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À Pékin, des Jeux olympiques d'hiver définitivement hors norme

Entre les précautions sanitaires, les enjeux diplomatiques et les questions climatiques, le grand événement sportif reste marqué par une organisation très stricte dans un pays sous contrôle.

Une des tours de refroidissement du site de big air à Pékin, le 13 janvier 2022. | François-Xavier Marit / AFP
Une des tours de refroidissement du site de big air à Pékin, le 13 janvier 2022. | François-Xavier Marit / AFP

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Quoi qu'en disent les dirigeants chinois, ces 24e Jeux olympiques d'hiver ne sont pas vraiment conformes à la tradition. Habituellement, pour le pays organisateur, cette manifestation sportive est une vaste occasion d'ouverture sur le monde. Alors qu'en ce mois de février 2022, la Chine apparaît plus fermée que jamais. Certes, la volonté nettement affirmée par Pékin d'empêcher toute résurgence du coronavirus en Chine explique les précautions qui règnent autour de ces Jeux. Les athlètes et leurs accompagnateurs sont soumis à des tests quotidiens, pratiqués par des soignants en combinaisons intégralement blanches.

Quant au public, il est peu nombreux. Pour en faire partie, il faut être à Pékin depuis au moins quatorze jours, avoir reçu trois doses de vaccin et accepter de rester en observation et d'être testé à l'issue des épreuves. Ceux qui sont ainsi autorisés à assister aux épreuves sont tenus à distance et ne peuvent surtout pas s'approcher des quelque 3.000 athlètes venus d'environ quatre-vingt-dix pays. Le slogan officiel choisi pour encadrer ces Jeux d'hiver: «Ensemble pour un avenir commun» peut ainsi sembler quelque peu décalé.

En tous cas, les restrictions qui entourent les compétitions semblent entraîner un désintérêt de la population chinoise pour cet événement sportif. De plus, le nouvel an lunaire –qui cette année a débuté le 1er février– a permis à beaucoup de citadins de partir en congés pour une quinzaine de jours. À Pékin, ceux qui sont restés peuvent voir les mascottes géantes et les proclamations affichées à travers la ville pour célébrer les Jeux olympiques.

Mais, contrairement à ceux de l'été 2008, les avenues de la capitale ne sont pas pavoisées, ni les murs recouverts de slogans en grands caractères rouges célébrant l'olympisme et le rêve chinois. Certains chiffres attestent que la ferveur n'est plus celle d'il y a quatorze ans: le 4 février, la cérémonie d'ouverture a été suivie par 316 millions de téléspectateurs. En 2008, l'événement avait rassemblé une audience de 842 millions de personnes.

Des athlètes chinois sur le devant de la piste

Naturellement, dans une Chine où les sports de neige commencent tout juste à se développer, les victoires remportées par des athlètes chinois sont particulièrement mises en valeur par les médias nationaux. Ce fut le cas le 7 février, lors de l'épreuve du 1.000 mètres hommes de patinage de vitesse short-track, où le Chinois Ren Ziwei a décroché la médaille d'or en 1 minute 26,768 secondes.

Dans la même discipline mais en relais mixte par équipe et sur 2.000 mètres, la Chine a également remporté la médaille d'or. Et le 12 février, dans le patinage de vitesse sur 500 mètres homme, Gao Tingyu s'est retrouvé en haut du podium. Il a battu le record sur cette distance en terminant en 34,41 secondes. Les performances dans ce genre de sport semblent provenir d'une longue tradition: depuis des siècles, le patinage est pratiqué par des Chinois sur des lacs gelés ou des patinoires en plein air.

Une autre médaille d'or a été gagnée par Eileen Gu. Elle l'a obtenue, le 8 février, dans une épreuve nouvelle, le ski big air, qui consiste à s'élancer dans les airs depuis un tremplin, puis à réaliser des vrilles et des saltos –dont deux fois la tête en bas–, avant d'atterrir impeccablement sur l'aire d'arrivée. Elle l'a emporté sur la Française Tess Ledeux qui, a priori, était la meilleure sur ce genre de saut.

Eileen Gu –dont le nom chinois est Gu Ailing– est née aux États-Unis en 2003, d'une mère chinoise et d'un père américain. En 2019, elle a opté pour la nationalité chinoise. Après sa victoire, elle est devenue une star en Chine où elle est désormais surnommée «la princesse des neiges». Elle a seulement failli avoir des ennuis en dialoguant sur le réseau social Weibo. Une internaute lui demandait: «Pourquoi peux-tu utiliser Instagram alors que des millions de Chinois ne le peuvent pas? C'est un traitement de faveur.» Gu Ailing a répondu: «N'importe qui peut télécharger un VPN. C'est gratuit sur l'App Store.» Un VPN («Virtual private network», ou réseau privé virtuel), permet de contourner le blocage d'Instagram, de YouTube ou de Google. Mais en Chine, utiliser un VPN est formellement interdit.

Tout est cependant vite rentré dans l'ordre: sur Weibo, la question posée à Gu Ailing ainsi que sa réponse ont été effacées… Par ailleurs, la skieuse a été moins mise en avant dans la suite des JO puisque, le 15 février, aux épreuves de freeski slopestyle elle n'a eu que la médaille d'argent.

1,2 million de mètres cubes de neige

S'il est un sujet sur lequel les responsables sportifs internationaux présents à Pékin semblent d'accord, c'est la qualité des installations utilisées pour ces Jeux olympiques. Le 4 février, la cérémonie d'ouverture s'est déroulée dans le vaste stade national de Pékin surnommé le «Nid d'oiseau» en raison de sa forme et qui a été utilisé pour la première fois lors des Jeux d'août 2008. Les épreuves de hockey et de patinage artistique ont lieu dans le Palais omnisport de Pékin. Et le big air en ski acrobatique tout comme le snowboard se déroulent sur l'emplacement d'une ancienne aciérie, dont il reste quatre grandes tours de refroidissement.

Les compétitions de ski, de saut à ski, de snowboard acrobatique ou de biathlon se déroulent à Zhangjiakou, station située à 180 kilomètres de Pékin et qu'un TGV inauguré en 2019 permet d'atteindre en 47 minutes. Tandis que les épreuves de ski alpin, de luge et de bobsleigh sont organisées à Yanqing, à 75 kilomètres de la capitale, à côté d'un tronçon de la Grande Muraille. Sur ces deux localités, près de 400 canons à neige ont transformé plus de 185 millions de litres d'eau en 1,2 million de mètres cubes de neige.

Les pistes sont parfaitement blanches, au milieu d'un décor de moyennes montagnes arides recouvertes d'une végétation hivernale aux nuances marron. Tout cela rappelait les JO de PyeongChang en Corée du Sud, où, en 2018, la neige était artificielle à 90%, ou de Sotchi en 2014, en Russie, où elle l'était à 80%.

Le plus exceptionnel, aux Jeux olympiques de Pékin, c'est qu'il a réellement neigé sur le nord de la Chine. Un phénomène d'autant plus étonnant qu'il s'est produit les 12 et 13 février, bien après la fête du printemps. En principe, ce 1er février, dans le calendrier traditionnel luni-solaire chinois, l'hiver devrait se terminer. Au lieu de quoi, l'observatoire météorologique de Pékin constatait le lundi 14 qu'une couche de neige cumulée de dix millimètres s'était répandue sur la capitale et ses environs.

Dimanche 13 février, Pékin a relevé une température maximale de moins deux degrés Celsius, et une alerte au brouillard et aux routes verglacées a été émise dans toute la région. Certaines des épreuves qui devaient se tenir dimanche ont été reportées au lundi. Sur les sites olympiques, des volontaires chinois ont travaillé à régulariser les parcours de ski à l'aide de souffleuses à neige et de pelles, certains tenant à se faire photographier à côté du bonhomme de neige qu'ils avaient construit. Dans Pékin, les trottoirs ont été déblayés avec de grandes pelles et balais de branchages.

 

Médaille d'or de la diplomatie

Outre les performances sportives et les évolutions de la météo, ces Jeux olympiques ont aussi comporté des aspects diplomatiques. Ils ont permis des rencontres de chefs d'État qui auraient pu mériter des médailles s'il en existait dans le domaine diplomatique. Certes, lors de la cérémonie d'ouverture, l'absence des dirigeants des principaux pays occidentaux minimisait le faste de l'évènement. Aussi, la Chine a-t-elle tenu à mettre en valeur la vingtaine de chefs d'État qui se sont déplacés. Le 5 février, un banquet en leur honneur était organisé au Palais du Peuple à Pékin. Il y avait là le président argentin, Alberto Fernandez, le président Kirghize, Sadyr Japarov, et également le prince Albert II de Monaco. Tous ont eu quelques mots pour féliciter la Chine pour l'organisation de la cérémonie d'ouverture.

Xi Jinping, qui, par précaution sanitaire, ne rencontre plus guère de dirigeants étrangers depuis deux ans, présidait ce banquet. Le lendemain, il a reçu le président serbe, Aleksandar Vucic. Son pays n'appartient pas à l'Union européenne et les investissements chinois y sont massifs. Il a également vu Gourbangouly Berdymoukhamedov, le président turkmène. Selon l'agence officielle Xinhua, Xi Jinping lui a dit qu'il souhaitait que le Turkménistan approfondisse sa fourniture de gaz naturel à la Chine. Ont également été reçus le dirigeant égyptien, Abdel Fattah Al-Sissi et le kazakh, Kassym-Jomart Tokaïev.

Coopération sino-russe

Mais l'accueil le plus médiatisé a été réservé le 4 février à Vladimir Poutine. Ce n'est bien sûr pas la première fois qu'il rencontrait Xi Jinping: le secrétaire général du Parti communiste chinois est en poste depuis 2012 et ce 4 février, c'était la 38e fois que Vladimir Poutine s'entretenait avec lui. Il est loin le temps du maoïsme où la brouille entre Chinois et Soviétiques battait son plein. Aujourd'hui, la Chine, deuxième puissance économique mondiale, accepte, lorsque la Russie –beaucoup moins puissante qu'elle– en a besoin, de lui apporter une part de soutien. Et en ce moment, Moscou s'élève contre une possible entrée de l'Ukraine dans l'OTAN.

Xi Jinping a eu un entretien avec le numéro 1 russe et a dîné avec lui. Puis, un communiqué conjoint de 16 pages a été publié. Il souligne que Chine et Russie estiment que «la démocratie n'est pas à taille unique» et qu'une nation «peut choisir les formes et méthodes d'exercice de la démocratie qui lui conviennent le mieux».

Par ailleurs, les deux dirigeants annoncent un renforcement de la coopération énergétique entre les deux pays. Mais surtout, le communiqué dénonce «l'idéologie de guerre froide de l'OTAN» et soutient les «garanties de sécurité» que demande la Russie. La Chine renforce ainsi les positions de Vladimir Poutine. Elle soutient volontiers une dénonciation des États-Unis et de l'OTAN, système d'alliance militaire mis en place par les Américains.

Mais, si le président Poutine a qualifié le niveau de la relation sino-russe de «sans précédent», les dirigeants chinois ne tiennent sans doute pas à aller trop loin aux côtés d'une Russie qui passerait à l'offensive en Ukraine. Le mot Ukraine n'est d'ailleurs pas mentionné dans le communiqué sino-russe. Ce qui peut s'expliquer par l'importance des échanges économiques sino-ukrainiens.

En 2019, près de 80% du maïs importé par la Chine provenait d'Ukraine. Et ce pays a gardé de l'époque de l'URSS une compétence en technologie militaire qui l'amène à coopérer avec la Chine pour l'équipement de nombreux armements, comme les missiles des chasseurs J-11 de l'aviation chinoise. De même, le Liaoning, le premier porte-avions de la marine chinoise était d'origine soviétique et a été racheté il y a une dizaine d'années à l'Ukraine.

Bien entendu, les Jeux olympiques de Pékin se déroulent loin de ces considérations de politique internationale. Le 5 février, lorsque António Guterres, le secrétaire général des Nations unies a rencontré Xi Jinping, il a tenu à revenir sur un dossier intérieur chinois: les violations de droits humains contre la minorité musulmane ouïghoure dont les autorités chinoises sont accusées dans la région du Xinjiang. António Guterres a indiqué qu'il a demandé aux autorités chinoises de permettre à Michelle Bachelet, la Haute Commissaire aux droits de l'homme de l'ONU, d'effectuer «une visite crédible» en Chine, en incluant le Xinjiang.

Au-delà de tout ce qui s'est dit autour de Xi Jinping, l'actualité chinoise reste concentrée sur les 24e Jeux olympiques. Il est visiblement important pour les dirigeants d'avoir pu organiser cet évènement. Le Quotidien du peuple, l'organe du Parti communiste chinois, écrivait le 4 février: «Réunir des athlètes des sports d'hiver du monde entier à Pékin, c'est la beauté du sport olympique et la promesse solennelle faite par la Chine ouverte à la communauté internationale.»

En réalité, l'ouverture est fortement restreinte par les conditions très strictes qui entourent ces Jeux. Apparemment, il ne s'agit pas simplement d'un système de précautions sanitaires. Dans la Chine d'aujourd'hui, le renforcement du contrôle des individus a pris une grande place. Certains des sportifs qui ont pu se rendre en Chine en parleront peut-être une fois qu'ils seront rentrés dans leur pays.

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