Culture

Derrière «Assassin's creed», un mythe fascinant du monde musulman

Soumis à une sévère discipline, à un endoctrinement religieux et au culte des martyrs, les Assassins étaient dévoués, corps et âmes, à une vision radicale de l'ismaélisme.

Au-delà d'<em>Assassin's Creed</em>, la secte a inspiré de nombreux auteurs, comme Amin Maalouf ou Umberto Eco. | Capture d'écran Ubisoft <a href="https://www.youtube.com/watch?v=xzCEdSKMkdU">via YouTube</a>
Au-delà d'Assassin's Creed, la secte a inspiré de nombreux auteurs, comme Amin Maalouf ou Umberto Eco. | Capture d'écran Ubisoft via YouTube

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Cet article est publié en partenariat avec Quora, plateforme sur laquelle les internautes peuvent poser des questions et où d'autres, spécialistes du sujet, leur répondent.

La question du jour: «Quelle était la secte des assassins ayant inspirée Assassin's creed?»

La réponse de Brian Gogarty, étudiant en histoire:

Cette secte a réellement existé et a terrorisé le Moyen-Orient du temps des croisades, ce qui a beaucoup inspiré Assassin's Creed. Mais bien sûr, les vrais Assassins étaient quand même assez différents de ceux représentés dans le jeu car leur histoire a été très fantasmée au cours des siècles.

Après le schisme qui divisa l'islam entre chiites et sunnites en 632, la minorité chiite s'est elle-même retrouvée prise dans des querelles dogmatiques et des luttes de pouvoir. Les chiites ont donc fini par être divisés à leur tour en plusieurs branches, dont les ismaéliens.

Les fatimides, califes d'Égypte de 909 à 1171, ont rejoint les ismaéliens. En 1095, Nizar, le fils aîné du calife, devait succéder à son père. Mais après la mort de ce dernier, on lui a finalement préféré son frère cadet. Nizar s'est alors révolté, avant d'être vaincu et exécuté.

La fondation de la secte

Les fidèles de Nizar ont fui en Iran. Ils furent accueillis dans la forteresse d'Alamut du missionnaire ismaélien Hassan ibn al-Sabbah, qui avait auparavant séjourné en Égypte et était un partisan de Nizar. Sabbah est ensuite devenu leur chef. Ils ont fondé leur propre branche de l'ismaélisme et établi leur propre ligne de succession. En l'honneur de Nizar, les membres de cette secte ont pris le nom de «nizârites».

 

Hassan ibn al-Sabbah. | Hauziński, Jerzy via Wikimedia

L'organisation était très hiérarchisée: le grand-maître, les grands missionnaires, les missionnaires, les compagnons et les adhérents. Les nizârites cherchaient à combattre les Seldjoukides, les membres d'un empire turc sunnite qui occupait l'Iran à cette époque.

Ils avaient aussi des missionnaires dans le reste du Proche-Orient, dont la situation géopolitique était bouleversée par la fondation des États latins d'Orient par les croisés. La secte créa des bastions en Égypte et en Syrie, où ils harcelaient les troupes sunnites.

 

D'où vient le mot «Assassin»?

Les nizârites étaient généralement détestés par les sunnites et même par les chiites qui les voyaient comme des hérétiques. Pour discréditer les nizârites, leurs détracteurs musulmans prétendaient qu'ils prenaient des drogues, notamment du haschich. Ce qui leur a valu le surnom de «hashashine», littéralement «consommateurs de haschich» en arabe.

Puis le mot a été repris par les croisés chrétiens et occidentalisés pour donner «Assassins». Ce terme a été ensuite utilisé pour désigner l'auteur d'un meurtre avec préméditation, comme c'est toujours le cas aujourd'hui. C'est de là que vient ce mot.

C'est sous l'impulsion de Rachid ad-Din Sinan que la secte des Assassins entre dans l'histoire. Ascète charismatique et instruit, il a su séduire ses adeptes qui lui ont voué un culte sans limite. En 1163, il fut nommé chef de la mission syrienne par le grand-maître Hassan II qui prétendait avoir reçu un message de l'imam caché lui annonçant l'établissement du règne de la justice et la fin du monde physique. On proclama alors la fin de la loi islamique et l'avènement de la Résurrection.

Les Assassins s'attaquaient à tous ceux qui, selon eux, entravaient l'établissement de l'imam ismaélien.

Vous étiez en danger si vous étiez calife à l'époque, avec tous ces Assassins qui rôdaient. Consolidant leurs bases arrière, les Assassins s'attaquaient à tous ceux qui, selon eux, entravaient l'établissement de l'imam ismaélien: les dirigeants musulmans (califes et vizirs), mais aussi les religieux (imams ou ulémas) sunnites.

Le mode d'action des Assassins: l'attentat. Et ils devaient être prêts à mourir pour la cause. D'ailleurs, celui qui mourrait devenait un martyr, d'où le nom de leurs combattants chargés de ces missions: les fedayins («ceux qui se sacrifient»). L'art de la dissimulation, du déguisement, de la discrétion et leur indifférence à la mort faisaient d'eux des meurtriers particulièrement redoutés. Il est tentant de faire le parallèle avec les djihadistes modernes. Mais précisons bien que contrairement à ces derniers, les Assassins ne visaient pas les civils.

En Iran, les Assassins sont parvenus à tuer par exemple deux califes abbassides (al-Mustarchid en 1135 et al- Rachid en 1138), ainsi que de multiples personnalités sunnites. En Égypte, ils ont éliminé le calife fatimide al-Amir, neveu de Nizar, en 1130.

Même s'ils ont échoué à assassiner le vizir Saladin, ils ont réussi à s'infiltrer au plus près des princes musulmans et chrétiens, comme ce 28 avril 1192, où deux d'entre eux se sont faufilés dans le palais de Tyr pour assassiner le nouveau roi de Jérusalem, Conrad de Montferrat. La crainte qu'ils inspiraient poussa de nombreux notables à enfiler une cotte de mailles sous leurs vêtements.

La fin de l'organisation

Soumis à une sévère discipline, à un endoctrinement religieux de tous les instants et au culte des martyrs, les Assassins étaient dévoués, corps et âmes, à une vision radicale de l'ismaélisme qu'on pourrait qualifier de fanatique. Cependant, l'aspect religieux de la secte ne constituait en réalité souvent qu'un écran de fumée derrière lequel se cachaient des motivations plus matérielles, à commencer par la cupidité.

Selon certains, le commanditaire du meurtre de Conrad de Montferrat serait Saladin. Pour d'autres, il s'agirait de Richard Cœur de Lion. Dans tous les cas, l'un ou l'autre paya grassement Rashid ad-Din Sinan pour ce meurtre. Dans un système politique autocratique où l'élimination du chef pouvait provoquer de graves dissensions internes, le fanatisme et l'habileté des Assassins étaient des aubaines à qui pouvait s'offrir leurs services.

Cette secte a progressivement disparu au XIIIe siècle avec les invasions mongoles. Leur forteresse d'Alamut, réputée inexpugnable, fut finalement prise par ces derniers en 1256. Mais même s'ils n'existent plus, les Assassins continuent de fasciner, inspirant les écrivains Amin Maalouf et Umberto Eco, le rappeur Georgio, et bien sûr les jeux vidéo Assassin's Creed.

Cette secte a même inspiré Game of Thrones, notamment la société secrète des Sans-Visage qui apprend à Arya à se battre et à tuer. Il s'agit aussi d'une secte d'assassins d'élite au service d'un dieu, le dieu multiface, et dont on peut s'offrir les services si on en a les moyens. Cela fait quelques points communs avec les Assassins médiévaux.

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