France

Rythmes scolaires: pourquoi la France a tout faux

L'école primaire stresse et fatigue les enfants sans pour autant leur donner un meilleur niveau que leurs camarades européens. Les remèdes sont connus, mais pas appliqués. Plaidoyer pour une remise à plat du système, dans l'intérêt des enfants.

Temps de lecture: 6 minutes

«Je ne comprends pas que les Français n'aient pas conscience que l'école maltraite leurs enfants.» Hubert Montagner, ancien directeur de recherche à l'Inserm et professeur des Universités en retraite, est, comme de nombreux professionnels de l'enfance et de l'éducation, en colère. Le 7 juin, une conférence sur les rythmes scolaires sera installée par le ministre de l'Education, Luc Chatel. Et les chercheurs spécialisés ont été contactés après l'annonce officiel de la mise en place de la conférence.

L'annonce du ministère, le 25 mai, de tester des journées «à l'allemande» au collège, c'est-à-dire avec des enseignements concentrés sur la matinée et du sport pendant l'après-midi, a encore ravivé les tensions. Demander 4 à 5 heures d'attention d'affilée, dès 8h00, c'est exactement ce qu'il convient d'éviter. Car c'est la concentration de l'enseignement scolaire qui plombe les élèves.

Dans le viseur des spécialistes, la semaine de 4 jours. En septembre 2008, elle a été mise en place sans allégement des programmes, alourdissant considérablement le temps de concentration demandé chaque jour aux élèves pour s'engager dans les apprentissages dits fondamentaux (français, calcul, mathématiques), au dépend des activités culturelles, périscolaires... Mais aussi, des temps de détente et d'activités ludiques. Le tout «sans consultation, de manière arbitraire», selon Hubert Montagner.

Le résultat, en tout cas, est là: moins de deux ans plus tard, la semaine de 4 jours apparaît comme la dernière des hérésies, notamment aux yeux de l'Académie de médecine française, mais aussi des Inspecteurs généraux du premier degré du ministère de l'Education nationale, et des responsables de l'éducation dans les villes (Andev).

La France à l'opposé de ce qu'il faut faire

Avec cette réforme, l'école française est allée à l'opposé de ce qu'il faudrait faire. «Les pays qui ont les meilleurs résultats aux tests Pisa comme le Japon, la Finlande ou la Suède, ont beaucoup moins d'heures et elles sont plus dispersées, souligne Claude Lelièvre, historien de l'éducation. Un élève français passe 142 jours par an en classe contre 190 en moyenne dans les pays de l'OCDE. En un siècle, on a perdu un tiers du temps d'école.» «A l'école, tout est compressé, les élèves n'ont pas le temps de respirer, poursuit René Clarisse, chronopsychologue. Il faut laisser le temps au temps.»

Les emplois du temps surchargés du primaire mais aussi la déconnexion totale entre les temps scolaires et les rythmes de l'enfant sont responsables, au moins en partie, de l'échec, des phobies scolaires et du rejet de l'école par les enfants en difficulté. Il faut donc réorganiser l'année, la semaine mais aussi la journée. Les Assises seront-elles l'occasion de cette profonde remise à plat de notre système éducatif?

C'est tout de même étonnant de voir un tel consensus chez les professionnels et tant d'écart avec ce qui existe dans la réalité. René Clarisse:

Nous sommes en présence d'enjeux politiques et économiques. Le samedi matin a été supprimé pour des questions budgétaires mais aussi pour contenter certains parents qui souhaitent partir en vacances alors qu'ils ne représentent 20% des familles. Rappelons que les zones de vacances ont été crées à la suite des JO de 1968 pour permettre de rentabiliser les stations de sports d'hiver.

Le manque de volonté politique, la question des moyens et des personnels ainsi que certains lobbys, touristiques notamment, risquent de mettre des obstacles à une refonte profonde du système. Dont voici 5 éléments majeurs:

1. Retarder le début des cours:

L'école peut ouvrir ses portes à 8h30 pour les parents qui doivent partir travailler mais il n'est pas productif de commencer les apprentissages scolaires avant 9h00 voire 9h30. La première heure du matin peut être consacrée à des ateliers d'éveil, des jeux, du temps libre tout simplement... pour finir de se réveiller, reprendre ses repères et relativiser l'insécurité affective que peuvent générer les difficultés cumulées des familles (santé, pauvreté, chômage, stress, conflits récurrents ...).

«Les enfants en décrochage scolaire sont en effet souvent issus de familles en difficulté financière, morale, sociale ou culturelle, note Hubert Montagner. Il faut donc laisser aux enfants le temps de redevenir des enfants avant d'en faire des élèves. Il faut les sécuriser et leur permettre de leur donner envie de se mettre en situation d'apprentissage.»

Il faut aussi sensibiliser les parents à l'importance du sommeil dans le rythme de l'enfant. Non seulement, c'est pendant le sommeil qu'est sécrétée l'hormone de croissance, mais en plus, il est primordial à la récupération et à l'apprentissage. (voir Brigitte Sandrin-Berthon, médecin de santé publique, dans Apprendre la Santé à l'école). «Il faut sensibiliser les parents sans les culpabiliser à l'importance de nuits régulières» qui respectent le rythme veille-sommeil de chaque enfant, assure Hubert Montagner. «En trente ans, complète René Clarisse, les enfants ont perdu environ une heure de sommeil par jour. Ce n'est pas possible de continuer ainsi.»

2. Démarrer les apprentissages en douceur

C'est une perte de temps de vouloir inculquer de nouvelles notions à un élève avant 9h30 (pour un réveil autour entre 6h30 et 7h30). En effet, le pic de vigilance chez un enfant de 10-11 ans se situe dans la deuxième partie de la matinée.

Pour autant, il ne s'agit pas de sacrifier une matière sur cette heure de moyenne vigilance. Les spécialistes préconisent qu'elle soit consacrée à des révisions d'acquis, quelle que soit la matière. «Ça ne rime à rien de vouloir toujours mettre une matière à une heure précise, explique René Clarisse. Tout est question de contenu.» Un constat partagé par François Testu, professeur en psychologie et spécialiste des rythmes de l'enfant, membre de la conférence mise en place par Luc Chatel: «Lorsqu'une tâche est maîtrisée, des processus de traitement automatique sont appliqués, les variations (de concentration NDLR) sont absentes.»

3. Privilégier la fin de matinée et le milieu d'après-midi pour les nouveautés:

Dès l'instant où il y a des notions nouvelles à intégrer, mieux vaut privilégier la fin de matinée et le milieu d'après-midi. En effet, dans la journée, l'attention est plus élevée de 9h30 à 12h avec une reprise entre 14h30 et 16h30 (15h00 pour les enfants du cours préparatoire). C'est donc sur ces horaires qu'il faut placer les enseignements qui demandent le plus de concentration. Cela laisse au maximum 4h d'enseignement efficace par jour pour des enfants de 6 à 7 ans et 4h30-5h00 pour des enfants de 10 à 11 ans.

Cette répartition par horaire suivant les courbes de vigilance des enfants peut s'appliquer aussi sur la semaine. Car après un week-end de deux jours, trop long selon beaucoup de spécialistes qui plaident (sans grand espoir) pour un retour des cours le samedi matin, l'enfant met du temps à se re-synchroniser, à se re-concentrer. Le lundi doit donc être considéré comme un jour de remise en route après un week-end déstructurant. De même le vendredi après midi, les enfants anticipent le week-end et perdent donc en concentration. Le milieu de semaine, notamment jeudi et vendredi matin, sont les plus propices à l'apprentissage.

4. Organiser une vraie pause déjeuner:

De 11h30 à 14h, la baisse de la vigilance est incontournable. «D'un point de vue biologique, le sommeil se fait sentir, explique René Clarisse. Il faut instaurer une pause méridienne longue, d'au moins deux heures, pour laisser aux enfant un temps de repos et de récupération.» Pas la peine donc de chercher à leur enseigner quoi que ce soit.

Pas la peine non plus de prévoir des sports, car les accidents peuvent y être plus fréquent. De toutes façons, la cour de récréation est un lieu stressant pour certains enfants: bousculades, cris, bagarres... Les professionnels proposent de consacrer cette pause déjeuner à des atelier d'expression, de chant, ou tout simplement de créer des coins lecture, sieste, jeux de société. «Ne rien faire aussi, c'est nécessaire», insiste René Clarisse.

De son côté, Hubert Montagner déplore la disparition des activités de loisirs et de culture dans les emplois du temps

En constatant que nos élèves n'avaient pas de bons résultats à la sortie des classes élémentaires dans les matières fondamentales (français, calcul, mathématiques NDLR), les professeurs ont eu tendance à alourdir les horaires de ces matières réduisant à une peau de chagrin les arts plastiques, la biologie, les temps de découverte ou de créativité. Ce n'est pas leur faute, les programmes sont démentiels, mais il faut revoir tout ça d'urgence.

5. Développer le péri et l'extra-scolaire:

Il est clair que, sans accompagnement, la libération du temps n'est pas synonyme d'épanouissement. Au contraire, l'écart se creuse entre les enfants dont les parents peuvent financer des activités, et ceux qui restent bloqués devant la télé, dans un encadrement affectif pas toujours sécurisant.

Les spécialistes préconisent de créer un espace de discussion entre l'école, les parents, les associations et la mairie pour réorganiser le temps suivant l'école ainsi que le mercredi après-midi voire le samedi dans les familles où les parents travaillent. Cela demande un lourd investissement financier. Mais il ne serait pas logique de ne réformer que l'école, car le cycle d'un enfant c'est 24 heures et trois espaces: la famille, l'école, les loisirs.

 


 

Flore Thomasset

Photo: Ecole primaire à Marseille, septembre 2009. Jean-Paul Pelissier / Reuters


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