Politique / Société

L'électorat catholique se ruera-t-il en masse sur le bulletin Pécresse?

De par sa pluralité, il n'est pas si simple à circonscrire. Mais la candidate LR semble cependant tenir la corde.

Il y a des chrétiens de gauche, possibles lecteurs de Télérama, et des catholiques de droite, lui préférant Le Figaro Magazine. | Arnaud Jaegers <a href="https://unsplash.com/photos/IBWJsMObnnU">via Unsplash</a>
Il y a des chrétiens de gauche, possibles lecteurs de Télérama, et des catholiques de droite, lui préférant Le Figaro Magazine. | Arnaud Jaegers via Unsplash

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Les catholiques reviennent aujourd'hui dans l'arène politique. Pas de Manif pour tous cette fois-ci, mais un mouvement électoral signifiant pour la santé, l'ordre régalien et l'éducation. Selon un sondage Ifop-Le Pèlerin, dont Europe 1 fut partenaire, les personnes de confession catholique attendent beaucoup de la prochaine élection présidentielle, et ce dans plusieurs domaines clairement hiérarchisés. Dans un contexte sanitaire particulièrement sensible, le sujet le plus important pour elles est celui de la santé: 82% estiment qu'il s'agit d'un thème prioritaire.

Viennent ensuite la sécurité et la lutte contre le terrorisme (81%), la lutte contre la délinquance (75%), l'éducation (72%), les salaires et le pouvoir d'achat (65%) et la lutte contre l'immigration clandestine (63%). La peur d'un grand remplacement ethnique et religieux, si chère à l'extrême droite, n'est donc pas considérée par les catholiques actuels comme une priorité de bon sens. Par ailleurs, seulement 25% des sondés souhaitent que les questions bioéthiques, comme l'euthanasie ou la GPA, adviennent à l'ordre du jour politique.

Samuel Lieven, directeur de la rédaction du Pèlerin, éclaire ainsi les tendances de cette étude: «Il y a d'abord un facteur d'âge qui joue. Plus on est âgé, plus on sera sensible aux questions régaliennes. Mais il ne faut pas non plus négliger l'attentat contre le père Hamel en 2016, ni l'attentat dans la basilique de Nice.»

Rappel des faits. Le 29 octobre 2020, deux femmes et un homme étaient tués dans une église niçoise lors d'une attaque au couteau. Deux personnes mourraient à l'intérieur de la basilique, égorgées comme l'enseignant Samuel Paty. La troisième victime décédait dans le café où elle s'était réfugiée, succombant à ses blessures. Le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin, redoutant de nouveaux attentats durant la période de Noël 2020, demandait alors aux préfets de région de renforcer la sécurité par la présence de policiers et de militaires aux abords des églises. Demande réitérée en 2021.

Une religion, deux tribus

Les catholiques messalisants, c'est-à-dire ceux qui vont à la messe au moins une fois par semaine, sont très minoritaires en France. Ils ne représentent que 1 à 2% des Français. Les catholiques non pratiquants mais attachés aux valeurs chrétiennes sont en revanche beaucoup plus nombreux parmi les 48 millions d'électeurs français. Il faut de tout pour faire un monde: il y a des chrétiens de gauche, possibles lecteurs de Télérama, et des catholiques de droite, lui préférant Le Figaro Magazine. Ces deux tribus chrétiennes sont-elles politiquement solubles dans une seule présidentielle?

Les catholiques de droite votent souvent «comme les électeurs de la droite républicaine», détaille Olivier Bobineau, politologue et membre du Groupe Sociétés, Religions, Laïcités, laboratoire de recherche du CNRS et de l'École pratique des hautes études. «Ils aiment l'ordre, le travail, l'effort, les hiérarchies pyramidales et l'élection d'un chef au poste suprême, que celui-ci soit pape, roi ou président de la République.» Il y a même, selon l'Évangile, des premiers et des derniers dont les places s'inverseront par le mérite et la grâce divine. Il y a également, dans la sphère catholique comme au premier tour de la présidentielle, «beaucoup d'appelés et peu d'élus».

Et les chrétiens de gauche alors? «Comme les électeurs de gauche, ils préfèrent généralement l'absence de hiérarchie au profit de l'horizontalisation des relations, sans classement de valeur sur l'échelle sociale, et défendent les minorités, poursuit Olivier Bobineau. Selon eux, personne n'est supérieur à personne. L'essentiel est de lutter contre des inégalités socialement injustes.»

Certains catholiques sont aujourd'hui eux aussi tentés par le vote Le Pen ou Zemmour au nom d'un risque migratoire prétendument invasif.
 

Si un chrétien peut s'identifier aisément à la social-démocratie, il aura cependant quelque peine à se retrouver dans la dialectique d'un Jean-Luc Mélenchon qui, même à vouloir aider les plus pauvres et faire cesser le «martyre des animaux», cultive les raisons de la colère plutôt que la paix de l'âme. En juin 2017, découvrant la présence du drapeau européen sur le perchoir de l'Assemblée nationale, il déclarait ainsi: «On est obligé de supporter ça? C'est la République française ici, pas la Vierge Marie.»

Arsène Heitz, le créateur du drapeau européen bleu à douze étoiles, s'est en effet inspiré de la Vierge dans ses croquis, la mère du Christ étant souvent représentée avec une couronne de douze étoiles en référence à une vision issue de l'Apocalypse de Saint Jean, le bleu étant par excellence la couleur de la Vierge sainte.

Des extrêmes inenvisageables (en théorie)

Par tradition, l'extrême gauche est, il est vrai, fortement anticléricale, en mode Peppone contre Don Camillo. Le conflit de l'extrémisme contre le catholicisme ne date pas d'hier: «On a fait de Dieu un personnage politique; il siège à droite», s'indignait déjà le très anticlérical Journal des débats le 28 octobre 1872.

 

Qu'en est-il maintenant de l'extrême droite? En une période où les Français sont de plus en plus nombreux à dire vouloir voter pour une extrême droite à deux mamelles, certains catholiques sont eux aussi tentés par le vote Le Pen ou Zemmour au nom d'un risque migratoire prétendument invasif.

Il est cependant incohérent pour un catholique de rejeter un homme ou une femme du fait de sa culture, de sa religion ou de ses origines géographiques, puisque Jésus de Nazareth demande à aimer son prochain jusqu'à ses ennemis. Il est par ailleurs absurde d'être catholique et favorable à la peine de mort, puisque l'un des commandements du décalogue est: «Tu ne tueras point.» De fait, l'intégrisme catholique n'est… pas très catholique.

Éric Zemmour est même allé jusqu'à se prononcer contre l'inclusion scolaire des personnes handicapées, ne comprenant manifestement pas qu'une personne en situation de handicap a besoin de normalité et d'une chaleur humaine qui ne soit pas clinique pour vivre, apprendre et s'amuser avec d'autres enfants et adolescents. Le candidat à la présidentielle estime que la minorité doit s'adapter à la majorité par l'exclusion, alors qu'il serait logique que la majorité, plus forte, s'adapte à la minorité.

La balle au centre. À l'heure où Emmanuel Macron prend les rênes de l'Union européenne, il aura rendu visite au pape François deux fois durant son quinquennat. Lors de sa dernière visite romaine, le 26 novembre dernier, le président a même offert au souverain pontife deux biographies d'Ignace de Loyola, fondateur historique des Jésuites –communauté dont le pape argentin est issu. L'histoire ne dit pas si Emmanuel Macron applique aujourd'hui la spiritualité ignatienne, qui propose de mettre sa singularité au service de Dieu.

Dans une tribune publiée par l'Express juste avant Noël, le président français a néanmoins caressé l'Europe dans le sens du pape: «Regardons notre Europe! L'égalité des droits de l'homme en dignité et en droits n'a-t-elle pas été préparée par l'égalité des hommes devant Dieu pensée par le christianisme?».

Les mots choisis par Valérie Pécresse pour appuyer sa candidature ont, il est vrai, une allure bien chrétienne.
 

«Oui, la science et Dieu, la raison et la religion peuvent donc vivre côte à côte, parfois même se nourrir», a déclaré le président en marche. Et d'appuyer son discours: «Aspiration à la raison et besoin de transcendance cohabitent en chacun de nous.» L'histoire ne dit pas non plus si le président se reconnaît dans la transcendance chrétienne ou dans celle d'un François Mitterrand qui déclarait en 1994, lors des ses dernier vœux aux Français: «Je crois aux forces de l'Esprit et je ne vous quitterai pas.»

La tentation Pécresse

Pour autant, les catholiques regardent ailleurs. Selon Olivier Bobineau, «ils seront nombreux à voter pour Valérie Pécresse, une femme issue de la bourgeoisie catholique et notamment formée, lorsqu'elle était au lycée privé Sainte-Geneviève de Versailles, par Pierre-Alain Cahné, ancien recteur de l'Institut catholique de Paris».

«Ce lycée entend transmettre à ses élèves le goût de l'excellence et des responsabilités, le goût d'une vie donnée aux autres, poursuit le politologue. Les lycées et les instituts catholiques sont des laboratoires et des fabriques de leaders économiques et politiques incarnant les valeurs catholiques.» Au-delà des clichés sur la native de Neuilly de culture versaillaise, les mots choisis par Valérie Pécresse pour appuyer sa candidature ont, il est vrai, une allure bien chrétienne: «J'en fais le serment: à vous, comme à tous les Français, je donnerai tout.»

Elle est cette femme candidate qui incarne à droite les valeurs régaliennes au sein de la République, tout en incarnant la parité politique. Elle a d'ailleurs milité, dès janvier 2018, pour l'obligation d'un congé paternité avant que celui-ci ne devienne effectivement obligatoire en juillet 2021. Elle est également revenue, en 2014, sur son opposition passée au mariage des couples gays: «Sur le mariage homosexuel, j'ai changé d'avis parce que tout simplement j'ai réfléchi», a-t-elle déclaré. Valérie Pécresse estime, dans la foulée des mœurs à venir, qu'il faut «surtout mettre des écrous très forts sur la GPA et sur la PMA».

S'ajoute à cela l'histoire familiale de la candidate LR. Louis Bertagna, le grand-père maternel de Valérie Pécresse auquel elle était particulièrement attachée, a été résistant et membre de la Jeunesse étudiante chrétienne pendant la seconde guerre mondiale. L'homme a publiquement refusé le Service du Travail Obligatoire (STO) en Allemagne avant que son appartement ne devienne, en 1944, le siège de la rédaction du journal Témoignage chrétien. Une filiation en guise de pain bénit pour Valérie Pécresse.

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