avec Viktor Orbán, Marine Le Pen saluait une Hongrie «à la pointe du combat pour la liberté des peuples», puis honorait le «courage» et la «détermination» du leader magyar, dont elle félicita la réélection écrasante le 3 avril. Admiratrice de son régime «illibéral» et de sa lutte contre la «brutalité idéologique» de Bruxelles, la candidate calquerait en France la politique eurosceptique, anti-migrants et nataliste de son modèle si elle remportait la présidentielle.

«Europe des nations libres et souveraines»

Marine Le Pen préconise la création d'une «Alliance européenne des Nations» qui se substituerait progressivement à l'Union européenne. Objectif? «Mettre un terme au projet de ceux qui veulent faire de l'Union européenne un super-état fédéraliste chargé d'idéologie», avance son programme officiel.

Viktor Orbán utilise un vocabulaire similaire dans la lutte qu'il mène depuis douze ans contre Bruxelles. Selon lui, l'Europe incarne une «doctrine Brejnev modernisée» qui restreint la souveraineté des États-membres, et l'UE «propage la société ouverte» chère à George Soros, milliardaire honni de Budapest.

L'arrivée de Le Pen à l'Élysée redynamiserait le projet d'Orbán.

En mars 2017, une «consultation nationale» incitait les Hongrois à «arrêter Bruxelles», susceptible de prendre des décisions qui «mettent en danger [la] souveraineté nationale et la sécurité du pays». En février 2018, des affiches ciblaient la bête noire George Soros ainsi que Jean-Claude Juncker, alors patron de la Commission européenne, qui avait giflé le «dictateur» Orbán. Sourire mesquin aux lèvres, les deux hommes étaient accusés de vouloir forcer l'adoption de quotas de migrants, affaiblir les États-membres sur la protection frontalière et faciliter l'immigration massive via des «visas pour migrants».

Au soir de son quatrième triomphe électoral consécutif en Hongrie, le démagogue magyar éreintait les «bureaucrates de Bruxelles», qui menaçaient de couper les subventions irriguant son système. Isolé au Parlement européen depuis mars 2021 et la rupture du Fidesz avec le PPE, principale famille de droite continentale, Viktor Orbán ambitionne de bâtir une vaste coalition souverainiste qui inclurait notamment le RN, la Lega italienne de Salvini et le PiS polonais. Le PiS s'éloigne du Fidesz à cause de sa position plutôt pro-russe sur la guerre en Ukraine, mais l'arrivée de Le Pen à l'Élysée redynamiserait le projet d'Orbán.

«Préserver de la submersion migratoire»

«Notre pays doit retrouver la pleine maîtrise de l'immigration», clame le manifeste présidentiel de Marine Le Pen. Si la candidate RN ne propose pas de murer physiquement l'Atlantique, la Manche ou la Méditerranée, les barrières symboliques qu'elle dresserait à l'entrée de l'Hexagone rappellent la clôture décrétée par Orbán sur la frontière serbo-hongroise, lors de la crise des réfugiés de l'été 2015. «Marine» veut expulser systématiquement et immédiatement les étrangers en situation irrégulière, quand la Hongrie de «Viktor» refoule sans ménagement vers la Serbie celles et ceux qui tentent de franchir la clôture.

Marine Le Pen entend «inciter les familles françaises à concevoir plus d'enfants». Elle affirme privilégier la natalité à l'immigration.

La modification du droit d'asile souhaitée par Le Pen «afin qu'il ne soit plus une filière d'immigration» rejoint le détricotage opéré par Viktor Orbán, qui transforma la thématique en martingale politique. L'exécutif magyar ferma la plupart des camps spécifiquement dédiés à l'accueil après 2015.

Une loi du 5 juillet 2016 automatisa la reconduction des migrants illégaux interceptés dans les 8 kilomètres autour de la zone frontalière. Un amendement de mars 2017 généralisa la règle dans toute la Hongrie. Les demandeurs d'asile doivent soumettre leur dossier auprès des ambassades de Kiev ou de Belgrade.

Épinglée par la Cour de justice de l'Union européenne en mai 2020, la Hongrie mit fin aux «zones de transit» de Röszke et de Tompa vues comme des «lieux de rétention», et transféra les migrants dans des centres ouverts. Plusieurs ONG dénonçaient des mauvais traitements allant jusqu'à la privation de nourriture.

Orbán ouvre opportunément les bras aux Ukrainiens pour redorer son image, mais continue d'instrumentaliser le «péril migratoire». Comme lui, Marine Le Pen défend l'immigration choisie. Le séjour des étrangers «doit être subordonné à la seule satisfaction des intérêts de la France», écrit-elle.

«Protéger les familles, cellule de base de la société»

Marine Le Pen entend «inciter les familles françaises à concevoir plus d'enfants». Elle affirme privilégier la natalité à l'immigration, choix de la «continuité de la nation» et de la «transmission de notre civilisation». Mi-février 2019, Viktor Orbán annonçait avec une approche identique un arsenal nataliste installant les bébés en instrument de sa politique anti-migrants.

Les bambins à venir devaient enrayer la «transformation» (équivalent de la théorie du «grand remplacement») entamée au sein du Vieux Continent et protéger l'héritage chrétien de la Hongrie, menacé par «l'islamisation» accompagnant selon lui l'immigration.

Celle qui envisage la famille comme «le premier maillon de la communauté nationale», mère de trois enfants à l'instar de Katalin Novák, espère s'emparer des commandes de l'Hexagone le 24 avril.

Le gouvernement Orbán propose des prêts avantageux avoisinant les 30.000 euros pour les couples décidant d'élever trois enfants. Le deuxième annule un tiers de la dette, le troisième l'intégralité. L'exécutif accorde aussi une aide financière sans contrepartie à l'achat d'un véhicule neuf pour les familles nombreuses, et exonère d'impôts à vie les mères d'au moins quatre enfants.

Marine Le Pen instaurerait une part fiscale pleine au deuxième enfant et un prêt public immobilier à taux zéro sur dix ans de 100.000 euros maximum, dont le reste à rembourser serait effacé par la naissance du troisième bout de chou.

Les mesures portées en terre magyare par l'ex-ministre de la Famille, Katalin Novák, ont certes stimulé l'envie de pouponner et inspiré Marine Le Pen, mais elles ont surtout renforcé une classe moyenne supérieure déjà gagnante du régime. Adoubée mi-mars par l'Assemblée nationale, Novák la fidèle d'Orbán prendra officiellement le 10 mai ses fonctions de première femme présidente de l'histoire de la Hongrie.

En France, celle qui envisage la famille comme «le premier maillon de la communauté nationale», mère de trois enfants à l'instar de Katalin Novák, espère s'emparer des commandes de l'Hexagone le 24 avril.

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