Santé / Société

Les thanadoulas, ces femmes qui vous aident à mourir

Depuis l'arrivée du Covid, elles sont de plus en plus nombreuses aux États-Unis à vouloir accompagner les agonisants et leurs familles dans la mort.

Il ne faut pas de compétences particulières pour devenir thanadoula, si ce n'est une bonne capacité d'empathie. | Sharon McCutcheon <a href="https://unsplash.com/photos/r6_xcsNg0kw">via Unsplash</a>
Il ne faut pas de compétences particulières pour devenir thanadoula, si ce n'est une bonne capacité d'empathie. | Sharon McCutcheon via Unsplash

Temps de lecture: 3 minutes - Repéré sur Time

Par un froid matin d'octobre, Liz Lightner, assise au bord du lit d'un mourant qu'elle ne connaît pas, prend des notes mentales. L'homme en agonie est dans le coma mais elle lui raconte doucement qu'ils sont en train de nager sous la mer, tous les deux, entourés de poissons. Elle décrit leurs nageoires multicolores et lui dit qu'il est bien, dans son élément. Sept heures plus tard, elle le laisse seul, la main posée sur son chat, et lui assure qu'après sa mort, son animal ne sera pas abandonné. Elle ouvre une fenêtre, pour aider symboliquement l'homme à partir. Et elle s'en va.

L'homme mourra le lendemain.

Liz Lightner est une «doula de mort», ou «thanadoula». Ce mot, initialement conçu pour désigner des femmes qui en accompagnent d'autres au moment où elles donnent la vie, sert désormais aussi à nommer celles qui accompagnent dans la mort. Aux États-Unis, depuis le début de la pandémie, des centaines d'Américaines ont décidé d'exercer cette occupation.

Rien de surprenant, vu le contexte

Les thanadoulas existaient déjà avant, mais depuis début 2020, les associations qui les forment ont vu une augmentation conséquente du nombre de candidatures. La National End-of-Life Doula Alliance, par exemple, qui comptait 200 membres en 2019, en a désormais plus de 1.000. Certains organismes de formation racontent que le nombre d'inscrites a plus que triplé, tout comme le nombre de gens qui sollicitent une aide pour eux ou pour d'autres sur le point de mourir.

Rien de vraiment surprenant quand on sait que le nombre officiel de victimes du Covid-19 aux États-Unis avoisine les 900.000. Au plus fort de la pandémie, des morgues temporaires, parfois de simples camions réfrigérés, ont même été mises en place à New York.

Depuis la pandémie, on constate également que de plus en plus d'Américains jeunes rédigent leur testament. «Pour la première fois en une génération, tout le monde fait l'expérience de la possibilité que la mort puisse toucher sa vie –pas plus tard, mais tout de suite», commente Ann Burns, présidente du cabinet de juristes et d'avocats American College of Trust and Estate Counsel. La dernière fois que ce type de phénomène est apparu, c'était après les événements du 11-Septembre, où presque 3.000 personnes sont mortes en une seule journée.

Tracy Yost, 52 ans, a décidé de devenir thanadoula parce qu'elle craignait que la pandémie ne crée toute une génération de personnes traumatisées par la mort. «On vit déjà dans une société qui ne parle pas du fait de mourir», explique-t-elle. Il ne faut pas de compétences particulières pour devenir thanadoula, si ce n'est une bonne capacité d'empathie. Comme elles ne peuvent prescrire de médicament, aucune licence n'est nécessaire. Les formations coûtent entre 40 et 1.000 dollars (entre 35 et 900 euros), et abordent davantage le côté émotionnel que le côté scientifique de la mort, même si l'on y étudie les principales maladies fatales et la façon dont les organes défaillent l'un après l'autre à l'heure du trépas.

Il y a plus d'un siècle, nous étions tous des thanadoulas

Pour Nükhet Varlik, enseignante à l'Université Rutgers spécialiste de l'histoire des pandémies, la mort n'a pas toujours été aussi industrialisée qu'aujourd'hui. Il y a plus d'un siècle, avant la généralisation des pompes funèbres, il était normal que les familles et les communautés se chargent des cadavres. «La mort était vénérée en tant que partie sacrée du voyage de la vie, ce que nous avons totalement retranché de notre conscience des choses» selon Suzanne O'Brien, de l'association de formation de doulas Doulagivers. «En réalité, on fait même tout pour fuir dans l'autre sens.»

Les doulas travaillent main dans la main avec le personnel des maisons de retraite et peuvent aider les agonisants à mettre en ordre ce qu'ils veulent laisser de souvenirs à leur famille. Elles écoutent, des heures durant, les personnes en fin de vie, raconter ce qu'elles ont sur le cœur. «J'entends des histoires que sans doute personne n'a jamais entendues avant moi, témoigne Sara Web. J'entends des histoires que peut-être plus personne n'entendra jamais.»

Sara Web a aidé une jeune femme d'une vingtaine d'années à gérer la fin de vie de sa mère qui était en train de perdre son combat contre le cancer. Elle confie être devenue doula dans l'espoir que moins de gens vivent leurs derniers instants entourés de proches totalement paniqués, comme ce fut le cas pour sa grand-mère en 2004.

Elle livre le récit de son accompagnement de cette mère et de sa fille dans les derniers moments: elle demande à la jeune femme d'évoquer tout ce qu'a représenté sa mère à toutes les étapes de leur vie, et il en ressort que le film Le magicien d'Oz fait partie des moments de bonheur et de douceur partagés tout au long de leur relation. Elles décident de mettre le film et la mère de la jeune femme réussit à rester éveillée, souriante, pendant presque toute sa diffusion. Quelques moments après, elle perd conscience et entre en agonie pendant que sa fille chante doucement la chanson «Over the rainbow», pour lui dire au revoir.

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