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Jeux olympiques de Pékin: la Chine, centre du monde coupé du monde

Quatorze ans après avoir accueilli les Jeux d'été, c'est un pays différent qui s'apprête à recevoir le grand événement quadriennal. Dans des conditions bien particulières.

Le site des épreuves de saut à ski à Zhangjiakou, le 21 décembre 2021. | Wang Zhao / AFP
Le site des épreuves de saut à ski à Zhangjiakou, le 21 décembre 2021. | Wang Zhao / AFP

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L'atmosphère des vingt-quatrièmes Jeux d'hiver qui vont se dérouler à Pékin du 4 au 20 février ne ressemblera guère à celle qui prévalait, en août 2008, lors des vingt-neuvièmes Jeux olympiques d'été. Cette année-là, la Chine n'était pas encore la puissance économique qu'elle est devenue, et la mise en place d'installations sportives de haut niveau était l'occasion pour le pays de montrer ce qu'il était capable d'organiser.

De nombreux dirigeants, de l'Américain Georges Bush au Russe Vladimir Poutine en passant par le Premier ministre japonais Yasuo Fukuda, avaient assisté à la grandiose cérémonie d'ouverture. Nicolas Sarkozy était également présent, alors que ses déclarations en mars sur un épisode de répression au Tibet avaient fortement irrité les dirigeants chinois. Par la suite, au mois de décembre, la rencontre du président français et du dalaï-lama avait provoqué un véritable incident diplomatique franco-chinois.

Ce soir du 8 août 2008 à 8h08, date et horaires choisis en raison de cette répétition d'un chiffre considéré comme porte-bonheur en Chine, le tout nouveau stade national de Pékin résonnait du martèlement de plus de 2.000 tambours traditionnels, accompagnés par des proclamations de citations de Confucius. Puis 14.000 figurants ont dansé et chanté sur des scènes évoquant l'histoire de la Chine et ses grandes réalisations: la construction de la Grande Muraille, l'invention de la boussole ou du papier.

 

Une Chine différente

L'ambiance en 2022 est totalement différente. Et bien sûr, pas uniquement parce que l'événement olympique se déroule en hiver. La Chine d'aujourd'hui n'est plus ce qu'elle était il y a quatorze ans. Son développement économique considérable lui a attiré l'hostilité des États-Unis, où le président Joe Biden, tout comme son prédécesseur Donald Trump, s'emploie à contenir les réussites commerciales chinoises. Si bien qu'organiser ces Jeux olympiques permet à Pékin de souligner avec prestige une étape du renouveau chinois, d'autant que la ville va devenir la première au monde à avoir accueilli à la fois les Jeux d'été et ceux d'hiver.

En 2015, ces JO ont été attribués à Pékin après un vote serré. Au Comité international olympique (CIO), réuni à Kuala Lumpur, 44 voix sont allées à Pékin et 40 à Almaty. Certes, après les récentes émeutes dans l'ancienne capitale kazakhe, il aurait été délicat et incertain d'y tenir des Jeux olympiques. Mais en 2015, cette situation n'était pas prévisible, et les partisans d'Almaty privilégiaient l'idée de faire entrer un pays nouveau, le Kazakhstan, dans le cercle des organisateurs de JO.

Par ailleurs, diverses organisations de défense des droits de l'homme avaient milité contre cette attribution des Jeux à la Chine. Mais après le vote, Thomas Bach, le président du CIO, avait tranché en disant: «Nous savons que la Chine s'acquittera de ses engagements et tiendra ses promesses. Avec la grande expérience de la Chine, c'est vraiment un choix sûr.»

Wang Anshun, alors maire de Pékin, avait tenu à ajouter: «Il est logique qu'un pays de 1,3 milliard d'habitants, le quart de l'humanité, organise ses deuxièmes Jeux.» Selon lui, ce vote à Kuala Lumpur marquait une «journée qui ferait date».

Protocole renforcé

Ces Jeux d'hiver 2022 se sont mis en place alors que des foyers de Covid ont surgi dans plusieurs villes chinoises, y compris dans certains quartiers de Pékin où les autorités accusent un colis envoyé du Canada d'avoir transporté le virus. Ce qui semble fortement improbable selon de nombreux spécialistes médicaux, notamment de l'Organisation mondiale de la santé, mais qui amène désormais les employés de la Poste chinoise à désinfecter tous les courriers venus de l'étranger.

Dans la capitale chinoise, les zones où sont apparus ces cas de Covid sont étroitement confinées par la police et les autorités sanitaires. Des tests sont pratiqués dans des quartiers entiers, dont les habitants ne peuvent sortir. L'objectif est qu'il n'y ait pas d'autres infections aux alentours, et qu'à l'approche des Jeux olympiques, la Chine puisse affirmer qu'il y a pratiquement «zéro Covid» sur son territoire.

Depuis début janvier, tous les participants aux JO qui sont arrivés à Pékin ont dû montrer deux résultats de test PCR négatifs en plus d'un schéma vaccinal complet. Les organisateurs annoncent que 336.421 tests ont été effectués entre le 4 et le 22 janvier. Résultats: soixante-douze contaminations au Covid-19 ont été constatées depuis début janvier parmi les 2.586 entraîneurs, techniciens ou administratifs qui accompagnent les athlètes.

Le 30 janvier, le comité d'organisation des JO a fait savoir que trente-six athlètes ont révélé un test positif. Ce qui amène le Comité international olympique à déclarer: «Le défi n'est pas de ne pas avoir de cas positifs, mais de les contrôler via les mesures prises.»

Les tests vont continuer à être effectués pendant toute la durée des Jeux, et de nombreuses précautions sont prévues pour éviter toute contamination. Quant aux spectateurs, ils seront peu nombreux et tenus à distance. En outre, ils auront l'obligation de porter un masque et seront soumis systématiquement à des tests de détection nasale.

Recyclages et artifices

Les compétitions vont en partie se dérouler sur des sites construits pour les Jeux olympiques de 2008. C'est le cas des épreuves de patinage artistique, de hockey et de vitesse, qui se tiendront dans le stade surnommé le «Nid d'oiseau». C'est également là que se dérouleront les cérémonies d'ouverture et de clôture.

Pour les compétitions à l'air libre, il a fallu aménager des installations dans les montagnes à quelques centaines de kilomètres de Pékin: à Yanqing pour le ski alpin, le bobsleigh et la luge, à Zhangjiakou pour le ski de fond, le biathlon et le saut à ski. La neige naturelle risquant d'être insuffisante, d'importantes quantités de neige artificielle ont été déversées sur ces stations, ce qui devrait ultérieurement limiter la possibilité d'utiliser l'eau dans les régions alentour.

Pour aller jusqu'à ces stations, les athlètes et leurs accompagnateurs doivent emprunter des trains à grande vitesse où des wagons leur sont réservés. Une fois sur place, ils participent à des épreuves organisées dans de vastes espaces aménagés en «bulles sanitaires», qui évitent tout contact avec l'extérieur. Les sportifs vont ainsi être coupés du monde. Ils n'auront à leurs côtés que des chauffeurs, des traducteurs ou des cuisiniers chinois, qui ne sortiront qu'à la fin des Jeux olympiques et paralympiques, après avoir respecté une période de quarantaine.

Tensions diplomatiques

Peu de chefs d'État vont assister à la cérémonie d'ouverture. À Washington, la Maison-Blanche a annoncé le 6 décembre dernier qu'en raison du «génocide et des crimes contre l'humanité en cours contre les Ouïghours au Xinjiang», le président Joe Biden ne se déplacera pas et que, au nom d'un «boycott diplomatique», aucun représentant officiel américain ne se rendra à Pékin. Il ne s'agit donc pas d'un boycott qui interdirait aux athlètes de participer aux Jeux, comme les Américains l'avaient décrété en 1980 lors des JO de Moscou, alors que l'URSS venait d'envahir l'Afghanistan.

Tout cela a déclenché des réactions à Pékin. Le 6 décembre, Zhao Lijian, l'un des porte-paroles du ministère chinois des Affaires étrangères, déclare: «Les Jeux ne sont pas une scène destinée à la manipulation politique. Des politiciens américains montent en épingle un boycott diplomatique alors qu'ils ne sont pas même invités.» Il a également averti, sans plus de précisions, que les pays qui enverront des athlètes pour les JO mais pas de responsables officiels en «paieront le prix».

Les Européens, eux, sont plus nuancés, et il leur resterait à mettre au point une position commune.

Peu après, l'agence officielle Xinhua écrit: «Il ne faudra pas s'étonner s'il y a des appels au boycott contre les JO de Los Angeles en 2028 du fait du racisme systémique en vigueur aux États-Unis.» Puis, le 26 janvier, dans une conversation téléphonique avec le secrétaire d'État Antony Blinken, Wang Yi, le ministre chinois des Affaires étrangères, martèle que «la priorité absolue à l'heure actuelle est que les États-Unis cessent de perturber les Jeux olympiques d'hiver de Pékin».

Cependant, dans la foulée des États-Unis, plusieurs pays –dont la Grande-Bretagne, l'Australie et le Japon– ont fait savoir que leurs dirigeants ne se rendraient pas à Pékin. À l'opposé de Vladimir Poutine qui, le 4 février, sera le principal dirigeant étranger sur place, confirmant ainsi l'importance que Moscou accorde à ses relations avec la Chine.

Les Européens, eux, sont plus nuancés, et il leur resterait à mettre au point une position commune. La nouvelle ministre allemande des Affaires étrangères, l'écologiste Annalena Baerbock, a déclaré fin décembre: «Je suis une grande fan de sport, mais je n'irai en aucun cas aux Jeux olympiques à cette période –ce n'était pas non plus l'usage chez les ministres des Affaires étrangères par le passé.» En revanche, Roxana Maracineanu, la ministre française des Sports, sera présente à la cérémonie d'ouverture, «pour accompagner nos athlètes».

De même, Sophie Cluzel, la secrétaire d'État chargée des Personnes handicapées, sera à Pékin lors du lancement des Jeux paralympiques. Le 9 décembre, alors qu'il présentait les objectifs de la présidence de l'Union européenne assumée par la France en 2022, Emmanuel Macron avait qualifié le boycottage diplomatique de «mesure toute petite et symbolique» et avait affirmé: «il faut raison garder».

Fallait-il maintenir?

La conception de la cérémonie d'ouverture a été confiée, comme en 2008, à Zhang Yimou. Ce metteur en scène chinois s'est rendu célèbre bien au-delà de son pays depuis les années 1980 en réalisant des films tels que Épouses et concubines, Qiu Ju, une femme chinoise, ou encore Hero.

En 2013, vers la fin de l'époque où la Chine interdisait aux couples d'avoir plus d'un enfant, il fut révélé qu'il en avait trois. Une forte amende lui fut alors infligée et les autorités chinoises retirèrent son film Coming home de la liste des concurrents aux Oscars à Hollywood. Néanmoins, maintenant que chaque famille est encouragée à avoir plusieurs enfants, Zhang Yimou a été une nouvelle fois choisi pour organiser une cérémonie officielle et à grand spectacle. Il est possible que pour ce travail, il n'y ait pas eu beaucoup de concurrents possibles en Chine.

Si à Pékin, il a été envisagé de repousser la date de ces JO, la question est restée parfaitement secrète.

Ces JO n'auront certes pas l'ampleur de ceux de 2008. Ils n'en ont pas la vocation. En 2020, confronté aux incertitudes de la reprise de la pandémie de Covid, le Japon avait décidé de reporter les Jeux olympiques au mois d'août 2021. Ils ont eu lieu à Tokyo et se sont déroulés convenablement, sans incident sanitaire. La Chine, elle, a maintenu l'événement à la date prévue.

Pour le sinologue Jean-François Di Meglio, président d'Asia Centre, «la Chine ne devrait pas, en bonne logique, faire ces Jeux en ce moment. Ça ne va pas être une fête internationale. De plus, la question ouïghoure crée des tensions, et avec les cas de Covid actuels en Chine, il y a potentiellement un risque que ces Jeux accélèrent la pandémie. Mais le message chinois est que quand il y a une volonté, il y a un chemin.»

Si à Pékin, il a été envisagé de repousser la date de ces JO, la question est restée parfaitement secrète. Sans doute était-il difficile de priver la population de la retransmission télévisée des Jeux pendant les congés du Nouvel An chinois, cette année au début du mois de février. Des compétitions de sports de neige et de glisse vont avoir l'avantage de renouveler la curiosité des téléspectateurs.

Certains sports d'hiver sont répandus en Chine du Nord, comme le patinage de vitesse, pratiqué sur les lacs gelés depuis le XVIIIe siècle. Des athlètes se sont fait connaître dans le domaine du saut acrobatique en ski free style, mais la pratique classique du ski reste largement à développer. Même si, officiellement, 300 millions de Chinois s'adonnent depuis quelques années à des sports de neige et de glace.

Ces Jeux olympiques de Pékin vont permettre de montrer que la Chine peut mettre en place des pistes pour les sports de neige et que des sportifs du monde entier viennent y concourir. Ce qui peut entraîner un engouement dans la population chinoise. Autre point de vue: pendant ces Jeux olympiques, la Chine, bien que largement coupée du reste de la planète en raison du Covid, va pouvoir apparaître comme le centre du monde. Une image utile pour le Parti communiste chinois, qui, pendant cet événement sportif, entend s'adresser prioritairement à la population du pays.

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