Santé / Monde

À Shanghai, la stratégie du «zéro Covid» coûte que coûte

Confrontée à une importante flambée de Covid et à la crainte de voir apparaître de nouveaux variants d'Omicron, la mégalopole chinoise se voit imposer un confinement très strict, comme aux premiers mois de la pandémie.

Un agent de santé prêt à effectuer un test de dépistage, dans un complexe résidentiel à Shanghai, le 1er avril 2022. | Hector Retamal / AFP
Un agent de santé prêt à effectuer un test de dépistage, dans un complexe résidentiel à Shanghai, le 1er avril 2022. | Hector Retamal / AFP

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La stratégie «zéro Covid» chinoise a bien fonctionné depuis que la maladie est apparue fin 2019. Les cas de contamination provenant généralement de voyageurs venus de l'étranger ou ceux survenus dans quelques villes ne se sont pas multipliés grâce à des confinements très stricts. Mais l'épidémie d'Omicron repérée en mars est un nouveau défi pour la Chine.

Quelque vingt-trois villes, totalisant près de 200 millions d'habitants, sont actuellement en confinement total ou partiel. Dès qu'un cas positif y est détecté, même asymptomatique, la personne concernée et ses cas contacts sont mis à l'isolement tandis que le bâtiment où elle réside est barricadé entre sept et quatorze jours.

Début mars, l'épicentre de l'épidémie s'est d'abord situé dans la province du Jilin, au nord-est de la Chine où des décès ont été recensés. Très vite, le Liaoning voisin a été touché et, le 21 mars, les 9 millions d'habitants de Shenyang, sa capitale, ont été confinés. Après quoi, dans le sud de la Chine, la reprise de l'épidémie a semblé diminuer rapidement, notamment à Shenzhen. Ses 17 millions d'habitants, confinés pendant une semaine à la mi-mars, ont pu reprendre le travail avec obligation de faire un test PCR toutes les 48 heures. Mais c'est maintenant à Shanghai que se développe cette nouvelle vague de contamination.

Une ville à l'arrêt

Lundi 4 avril, la mairie de Shanghai a recensé 13.354 cas de Covid-19, soit 268 cas confirmés et 13.086 cas symptomatiques. Au total, depuis la mi-mars, sur les 26 millions d'habitants de la ville, plus de 73.000 personnes ont été touchées par la maladie. Dans l'ensemble de la Chine, en une seule journée, 20.472 cas de Covid-19 ont été comptabilisés le 5 avril, 70% provenant de Shanghai.

Certes, ces chiffres restent modestes par rapport au nombre de cas de Covid-19 en Occident l'année dernière mais, en Chine, ils sont inédits depuis deux ans. Et une inquiétude supplémentaire est provoquée par la découverte d'un nouveau variant d'Omicron. Il s'agit d'une mutation décrite dans la presse chinoise comme «jamais répertoriée dans aucune base de données locale ou internationale». Il faut attendre une quinzaine de jours avant de déterminer si ce sous-variant est plus virulent ou plus contagieux que d'autres formes d'Omicron déjà connues.

«Face à la forte augmentation du nombre de personnes infectées, nos préparatifs étaient insuffisants.»
Ma Chunlei, Secrétaire général du Parti communiste de Shanghai

En tout cas, les autorités de Shanghai ne veulent surtout pas qu'on puisse leur reprocher de ne pas suffisamment agir contre cette nouvelle épidémie. Cependant, pour ne pas bloquer totalement l'activité économique de la ville, il a d'abord été décidé d'atténuer la rigueur du confinement. Celui-ci devait concerner alternativement les 11 millions d'habitants de Pudong, à l'est de la ville, puis les 14 millions de Puxi, à l'ouest. Mais cette solution n'a pas pu être mise en place durablement, l'épidémie se développant trop rapidement. Le confinement de Puxi, commencé le 28 mars, devait ne durer que quatre jours. Il a été prolongé en raison de l'apparition de cas positifs et c'est finalement l'ensemble de la ville qui est actuellement confiné.

Wu Qianyu, le responsable la Commission municipale de la Santé de la ville, a annoncé qu'il s'agit «d'éliminer complètement les risques potentiels, de couper les chaînes de transmission, de contenir la propagation du virus et de réaliser l'objectif dynamique zéro Covid dans les meilleurs délais».

Renfort militaire et médical

Les Shanghaïens sont désormais confinés à domicile. Une organisation massive a été mise en place. Chaque habitant ne peut sortir de chez lui que pour se faire tester. Pour renforcer l'action de dépistages massifs, 2.000 soldats ont été envoyés aux côtés des personnels médicaux locaux. Par ailleurs, près de 38.000 professionnels de santé, venant de régions non touchées par l'épidémie de Covid sont arrivés à Shanghai. La Commission municipale de la Santé a fait savoir qu'ils vont notamment s'occuper de soigner des cas légers et des porteurs asymptomatiques.

Dans plusieurs halls d'exposition hâtivement transformés en centres de quarantaine, les conditions d'accueil semblent être déplorables.
 

Le 3 avril, 1.300 patients souffrant de telles pathologies ont été reçus dans un hôpital temporaire de 2.700 lits dans l'arrondissement de Chongming. Ils ont été examinés par des équipes médicales locales, assistées par 650 médecins et infirmiers venus de la province de l'Anhui. Mais ce cas n'est qu'un exemple: la ville a fait savoir que 47.700 lits ont été ouverts dans plusieurs hôpitaux temporaires nouvellement construits et que 30.000 autres sont en cours d'installation. Et Gu Honghui, secrétaire général adjoint de la municipalité, a précisé que «soixante-deux sites temporaires de quarantaine ont été désignés dans des hôtels, des stades, des centres d'exposition et des centres de formation». Il est annoncé que le vaste Centre international des expositions de Shanghai va installer près de ses locaux 15.000 lits «pour traiter davantage de patients présentant des infections bénignes ou asymptomatiques».

Un durcissement à prévoir

Cependant, les efforts de la municipalité font parfois l'objet de critiques. La presse de Shanghai donne la parole à des habitants qui ne comprennent pas pourquoi plusieurs hôpitaux de la ville sont fermés. Par ailleurs, dans plusieurs halls d'exposition hâtivement transformés en centres de quarantaine, les conditions d'accueil semblent être déplorables. Ce qui visiblement amène la mairie à reconnaître qu'elle était mal préparée à cette nouvelle flambée de Covid.

Au cours d'un briefing de presse, Ma Chunlei, Secrétaire général du Parti communiste de Shanghai a tenu un propos plutôt rare en Chine en disant que «face à la forte augmentation du nombre de personnes infectées, nos préparatifs étaient insuffisants». Avant d'ajouter: «Nous acceptons sincèrement les critiques de chacun et nous travaillons dur pour améliorer la situation.»

Ce genre de déclaration à l'allure d'autocritique indique probablement que les autorités shanghaiennes savent qu'elles vont devoir demander à la population de se plier à des conditions de vie et à des restrictions de consommation qui s'annoncent difficiles. Tout en proclamant que la municipalité pouvait difficilement prévoir la situation sanitaire actuelle.

Familles séparées

Mais, pour les internautes de Shanghai, c'est l'application stricte des mesures d'isolement qui soulève des questions. Des bébés testés positifs sont séparés de leurs parents pour être emmenés dans des centres de quarantaine. Inversement, des parents atteints du Covid sont séparés de leurs enfants en bas âge. De nombreux Shanghaiens, semble-t-il, estiment que, même avec cette maladie contagieuse, les familles ne doivent pas être séparées.

La municipalité a répondu en accumulant toutes sortes d'aménagements à ce qu'elle avait d'abord décidé. D'abord, si des parents doivent être isolés, les services de la ville apporteront une «aide rapide» aux enfants qui se retrouveront seuls. Soit un «tuteur provisoire» pourra être désigné soit l'enfant sera placé «dans une institution où l'on prendra soin de lui». Et si c'est un enfant qui est contaminé, il sera hébergé dans un centre de quarantaine s'il a plus de 7 ans et dans un centre de santé publique s'il est plus jeune.

Ensuite, le service de santé a précisé que «si l'un des parents est également infecté, il pourra accompagner l'enfant et prendre soin de lui». Avant d'ajouter le 6 avril que si c'est l'enfant qui est infecté, «les parents peuvent accompagner leurs enfants à condition de signer une décharge indiquant qu'ils comprennent pleinement les risques sanitaires en cause». Par ailleurs, une zone de quarantaine pour parents-enfants est opérationnelle depuis le 4 avril et elle a admis 4.000 patients.

Le casse-tête de l'approvisionnement alimentaire

Mais la principale difficulté semble être actuellement d'assurer l'alimentation des Shanghaiens confinés. L'agence officielle Xinhua décrit les entrepôts supplémentaires qui ont été installés à côté de ceux qui sont habituellement en place dans la ville afin de stocker des légumes. Ceux-ci sont amenés par des camions auxquels les autorités municipales ont délivré des laisser-passer. Dans une conférence de presse, des responsables de la mairie expliquent que tout est organisé pour «stimuler l'approvisionnement et se coordonner avec les fournisseurs afin d'élargir les canaux d'acquisition en produits du quotidien».

Ces produits alimentaires doivent ensuite être livrés à domicile. Mais il faut de longues minutes pour parvenir à passer commande sur internet. Après quoi, les livraisons ont du mal à suivre la demande. Tout est déposé au pied des immeubles par des employés du secteur de l'alimentation surchargés de travail. Avec certains responsables de service publics, ils sont seuls à pouvoir circuler dans la ville totalement désertée. Les transports publics ainsi que les taxis ou les VTC sont à l'arrêt. Quant aux entreprises, elles ont dû suspendre leur activité ou mettre leurs salariés en télétravail.

Menace sur l'économie

D'autres villes chinoises ont connu depuis deux ans des phases de confinement total pour cause de Covid. En particulier Wuhan, où la maladie est apparue en décembre 2019, ou Xi'an, il y a quatre mois. Mais un arrêt de l'activité de Shanghai risque d'avoir des conséquences économiques beaucoup plus importantes.

La ville est un très important centre financier et industriel et elle possède, sur la mer de Chine orientale, le plus grand port au monde en nombre de débit de conteneurs. Au total, Shanghai et sa région représentent un peu plus de 4% de la production économique chinoise. Et normalement, un cinquième du commerce extérieur chinois transite par Shanghai.

Ces dernières semaines, de nombreux bateaux chinois ou étrangers restent au large. L'activité portuaire, totalement suspendue, les empêche de charger ou de livrer leurs marchandises. Parallèlement de nombreux avions au départ de Shanghai ou qui devaient y arriver ont été annulé. Il en est de même pour le trafic ferroviaire fortement diminué. Dès lors, une partie importante du commerce international risque d'être affectée par les conséquences de l'épidémie à Shanghai. Ce qui ne sera pas sans conséquences pour le reste du monde.

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