France

De Clemenceau à Paillé, l'art de l'insulte en politique

En politique, l'injure est à manier avec précaution.

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Dominique Paillé a dit que Ségolène Royal était une illuminée et qu'elle avait un comportement délirant... C'est une insulte, effectivement et c'est plus violent que ce que Martine Aubry a fait subir à Nicolas Sarkozy en faisant une analogie (et non pas une comparaison) entre l'escroc et le président. La présidente de la région Poitou-Charentes a décidé de porter plainte.

En revanche, Martine Aubry avait traité Nicolas Sarkozy d'homme vulgaire. Bizarrement cette insulte, pour le coup est passée inaperçue. Depuis bientôt une semaine, la polémique ne cesse de prospérer, sur le thème «y a plus de limites». En réalité, la polémique prospère parce que l'Elysée le veut et l'Elysée le veut parce que dans notre monde politique la place de la victime est la plus rentable à court terme.

Les Français qui, entre eux, dans leurs conversations ne se privent pas pour chambrer les politiques, qui rient de bon cœur quand nos amis les humoristes les charrient sans ménagement, n'aiment pas quand ils ne se respectent pas entre eux.

On se souvient des dégâts pour sa propre popularité quand, pendant la campagne présidentielle de 2002, Lionel Jospin s'était moqué de l'âge déjà avancé de son concurrent Jacques Chirac. Une polémique d'une semaine et quelques points en moins dans les sondages pour celui qui allait perdre les élections quelques semaines plus tard. C'est tout ce qu'avait récolté l'impétrant. Pourtant, l'une des raisons d'être de la vie politique dans une démocratie, c'est de catalyser les rudes concurrences de style, les oppositions forcement frontales de conception de la société et de l'avenir. Autant de thèmes qui par le passé, nous faisaient nous entre-tuer de façon sauvage ou de façon plus distinguée, via l'échafaud ou le duel en frac et devant témoins.

Il faut donc accepter une certaine dose de violence verbale et même d'outrance qui nous permet, tout simplement de ne pas nous égorger. Ça peut se faire avec plus ou moins de talent. Tout le monde n'est pas Clemenceau. Le Tigre qui — par exemple — détestait Poincaré savait l'habiller d'un trait d'esprit et mettre les rieurs de son coté: «Poincaré sait tout mais ne comprend rien»; ou bien, faisant référence au frère de Raymond Poincaré, Henri, mathématicien de génie, Clemenceau disait «dans la famille Poincaré il y a beaucoup d'intelligence mais c'est Henri qui a tout pris». L'humour fait passer l'outrance si l'attaque n'est pas gratuite et si les dissensions ne recouvrent pas que des compétitions d'égos.

A la fin du XIXe siècle, la violence des propos du monde politique et parfois les duels qui ont émaillé l'affaire Dreyfus nous ont évité une guerre civile. Aujourd'hui, si les propos de Martine Aubry paraissent dépasser les bornes c'est tout simplement que ça arrange l'Elysée qu'il en soit ainsi. En revanche il est une forme d'outrance plus difficilement acceptable, à la mode dans notre débat politique, c'est l'utilisation abusive des références à la seconde guerre mondiale: comparer Besson à Laval, Sarkozy à Pétain renvoie à des formes d'excommunication.

Plus généralement, on dit souvent que les hommes politiques s'insultent quand ils n'ont pas d'idées à s'opposer. C'est justement le contraire qui se passe. Le PS, en ce moment a des idées - bonnes ou mauvaises, chacun peut en juger — mais il les développe, les exprime (le concept du care, les propositions sur les retraites, l'ébauche d'un projet fiscal).

Enfin, la différence entre deux programmes, gauche/droite se dessine. Et c'est justement à ce moment là que l'insulte fuse. L'invective salutaire, comme une sorte de garde du corps du programme, le mot cru comme chien de garde du projet. En fait, le débat houleux nous évite de sortir les couteaux et nous indique, paradoxalement que ne sommes une société encore relativement civilisée.

Thomas Legrand

Image: duel entre Eugene Onegin et Vladimir Lensky, par Repin. Musée Pouchkine de St-Petersbourg

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