Culture

Puissante, stratège, tactique... Qui était vraiment Cléopâtre?

Loin du mythe issu de la propagande d'Auguste, l'essai «Cléopâtre l'Égyptienne» nous invite à découvrir la véritable histoire d'une souveraine marquée par une double identité grecque et égyptienne.

Une statue représentant Cléopâtre, au Rosicrucian Egyptian Museum de San Jose, en Californie. | Jon Callas <a href="https://www.flickr.com/photos/19745294@N06/5774659354">via Flickr</a>
Une statue représentant Cléopâtre, au Rosicrucian Egyptian Museum de San Jose, en Californie. | Jon Callas via Flickr

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Le «roman de Cléopâtre» n'a cessé de fasciner et a fortement influencé une multiplicité de représentations. Elles ont été majoritairement infléchies par le discours idéologique issu de la propagande d'Auguste, le vainqueur, qui la dépréciait en tant que «femme» et «barbare», et la peignait en séductrice fatale qui aurait causé la perte d'Antoine.

À cause de cette représentation, on tend à perdre de vue ce que Cléopâtre a été vraiment: un pharaon alexandrin, étranger, qui souhaitait réaffirmer la puissance de son royaume en revendiquant l'héritage idéologique de la monarchie théocratique égyptienne.

Dans son livre, Cléopâtre l'Égyptienne, Bernard Legras, professeur d'histoire grecque et spécialiste du monde hellénistique, se propose de retracer «l'histoire rationnelle» de cette souveraine singulière pour mieux en cerner la part «grecque» et «égyptienne».

La dualité d'une Cléopâtre à la fois grecque et égyptienne

C'est grâce à d'autres sources comme les papyrus, les inscriptions ou les sources archéologiques et iconographiques que rejaillit l'authenticité de cette figure féminine, qui se voulait avant tout une femme d'État revendiquant une identité grecque et égyptienne. Est à noter la publication en 2000 avant notre ère de l'ordonnance royale où la reine accordait des privilèges économiques à des Romains influents de l'entourage d'Antoine.

De ce corpus documentaire renouvelé jaillit «la véritable histoire de la Reine». Aînée des enfants de Ptolémée XII, elle a eu accès à l'éducation fondamentale (lire, écrire, compter), et à l'éducation secondaire, ouverte seulement à une minorité issue des plus hautes classes sociales. Elle aurait été une polyglotte active, maîtrisant plusieurs langues, notamment l'égyptien et le grec.

Lors de ses séjours à Rome, elle a sûrement acquis les rudiments du latin. Preuve de son éducation et de son érudition, on lui attribue des écrits conservés en grec et en latin sur des domaines divers, allant de la cosmétologie à l'alchimie.

Une souveraine tactique et stratège

Elle est associée très tôt au pouvoir par son père, qui, par son testament, voulait protéger sa fille et son fils aîné comme futurs souverains, tout en faisant de Rome son exécuteur testamentaire. Cela empêchait l'annexion du royaume, qui était encore le seul État indépendant du bassin méditerranéen. Mais l'Égypte était affaiblie par les violences politiques, avec l'assassinat par Ptolémée XII de sa propre fille Bérénice IV pour accéder au pouvoir.

Cléopâtre règne au début en partageant le pouvoir, d'abord avec son père, puis avec son frère, Ptolémée XIII, avec qui se conclut un mariage. Toutefois, avec l'émergence de dissensions fratricides, Cléopâtre, accusée de complot contre son frère, est chassée par une émeute au printemps 48 avant notre ère.

L'arrivée de César à Alexandrie en juillet 48 bouleverse la situation. Bien décidé à châtier les assassins du grand Pompée, exécuté sur les ordres de Ptolémée XIII, il rencontre Cléopâtre dans un épisode fameux, directement lié à l'image de femme fatale qui devient la principale représentation de la souveraine. Les destins de César et de Cléopâtre se lient, infléchissant la donne politique. Les concurrents au pouvoir, Ptolémée XIII et XIV, ainsi que Arsinoè IV, trouvent tour à tour la mort, laissant ainsi Cléopâtre seule dépositaire du pouvoir grâce à l'appui d'une puissance étrangère: Rome.

De fait, Cléopâtre doit affronter dès le début de son règne une situation économique et sociale désastreuse. Pourtant, ses ambitions demeurent intactes. Elle nourrit en effet la volonté de déployer sa politique dans la Méditerranée orientale pour ainsi retrouver les ambitions initiales de la dynastie des Ptolémées. L'appui des imperatores, Jules César puis Antoine, lui permet d'espérer une mainmise sur l'outre-mer méditerranéen.

Cependant, la propagande octavienne, qui la présente comme «l'Égyptienne», vient contrarier ses desseins. À cela s'ajoute un temps Octavie, l'épouse romaine d'Antoine. Mais Cléopâtre veille. Entre 37 et 34 av. J.-C., elle parvient à évincer sa rivale et à ramener Antoine près d'elle. Elle s'affirme en tant qu'épouse légitime selon le droit grec et hellénistique, offrant une vie dionysiaque partagée avec la nouvelle Isis.

Le dénouement tragique, ou quand la légende s'empare de l'histoire

Mais, en 32 av. J.-C., Octavien déclare ouvertement la guerre à Cléopâtre, en externalisant de Rome sa rivalité avec Antoine. Le «roman» de Cléopâtre se densifie alors. Le futur Auguste répand l'image d'une séductrice fatale, d'une «ensorceleuse» qui a envoûté Antoine, qui n'est plus le Romain émérite d'autrefois. Le désastre d'Actium, qui marque la défaite des forces cumulées d'Antoine et de Cléopâtre, les pousse à la fuite, ruinant ainsi tous les espoirs du couple royal.

Jusqu'au bout fin stratège et maîtresse d'elle-même, elle met en scène un suicide par le poison dont la réalité nous échappe.
 

Malgré quelques tentatives de conciliation avec Rome, le désastre militaire scelle le destin des amants: Antoine se suicide. Son dernier acte a largement été relayé comme une scène pathétique et pitoyable constituant une preuve supplémentaire de la domination de Cléopâtre, et a été considéré comme un témoignage de déchéance, Antoine mourant non pour Rome, mais pour une étrangère.

Les derniers jours de la reine illustrent par ailleurs son «roman». D'après les sources historiographiques romaines, emprisonnée, elle tente d'infléchir par la perspective de richesses fabuleuses un Octave qui se révèle inflexible. En tout cas, jusqu'au bout fin stratège et maîtresse d'elle-même, elle met en scène un suicide par le poison dont la réalité nous échappe, les sources historiques étant contradictoires.

Le mythe de Cléopâtre, forgé depuis l'Antiquité, a façonné une image foisonnante de l'Égyptienne résultant de la propagande du vainqueur, Octavien-Auguste. Toutefois, il est essentiel de cerner l'hybridité de cette reine alliant égyptianité et grécité pour rappeler combien en fin stratège, mais aussi en tant que pharaon égyptien, elle a tenté de reconstituer l'empire territorial ptolémaïque du IVe siècle, en prenant modèle sur le rêve inaccessible d'Alexandre le Grand.

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Cléopâtre l'Égyptienne

Bernard Legras

Éditions Les Belles Lettres

Paru le 22 octobre 2021

21 euros

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