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La dernière heure de Roger Federer

Si Nadal s'impose dimanche, le Suisse dira adieu à sa place de numéro 1 mondial. Probablement pour toujours

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Rafael Nadal a battu dimanche 6 juin en finale du tournoi de Roland-Garros le Suédois Robin Soderling en trois sets secs 6-4, 6-2 et 6-4. L'Espagnol redevient pas la même occasion numéro un mondial.

Voilà un an, j'avais posé cette question: Etes-vous Nadalien ou Federien? Autrement dit, êtes-vous supporter de Rafael Nadal ou de Roger Federer? La question divise la communauté des amateurs de tennis, comme s'il était «impossible» d'être pour l'un et pour l'autre, même si certains réussissent l'«exploit» de pouvoir encourager équitablement les deux champions.

Les Nadaliens et les Federiens vivent dans une sorte de détestation presque comique, mais bien réelle. Il y a quelques semaines, lors d'un dîner chez des gens «très bien», j'ai vu le couple hôte se déchirer sur cette épineuse question et je me suis demandé si nous allions arriver sains et saufs jusqu'à la mousse au chocolat après m'être retrouvé pris en otage, spécialiste oblige, sommé de prendre parti au milieu du règlement de comptes.

Ce dimanche 6 juin sera le jour le plus long pour les supporters de l'Espagnol qui briguera un cinquième titre à Roland-Garros face au Suédois Robin Soderling, mais aussi pour ceux du Suisse qui, en cas de victoire de son rival, perdra, dès lundi, sa place de n°1 mondial au profit du gaucher majorquin.

Ce n'est pas une mince affaire.

En triomphant une nouvelle fois aux Internationaux de France, Nadal remonterait, en effet, sur un trône dont il est tombé le 6 juillet 2009. Et il priverait Federer d'un (nouveau) record historique. Battu dès les quarts de finale de ce Roland-Garros par Robin Soderling, le Bâlois a perdu très gros sur le tapis en terre battue du court central. Tenant du titre, il a abandonné sa Coupe des Mousquetaires. Sa phénoménale série de demi-finales consécutives en Grand Chelem s'est, elle, arrêtée à 23.

Le record de Sampras

Mais il a peut-être — d'aucuns diront certainement — laissé échapper un record dont il pourrait bien ne plus s'approcher un jour, dans l'hypothèse, on le répète, où Nadal s'imposerait dimanche.

Nadal battu, Federer aurait la certitude de surpasser Pete Sampras, détenteur de la place de n°1 mondial pendant 286 semaines sur l'ensemble de sa carrière. Lundi, il inaugurerait ainsi sa 286esemaine dans la peau d'un n°1, égalant l'Américain, avec l'assurance de conserver cette position suprême jusqu'à l'issue du tournoi de Wimbledon qui s'achèvera le 4 juillet, et de porter son total à 289 semaines.

Nadal vainqueur et tout ce joli rêve partirait en fumée au plus grand désespoir des Federiens, supporters inconditionnels de Soderling lors de cette finale des Internationaux de France.

Car il n'est pas interdit de penser — et c'est mon cas — que si Nadal redevient n°1 en triomphant à Roland-Garros, Federer restera bloqué pour l'éternité à 285 semaines.

Alors savourons le moment. Ce 6 juin 2010 pourrait être tout simplement le dernier jour où Federer portera le dossard n°1 dont il hérita pour la première fois le 2 février 2004 et qui fut notamment le sien pendant 237 semaines d'affilée, record de Jimmy Connors — 160 semaines consécutives — explosé.

Créé en 1973 et réactualisé tous les lundis, le classement ATP est, rappelons-le, une addition de tous les résultats des joueurs sur une période exacte d'un an. Lundi, Federer effacera les 2.000 points de sa victoire de l'an dernier à Roland Garros et ajoutera les 360 points de son quart de finale de 2010 alors que Nadal, s'il s'impose, se goinfrera de 2.000 points supplémentaires en faisant simplement le deuil des 180 points que lui avait valus son huitième de finale de l'an passé.

Redevenu n°1 mondial, Nadal aurait un boulevard devant lui dans les semaines à venir dans la mesure où, blessée au genou, il avait dû renoncer, en 2009, au tournoi de Wimbledon, remporté par Federer pour la sixième fois. Nadal a un paquet de points à gagner dans le mois à venir tandis que Federer a tout à perdre, ou presque.

Un calendrier favorable à l'Espagnol

En regardant plus loin dans le calendrier, le Suisse, vainqueur de l'important tournoi de Cincinnati en août et finaliste de l'US Open à Flushing Meadows en septembre, sait que son capital risque de ne pas beaucoup grossir, contrairement à l'Espagnol qui bénéficie d'un beau gisement de points en raison de performances en demi-teinte lors de l'été 2009.

Sans oublier que derrière le duo infernal, le Serbe Novak Djokovic se fait de plus en plus pressant.

Federer, 29 ans le 8 août, sait que sa formidable aventure professionnelle est entrée dans sa phase finale. Il a beau être un génie, ses jambes et sa tête vont commencer à accuser le poids des ans et des efforts. On peut supposer qu'il ajoutera deux ou trois titres du Grand Chelem aux 16 que compte son palmarès actuellement, mais la place de n°1 mondial requiert trop de sacrifices de janvier à décembre pour qu'on puisse imaginer qu'il s'en empare à nouveau.

Et je ne suis pas sûr non plus que cela soit l'une de ses priorités, même s'il pourrait rager d'être passé si près de la marque de Pete Sampras. «Je n'y pense pas beaucoup», a-t-il concédé.

Sauf blessure dont Nadal est coutumier, c'est vrai, je crois que l'ère du Majorquin, âgé de 24 ans depuis le 3 juin et n°1 mondial pendant 46 semaines entre le 18 août 2008 et le 5 juillet 2009, a vraiment commencé et risque de s'installer dans la durée.

Il ne lui reste plus qu'à dominer Robin Soderling, qui l'avait éliminé en 2009 - le seul homme à l'avoir battu à Roland Garros depuis 2005 - et c'en sera fait de l'une des plus grandes périodes de l'histoire du jeu. Celle de la domination de Roger Federer sur un sport qui a connu 24 n°1 mondiaux depuis 1973, de l'Australien Patrick Rafter, resté une toute petite semaine aux commandes du circuit masculin à Pete Sampras, du haut de ses 286 semaines.

A moins que Soderling ne lui offre un peu de rab. Ce dont je doute, je le répète, compte tenu de la forme affichée par le n°2 mondial. N'en déplaise aux Federiens et quitte à être menacé, bientôt, d'une mousse en chocolat pleine d'aigreur...

Yannick Cochennec

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