Parents & enfants / Économie

«5 euros de l'heure pour cinq enfants»: les baby-sitters méritent mieux (et plus)

Le baby-sitting n'est pas «un petit boulot».

Dans les agences agréées, les baby-sitters sont couvertes par une assurance de responsabilité civile. | Mark Zamora <a href="https://unsplash.com/photos/mFqAeaZgWO8">via Unsplash</a>
Dans les agences agréées, les baby-sitters sont couvertes par une assurance de responsabilité civile. | Mark Zamora via Unsplash

Temps de lecture: 6 minutes

«En fait, ces familles nous confient leurs enfants, la prunelle de leurs yeux soi-disant, et on a l'impression de ne rien valoir.» Aurélie, 23 ans, se remémore ses premiers baby-sitting, lorsqu'elle avait 13 ans, chez des voisins de ses parents. Une prise en charge de 20h à minuit, pour... 2 euros de l'heure. «J'entendais des propos comme “c'est la fille des voisins, elle rend service”. Mes parents ne voyaient pas de problème à ce moment-là.» La jeune femme sera à nouveau baby-sitter pendant ses années lycée. 5, 6, 7 euros de l'heure, et toujours sans aucun contrat.

À peine majeure, elle est mise en relation par une de ses connaissances avec une famille qui lui propose de garder ses cinq enfants. Elle ne verra jamais le contrat promis et s'occupera des petits quasiment à temps plein pendant plus de trois semaines, pour 300 euros au total. Une expérience douloureuse. «On n'est pas très regardante quand on est jeune, on ne sait pas ce qui est normal ou non. Le pire, en discutant entre baby-sitters, c'est qu'on se rend compte qu'on se nivelle par le bas. On se dit “oh mais là, tu sais, il n'y a qu'un enfant, et en plus il dort très tôt”.»

Une seule fois, elle a eu un contrat, et un bulletin de salaire. «Une maman qui me déclarait, avait des aides de son entreprise pour la garde de ses filles. J'étais payée au Smic, elle était super réglo.» L'histoire vécue par Aurélie rejoint celle de milliers de jeunes femmes, comme Cassandre. Aujourd'hui âgée de 24 ans, elle a été baby-sitter de ses 13 à 16 ans auprès d'une famille de cinq enfants. Lorsqu'elle a débuté, le plus jeune avait 1 an et demi. «C'était une famille très aisée, qui en gros me donnait de “l'argent de poche”. J'étais rémunérée 5 euros de l'heure pour les cinq enfants. Je n'avais pas de rapport à l'argent évidemment à cet âge-là.»

Cassandre en a récemment reparlé avec ses parents, qui comprennent aujourd'hui qu'avoir donné leur accord était une erreur. Elle a depuis tenté de passer par des plateformes mettant en relation des parents et des baby-sitter, mais ne s'y retrouvait pas dans les marges «hallucinantes» que ces dernières conservaient. Avec le recul et l'expérience, Aurélie, comme Cassandre, réalisent l'aberration qu'a été la majorité de leurs expériences de baby-sitting. «Il faut le redire: c'est un travail de s'occuper d'enfants, insiste Aurélie. On n'ose pas quand on est jeune, mais il ne faut pourtant pas hésiter à dire non, à refuser.»

 

«Un flou artistique»

La première question à se poser est celle du cadre juridique qui entoure la baby-sitter, cette gardienne ponctuelle de la chair de votre chair. Mina Zanat, directrice générale de l'organisme agréé Family Sphere, qui gère 18.000 nounous, rappelle que, pour un enfant de moins de 3 ans, la garde est normalement soumise à un agrément.

En d'autres termes, pour les petits de 0 à 3 ans, Family Sphere dit n'embaucher que des personnes titulaires d'un CAP Petite enfance, ou qui auraient trois ans minimum d'expérience avec justificatifs des employeurs, ou bien encore qui acceptent de suivre un parcours de formation délivré par la structure. Chez Family Sphere, les baby-sitters qui s'occupent d'enfants de moins de 3 ans ont en plus une interlocutrice par territoire, une coordinatrice Petite enfance qu'elles peuvent contacter si besoin pour ne pas sentir isolée.

«La responsabilité de nos enfants mérite d'être formalisée. [...] C'est mieux que les choses soient cadrées.»
Christine, mère de quatre enfants

Rémy Fernandez, responsable communication chez Yoopala, société de services à la personne également agréée, insiste aussi sur ce point: «Les enfants de moins de 3 ans sont considérés comme public fragile. C'est très encadré, il y a un cahier des charges. Un flou artistique entoure ce qui touche la garde à domicile, on donne l'impression que c'est facile, qu'il ne faut pas de compétences particulières, mais pas du tout! C'est avant tout un métier.» Ces organismes agréés sont les employeurs directs de toutes les baby-sitters qu'ils embauchent en CDI intermittent, et s'occupent donc des contrats de travail et fiches de paie. Les baby-sitters sont couvertes par une assurance de responsabilité civile et un contrat d'automission pour leur permettre de transporter les enfants. «Une baby-sitter mineure peut travailler chez nous, explique Rémy Fernandez de Yoopala. À partir de 16 ans, c'est possible, mais c'est rare. Nous restons très attentif à ça, et à la maturité de la personne.»

Du côté de Family Sphere, pour les enfants de plus de 3 ans, on embauche des étudiants avec un ou deux ans d'expérience, des femmes qui souhaitent un temps partiel ou juste quelques heures de travail, ou bien encore des retraitées, dites «mamies-nounous». Des formations spécifiques peuvent également être proposées, comme l'aide aux devoirs. S'il est possible que des personnes recrutées ne conviennent pas à une famille (tout comme lorsqu'on choisit une baby-sitter sur petite annonce ou en déchirant un papier à la boulangerie du coin), les agences agréées ont le mérite de mettre tout le monde à l'abri et de dégager les protagonistes des aléas juridiques et administratifs.

«Rester dans les clous»

Marie, 31 ans, aurait adoré que ce soit le cas, si c'était à refaire. Embauchée par le biais d'une plateforme de mise en relation en pleine année de mémoire de master par une mère solo de deux enfants, la jeune femme signe un contrat rédigé par la mère pour 9 euros de l'heure. Un jour, Marie se rend compte que son employeuse déclare plus d'heures que ce qu'elle fait réellement auprès de ses filles. «Je consulte un avocat, envoie une lettre recommandée pour une rupture de contrat.» La mère de famille déclare qu'elle a donné la différence à Marie dans une enveloppe. «C'était faux, donc je me dis que je vais aller aux prud'hommes.»

Marie recevra alors une convocation au commissariat pour violences sur enfant, avant que la plainte de la mère ne soit classée sans suite. La jeune femme a ensuite laissé tomber les prud'hommes, fatiguée, mais remontée. «Rester dans les clous, c'est une protection. Il faut vraiment faire attention. J'aurais dû contacter la plateforme, je n'ai pas été assez consciencieuse.» Mais la plateforme aurait-elle pu l'aider?

Contactées, plusieurs plateformes ont refusé de répondre à nos questions. Pour Rémy Fernandez de Yoopala, «ces plateformes donnent l'illusion qu'elles sont agréées alors qu'elles ne font que du matching, de la mise en relation, de la revente de lead, en prenant une grosse commission. C'est du salariat déguisé.» En résumé, les familles s'inscrivent, indiquent leurs besoins, puis on les met en relation avec quelqu'un. Bien souvent, une fois en relation, parents comme baby-sitter font abstraction de la plateforme pour trouver leur arrangement.

Christine, mère de quatre enfants, accepte de payer en liquide une garde ponctuelle de soirée, à domicile, de sa baby-sitter. Dans le jargon des structures agréées, on appelle cela «les heures grises». La mère de famille a rencontré «certaines mineures de 16 ou 17 ans très responsables, surtout celles au profil “sœur ainée”». Mais pour ce qui est de la garde régulière de ses enfants, avec transports, elle déclare sa baby-sitter, fait le contrat elle-même, la paye en CESU (chèque emploi service universel), toujours minimum au Smic. «La responsabilité de nos enfants mérite d'être formalisée. Et s'il y a un pépin sur le chemin, il faut qu'elle soit couverte. C'est mieux que les choses soient cadrées.»

Des outils concrets

Des situations très courantes donc, qui épargnent aux parents un intermédiaire. Mais Mina Zanat, de Family Sphere, rappelle que lorsque les parents payent l'agence, cette dernière gère tout, de A à Z. «Beaucoup de parents méconnaissent le système. Il n'y a pas assez de communication sur le sujet. Or, avec nous, ils n'ont pas l'aspect administratif justement! On s'occupe du contrat, des congés, des remplacements, des assurances.» La directrice observe des parents rassurés, notamment par l'existence d'outils concrets, type carnet de liaison. Sans ces garanties, les prud'hommes ne sont jamais loin. Et les plateformes douteuses, sont-elles vouées à disparaître? «Ceux qui passent notre porte ont eu une mauvaise expérience avant. Il faut que les parents sachent que, sans contrat, ils prennent un risque. Que tout le monde prend un risque.» Baby-sitter comprise.

«Chez Yoopala, la baby-sitter est salariée, la famille est cliente, résume Rémy Fernandez. Nous sommes prestataires de service et voulons être transparent sur les tarifs en place, que nous mettons plutôt au-dessus du Smic.» Yoopala estime qu'entre les aides de la CAF (le CMG, le complément de libre choix du mode de garde) et le crédit d'impôt, le montant restant à charge pour les familles est d'environ 4 euros de l'heure.

Quoi qu'il en soit, la recherche de la baby-sitter idéale demande un peu de temps, de lecture et de patience pour les parents. L'aspect administratif peut rebuter, même en passant par une société de services à la personne. Mais il en va du bien-être des enfants comme du respect octroyé à celles qui les gardent, qu'on ne doit en aucun cas payer au lance-pierre.

cover
-
/
cover

Liste de lecture